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Le rôle spécifique des espaces publics et semi-publics

Dans le document La mixité sociale en habitation. (Page 82-87)

Dans la plupart des projets étudiés, les concepteurs ont attribué un rôle central aux espaces publics (le parc, l’allée) et aux espaces communs internes (l’espace café) ou extérieurs (la cour) à chaque bâtiment. Ces espaces étaient censés favoriser les interactions et les échanges entre les différentes catégories sociales. Or la plupart des études évoquées ici montrent que si ces espaces ont effectivement favorisé l’acceptation de la mixité sociale, ce n’est pas tant par les moyens qu’envisageaient les concepteurs (c’est-à-dire par les interactions entre différentes catégories sociales) que parce qu’ils ont permis l’affirmation d’une identité propre à chaque sous-groupe concerné (ce qui n’a pas manqué, par ailleurs, de susciter des tensions), affirmation qui à son tour rendait plus « vivable » la cohabitation avec les autres groupes sociaux, tout en favorisant l’attachement au lieu. Dansereau, Germain et Éveillard (1996, p. 37) notent au sujet des espaces semi-publics du quartier Angus que « [même s’ils] ne constituent guère un vecteur de rapprochement de catégories sociales différentes, ils offrent des opportunités d’expression et de modelage de l’environnement selon les aspirations des résidants. Ils permettent ainsi à chacun d’évoluer dans un micro-milieu qui lui ressemble, ce qui s’avère indispensable en

situation de fort brassage social ». Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette affirmation de l’identité ne nuit pas à la mixité sociale mais est au contraire essentielle pour le maintien sur place, l’échec de cette affirmation identitaire induisant le repli sur soi ou le départ. Pinçon observe le même phénomène au Sillon de Bretagne : les couches moyennes se sont approprié le centre socioculturel, les immigrants se sont approprié le café, mais ce sont ces processus d’appropriation qui leur permettent d’envisager une vie sociale sur place plutôt que la fuite (pour les couches moyennes) ou l’isolement (pour les travailleurs immigrés). Les espaces semi-publics (c’est-à-dire propres à un bâtiment ou à un groupe de résidants), qui permettent cette appropriation, doivent donc être distingués des espaces publics. L’absence d’une démarcation claire entre ces deux types d’espaces, conjuguée à une inégalité flagrante dans la taille et l’aménagement des espaces semi-publics et privatifs a constitué une source importante de conflits dans l’îlot Rousselot.

Les espaces publics, quant à eux, peuvent favoriser l’attachement des résidants dans leur ensemble à leur espace de vie. Ainsi, si l’allée piétonnière de l’îlot Rousselot est un « lieu de conflit », elle est aussi un « lieu d’identité » (Éveillard, Dansereau et Germain, 1995, p. 50) : par la qualité de son aménagement, elle est un sujet de fierté pour les habitants, favorisant ainsi une identification commune au lieu.

En conclusion, une gradation est nécessaire entre espaces publics et semi-publics qui, tout en étant également indispensables à la « réussite » de l’opération, le sont pour des raisons différentes, et doivent être distingués de ce fait.

Encadré 8 – Qu’est-ce que le « néo-urbanisme » (new urbanism) ? Le « néo-urbanisme » 32, qui se rattache en partie au mouvement du « Smart Growth », est le courant théorique actuellement prédominant en matière d’architecture et de planification urbaine aux États-Unis. Il a été formulé en réaction au modèle de développement urbain (la ghettoïsation des « inner-cities ») et suburbain (l’étalement des banlieues) dominant depuis l’après-guerre. Il reflète une nostalgie pour les vieux quartiers urbains, pensés comme étant ancrés dans une histoire, caractérisés par une architecture et des relations sociales très denses créant un sentiment de communauté. Le but de ce mouvement est donc de recréer une telle atmosphère en travaillant à une échelle spatiale restreinte, celle du quartier. La structure spatiale valorisée s’inspire par exemple des villages coloniaux de la Nouvelle Angleterre, ou des quartiers édifiés avant la seconde guerre mondiale. S’inscrit dans cette perspective le mouvement des « Neo-traditional suburbs » mené par Peter Calthorpe en Californie (Calthorpe, 1993) et par Elizabeth Platter-Zyberk et Andres Duany en Floride (Duany et al., 1991). On compte sur la médiation des dispositifs spatiaux pour induire un « sentiment de communauté » ou, dans des termes plus sociologiques, pour stimuler la formation de capital social (Bothwell, Gindroz et Lang, 1998).

Les dispositifs spatiaux sur lesquels s’appuie le néo-urbanisme sont : la diversité des types d’architecture, la diversité fonctionnelle (mélange du résidentiel et d’autres activités), la construction de logements destinés à divers groupes de revenus, et une architecture visant à favoriser la marche et les contacts visuels (rues piétonnes, importance des espaces semi-publics…).

