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Le robot chirurgical comme outil de formation ?

Dans le document CHAPITRE V : ASPECTS METHODOLOGIQUES 103 (Page 121-125)

PARTIE V : DISCUSSION GENERALE

3.5 Le robot chirurgical comme outil de formation ?

Pour des raisons essentiellement économiques, éthiques et légales, de nombreux auteurs insistent sur la nécessité d’organiser des programmes de formation en dehors des salles d’opération, afin d’offrir aux futurs chirurgiens des environnements adéquats qui leur permettent d’acquérir les habiletés complexes que requiert la pratique chirurgicale (Vassiliou et al., 2005 ; Moorthy et al., 2003 ; Chiasson et al., 2003 ; Hamilton et al., 2002 ; Rattner et al., 2001 ; Haluck & Krummel, 2000 ; Scott et al., 2000). A ce sujet, plusieurs questions se sont posées quant à la place et à la fonction que pouvait remplir le robot da Vinci en matière de formation : ainsi, certains auteurs ont suggéré de l’utiliser comme nouvel instrument d’apprentissage (Yohannes et al., 2002). Nos différentes études peuvent procurer quelques éléments de réponse à cette problématique.

a) Transfert des habiletés

Nos études montrent que le transfert des habiletés nouvellement acquises chez des sujets novices ne s’opère pas sans difficultés lors du passage d’une technique de laparoscopie à une autre technique et cela, particulièrement lorsque le passage se réalise du système robotique vers la laparoscopie classique47. Cette dernière est en effet plus difficile à utiliser pour résoudre la plupart des tâches. A l’inverse, le robot (en 3D, particulièrement) bénéficie d’une telle transparence fonctionnelle qu’il permet une acquisition beaucoup plus rapide des habiletés.

Nos résultats mettent en évidence de très mauvaises performances après le switch technique, non seulement au niveau du score (études 1 et 3), mais également au niveau de la manipulation des instruments (étude 4, où des problèmes de manipulation importants surviennent en laparoscopie classique, quelle que soit la dimension visuelle).

Au vu de ces données, il nous semble que le système robotique ne peut être utilisé comme unique outil de formation. Les habiletés les plus difficiles à acquérir sont en effet spécifiques aux instruments et mode de vision de la laparoscopie classique ; les séances d’entraînement devraient donc être prioritairement axées sur les habiletés requises en laparoscopie classique48. Cette situation illustre la problématique plus générale de l’introduction et de l’adoption des nouvelles technologies, qui deviennent

47 Cette constatation est évidemment réalisée au niveau individuel, pour l’acquisition des compétences principalement visuo-motrices du chirurgien. Nous avons vu qu’au niveau organisationnel, le passage de la laparoscopie classique vers la chirurgie robotique pose de sérieuses difficultés dont il faut tenir compte en situation réelle.

48 Les bonnes performances des chirurgiens experts en laparoscopie classique lorsqu’ils utilisent le

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source de problèmes (et de risques) importants lorsque la situation impose un retour en arrière et l’utilisation d’une technique moins perfectionnée pour laquelle les habiletés, plus exigeantes et différentes (sur le plan perceptivo-moteur, du raisonnement et/ou des connaissances), ne sont pas ou plus maîtrisées.

Enfin, si la transparence fonctionnelle du robot chirurgical le rend facilement utilisable, nos résultats mettent en évidence le développement d’une véritable expertise liée à l’instrument et pas seulement à la réalisation des tâches (que ce soit en situation expérimentale, étude 2, ou en situation réelle, étude 5) : les chirurgiens experts en robotique (en 3D) ont en effet de meilleures performances dans cette condition que les autres, témoignant ainsi de l’existence d’une expertise spécifique dans l’utilisation du robot chirurgical. Cette observation souligne la nécessité d’introduire aussi des formations avec cette nouvelle technologie. Par ailleurs, nos observations sur le terrain et les difficultés organisationnelles liées à l’introduction du système robotique renforcent l’utilité de procéder à des formations sur le terrain pour le chirurgien mais aussi pour l’ensemble de l’équipe.

b) Bien-être des sujets

Nos études réalisées en situation expérimentale mettent toutes en évidence une amélioration dans l’impression de maîtrise et de progression chez les sujets novices.

Dans l’étude 3, notamment, la confiance, la satisfaction et l’impression de facilité évoluent positivement avec l’apprentissage. Les réponses aux questions ouvertes montrent majoritairement la satisfaction des étudiants en médecine d’avoir participé à ces simulations expérimentales. L’ensemble de nos données confirme les conclusions des études qui insistent sur l’apport bénéfique des séances de simulation dans le cadre des formations (Hamilton et al., 2002 ; Issenberg et al., 1999 ; Nyssen, 1997 ; Melvin et al., 1996 ; Moray et al., 1995).

c) Tâches expérimentales adéquates

Une des difficultés majeures, à laquelle se heurte toute entreprise de formation dans un domaine complexe, est de trouver des tâches pertinentes et adaptées au public visé. Ces dernières ne doivent être ni trop faciles, ni trop complexes. Dans le cas de la chirurgie minimale invasive, cette difficulté est encore augmentée par le fait qu’une même tâche ne présente pas le même degré de complexité avec les différentes techniques et n’entraîne pas nécessairement les mêmes habiletés (par exemple, notre tâche de

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familiarisation de l’étude 1 était trop simple en laparoscopie classique alors qu’elle présentait un certain degré de complexité avec le robot).

