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Le sentiment d’appartenance comme moteur de l’initiative personnelle

L’initiative personnelle est, d’après les conclusions de l’Étude auprès des postes en régions

frontalières, le facteur principal concourant à la création de relations informelles entre les

policiers de la Sûreté du Québec et leurs homologues. Dans la typologie idéale typique de Bowling et Sheptycki, elle est aussi une caractéristique que possèdent les policiers qui revêtent les rôles du diplomate et de l’opérateur-terrain. En effet, le diplomate est reconnu comme usant d’initiative et l’opérateur-terrain comme étant proactif. La section précédente montre aussi que les initiatives de collaboration ne pourraient pas émerger sans la liberté d’action ou le pouvoir discrétionnaire typiquement accordé aux fonctionnaires de proximité. Bien qu’aussi difficilement mesurable que la liberté d’action, il semble que le sentiment d’appartenance soit aussi un des moteurs de l’initiative personnelle.

Pour faire preuve d’initiative, le policier doit être proactif et rester à l’affût des problématiques qui pourraient survenir ou devenir plus sérieuses86. Sans proaction, il n’y a pas d’initiatives mises de l’avant :

L’adoption d’une approche véritablement préventive implique deux choses, la première, et la plus [évidente], est que la police cesse d’être un mécanisme dont l’action est presque exclusivement déclenchée de l’extérieur (par l’appel d’un citoyen). De façon plus profonde, la police ne doit plus se contenter de réagir à des incidents individuels. Elle doit, au contraire, s’efforcer d’établir des liens entre des incidents qui paraissent isolés et de les regrouper en leur donnant la forme d’un problème que l’on pourrait résoudre de façon permanente en établissant une politique générale d’intervention. En d’autres termes, l’accent mis sur la proaction implique un effort systématique de concertation des interventions87.

86 G. W. CORDNER et K. E. SCARBOROUGH, Police Administration, […], p. 52. 87 J-P. BRODEUR, Les visages de la police […], p. 141.

Bien que cette question n’ait pas été étudiée en profondeur, il est plausible d’avancer, à la suite des entrevues, que le sentiment d’appartenance au territoire influe sur la proaction et donc sur les initiatives de collaboration parce que les policiers se sentent plus intimement concernés.

En effet, les directeurs ou directeurs adjoints de la Sûreté du Québec reconnus par les autres directeurs et directeurs adjoints de poste frontalier comme les plus actifs en matière de collaboration ―ceux-ci sont aussi à la base d’initiatives telles les programmes d’échanges avec les policiers du Maine, la mise sur pied d’une banque de données sur les interventions ayant des éléments transfrontaliers ou encore la formation sur le Guide sur l’immigration pour l’agent de

police88― partagent deux caractéristiques qui peuvent être à la base de l’initiative personnelle : le

désir d’« être meilleur chez soi89 » et le sentiment d’appartenance au territoire d’intervention. En cela, ils rejoignent « [l]es policiers [de l’étude de 2011 qui] ayant un réseau actif avec les agences américaines [avaient] su démontrer, à l’aide d’exemples concrets, comment ce lien de communication contribuait à la qualité du travail [au sein de leur] poste MRC et surtout à une connaissance plus poussée de ce qui influence son environnement.90 »

Ces deux caractéristiques semblent ne pas aller l’une sans l’autre. Dans l’expression « être meilleurs chez soi », il y a la référence au « chez-soi » qui est indéniablement lié au sentiment d’appartenance. Aux postes les plus actifs en matière de collaboration, les policiers interviewés font soit référence à leur très bonne connaissance du territoire depuis des dizaines d’années, à leurs loisirs en lien avec le territoire — motoneige, chalet, pêche —, à leur famille ou à leurs amis habitant la région ou à leur volonté de continuer à œuvrer dans la MRC ou dans une autre MRC frontalière à proximité91. Leur attachement au territoire transparait en filigrane tout au long des entrevues. Ces mêmes policiers ont aussi évoqué dans un contexte ou un autre que leur volonté de collaborer était motivée par le désir d’améliorer leurs pratiques, de bonifier les services offerts ou d’être plus efficaces chez eux92. Cette intention n’a pas été mentionnée par les autres policiers. D’ailleurs, pour entrer en liens avec les policiers états-uniens, les premiers « procède[nt] davantage par contacts directs que par la structure officielle. [Ils font] le choix d’établir ces

88 CANADA, AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA, Guide sur l’immigration pour l’agent de

police.

89 Entrevues menées auprès des directeurs de poste […].

90 M. FERLAND, L.-P. BOULET et M. POLIQUIN, Étude auprès des postes en région frontalière […], p.9. 91 Entrevues menées auprès des directeurs de poste […].

contacts pour être plus efficaces, plus rapides, être meilleurs chez soi. » Ils sont d’avis qu’« il faut aller au-delà du travail, dépasser le cadre professionnel et apprendre d’eux [les policiers états- uniens], pour être meilleurs chez nous.93 »

À la frontière Québec-États-Unis, on note quelques initiatives personnelles qui sont encouragées par l’appartenance au territoire et qui ont favorisé la collaboration par la suite. Par exemple, parce qu’il connaissait bien l’espace de quelques mètres défriché de chaque côté de la frontière pour l’avoir régulièrement parcouru, un policier de la Sûreté du Québec a secouru les policiers du USBP qui étaient restés en panne lors d’une patrouille de la frontière en motoneige94. Un autre s’informe continuellement des relations et des projets qui sont établis avec les policiers états- uniens dans sa MRC d’origine95.

Le sentiment d’appartenance et la liberté d’action des directeurs de poste et des directeurs adjoints de la Sûreté du Québec stimulent donc les initiatives de collaboration avec leurs homologues. Ils sont également des facteurs qui concourent à l’établissement de relations transgouvernementales entre les organisations policières.