Ce mouvement a été initialement créé par des architectes, et il jouit aujourd’hui d’une forte institutionnalisation à travers le CNU (Congress for the New Urbanism) et les liens qu’il a développés tant avec les promoteurs privés qu’avec les autorités publiques. Les principes du néo- urbanisme ont ainsi été explicitement adoptés par le Department of Housing and Urban Development (HUD) et constituent un élément clé du projet HOPE VI qui vise à transformer des complexes de logements sociaux très défavorisés en quartiers plus diversifiés socialement et fonctionnellement.

Au Canada, bien que le mouvement soit moins étendu qu’aux États-Unis, on dénombre 30 collectivités aménagées selon les principes du néo- urbanisme, ou en voie de l’être. La plupart sont regroupées en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta (Tomalty, Hercz et Spurr, 2000). Les critiques les plus couramment adressées au néo-urbanisme concernent d’une part le déterminisme spatial postulé et d’autre part, la réalisation effective de la mixité sociale. En ce qui concerne le déterminisme spatial, Talen (1999) montre que si l’environnement physique a un impact sur la fréquence des contacts visuels entre les gens, le lien entre la fréquence des contacts et la création d’un « sentiment de communauté » reste à démontrer. Beaucoup d’études locales soulignent l’échec de l’objectif de mixité sociale (Fainstein, 2000; Falconer Al-Hindi, 2001; Zimmerman, 2001) : les projets décrits sont majoritairement situés dans des quartiers de banlieue, de sorte que si l’on peut atteindre un certain degré de mixité à l’intérieur des hauts revenus, on ne touche pas le public des revenus bas et moyens.

Ceci étant, il semble que les études publiées reflètent mal l’étendue des projets réalisés; en effet, de nombreux projets logés à l’enseigne du néo- urbanisme ont été réalisés dans les quartiers défavorisés (Bothwell, Gindroz et Lang, 1998; Bohl, 2001), en particulier dans le cadre du programme HOPE VI. Bohl (2001) montre que les principes du néo- urbanisme vont dans le sens d’une amélioration de la situation de ces quartiers défavorisés : la valorisation de la mixité sociale correspond à la stratégie de déconcentration de la pauvreté de HOPE VI, la diversité fonctionnelle augmente les opportunités économiques pour les plus démunis, l’attention prêtée à la qualité architecturale, aux faibles densités et aux espaces publics augmente la satisfaction résidentielle des habitants. Ainsi, tout en abandonnant l’idée d’un déterminisme spatial, il semble que les principes du néo-urbanisme puissent contribuer à la réhabilitation de ces quartiers, si on les combine à des politiques économiques et sociales adaptées.

Cependant, à travers la défense simultanée de l’objectif de mixité sociale et des faibles densités résidentielles (à l’intérieur d’un même bâtiment, même si les bâtiments sont serrés entre eux), le néo-urbanisme pose le problème du maintien du nombre de logements sociaux disponibles pour les ménages à bas revenus. Les objectifs quantitatifs et qualitatifs de la politique du logement entrent ici en conflit, dilemme qui est renforcé par le coût financier élevé des opérations logées à l’enseigne du néo- urbanisme.

Encadré 9 - Le courant du Smart Growth

Le mouvement « Smart Growth » promeut une nouvelle approche du développement urbain visant à concilier croissance et préservation de l’environnement (Dansereau et al., 2001). Il définit en conséquence un certain nombre de principes d’urbanisation pensés comme respectueux de l’environnement :

• Une planification globale, intégrée et régionale;

• Une perspective de développement économique durable; • La collaboration de tous les acteurs concernés;

• La diversification des modes de transport; il s’agit en particulier de promouvoir les transports en commun afin de réduire l’utilisation de l’automobile;

• La réutilisation des espaces disponibles et des infrastructures existantes;

• Favoriser la proximité entre les lieux d’emplois et de résidence;

• Concentrer le développement commercial dans des espaces centraux denses.

En ce qui concerne le logement, ce courant valorise une mixité résidentielle incluant des logements abordables et répondant aux besoins de différents types de ménages et de groupes d'âges. L'offre de logement doit donc être diversifiée et prévoir la transformation des logements selon les changements dans le cycle de vie des ménages. Les projets de construction résidentielle devraient aussi encourager les maisons en rangée plutôt que les unifamiliales isolées (Danielson, Lang et Fulton, 1999). L'approche demande donc une plus grande flexibilité quant au règlement de zonage.

Les bénéfices d'une telle approche portent, selon ses défenseurs, essentiellement sur les coûts d'infrastructure (d'eau, de transport et d'électricité) et de distribution des services publics (écoles, hôpitaux, bibliothèques, etc.). La consommation d'espace décroît de même que les coûts du sol par logement. La mixité fonctionnelle des espaces urbains garantirait un meilleur accès aux lieux d'emploi. Face à cela, plusieurs auteurs contestent ces affirmations et prétendent qu'au contraire, le modèle «Smart Growth» contribue à diminuer le nombre de logements abordables, voire à favoriser la ségrégation, notamment en fragilisant les locataires à bas revenus dans des espaces à haute densité et faisant l'objet de transformations (Lang et Hornburg, 1997). Les impacts du « Smart Growth » en termes de mixité sociale ne sont donc pas dénués d’ambiguïtés (Pendall, 2000).

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