Nos tâches étaient issues et validées par différentes études (Scott et al., 2000, Derossis et al., 1998). Elles reprenaient un ensemble d’habiletés de base considérées comme élémentaires en chirurgie (« tâches primitives », Stone & McCloy, 2004 ; Gallagher &

Satava, 2002 ; Derossis et al., 1998). Nous avons montré qu’elles étaient toutes sensibles à l’expertise chirurgicale (les experts étant meilleurs que les novices dans toutes les tâches), ce qui leur confère une certaine validité quant à leur rapport avec la pratique chirurgicale. Les résultats obtenus dans nos études suggèrent que les tâches et le type d’apprentissage doivent être différents et fonction de la technique chirurgicale utilisée. Nos observations mettent également en évidence la nécessité d’utiliser différents types de tâches pour exercer les diverses habiletés indispensables à la pratique chirurgicale. Dans le même ordre d’idées, Verwey et al. (2005) préconisent d’utiliser notamment des tâches avec des champs de tailles différentes. Cette suggestion rejoint notre commentaire concernant la condition de laparoscopie ouverte, que nous avons introduite dans notre plan expérimental (études 3 et 4), dans laquelle la vision complète du champ permettait une anticipation et planification de l’action qui n’était pas réalisable dans les autres conditions et qui participait ainsi à l’excellente performance enregistrée dans cette condition expérimentale.

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4 RÉSUMÉ ET CONCLUSION DES IMPLICATIONS DE NOS RÉSULTATS

Notre étude a principalement mis en évidence que si les images en 3D procurent de manière générale de meilleures performances, ainsi qu’une plus grande confiance en soi, satisfaction et facilité, la sensibilité à la profondeur lors de l’interaction avec un environnement complexe n’est pas constante et dépend de l’intervention de plusieurs facteurs qui modifient (en réduisant ou en amplifiant) l’apport de la vision 3D. Les facteurs qui influencent le traitement de l’information de profondeur lors d’actions émises à partir d’images en 2D et 3D sont notamment la complexité de la tâche, l’expertise du sujet, l’instrument utilisé pour réaliser l’action, les mécanismes d’apprentissage et la taille du champ visuel (qui permet la mise en place de stratégies d’anticipation et de planification).

En résumé, des différents points abordés dans notre discussion, nous pouvons tirer des conclusions importantes qui relèvent à la fois des sphères théorique et pratique.

Sur le plan perceptif :

1° il existe des mécanismes qui permettent de compenser la perte des indices binoculaires lorsque l’image est en deux dimensions ; cependant, leur mise en œuvre efficace dépend des ressources disponibles (et donc en partie de la complexité de la tâche ainsi que des aspects instrumentaux mis à la disposition du sujet) et nécessite un long processus d’apprentissage (à travers l’action notamment par une pratique par essai et erreur49).

2° les mécanismes de compensation mis en place à partir d’une image en 2D peuvent être tellement robustes que l’information tridimensionnelle n’apporte pas d’amélioration significative par rapport à la vision 2D.

Sur le plan instrumental :

1° la complexité d’une tâche ne dépend pas seulement de la nature de celle-ci mais aussi des caractéristiques de l’instrument utilisé et de l’environnement dans lequel l’action prend place

49 Dans un premier temps, chez les novices en tout cas.

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2° la nature de la tâche peut déterminer le choix et l’utilité d’une technique (par exemple, une tâche nécessitant de nombreux déplacements de caméra dans un site vaste n’a pas les mêmes exigences instrumentales qu’une tâche de microchirurgie qui demande une très grande précision et peu de mouvements de caméra)

3° avec la complexification des technologies, il se crée une double expertise lors des interactions avec un instrument, une liée à la tâche qui permet l’acquisition de compétences transversales utilisables avec différents instruments et une liée à l’utilisation d’un outil spécifique qui permet d’en exploiter au maximum tous les avantages et qui, contrairement au premier type d’expertise, dépend fortement des conditions habituelles d’utilisation de l’instrument.

5 LIMITES ET PERSPECTIVES DE NOTRE ÉTUDE

Notre recherche avait pour objectif de mettre en évidence les facteurs contextuels qui modulaient les différences de traitement des images en 2D et 3D pour l’action dans l’environnement complexe que représente la chirurgie minimale invasive. Notre étude comporte cependant une série de limites. En effet, plusieurs facteurs, autres que ceux que nous avons mis en évidence, doivent intervenir dans le traitement de l’information visuelle en 2D et 3D.

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