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1.5 Paramètres sociolinguistiques

1.5.3 Le rôle des participants

« Si les lieux sociaux déterminent les formes argumentatives qui y sont produites, c’est parce qu’ils définissent les acteurs sociaux qui y argumentent ; les lieux et les acteurs sociaux sont liés de façon très spécifique. » (C. Golder 1996). Ainsi, l’école propose aux élèves d’être des acteurs argumentants. Nous pouvons supposer qu’aux yeux de l’élève le débat philosophique est considéré comme un exercice, comme celui de mathématiques ou de grammaire, alors l’élève tente de réussir l’exercice, en se comportant et en argumentant en fonction de ce qu’on attend de lui (car c’est le « lieu scolaire » qui le veut). Justement, que doit faire l’élève ? comment définir le rôle des interactants ?

C. Golder décrit l’argumentation comme une activité doublement « logique » ; « logique » au sens où elle est fondamentalement dialogale et qu’elle suppose par conséquent que chacun des participants interprète ce qui est dit dans un contexte social déterminant (je dis quelque chose pour quelqu’un qui interprète ce que je dis et, dans le cas du dialogue, me renvoie son interprétation sur laquelle je m’appuie pour continuer mon discours). Nous devons nous cantonner à un rôle en passant par celui de locuteur, de récepteur, et d’observateur. Repris par R. Vion (1992), R. Linton (1977 :71-72) désigne le rôle comme « l’ensemble des modèles culturels associés à un statut donné. Il englobe par conséquent les attitudes, les valeurs et les comportements que la société assigne à une personne et à toutes les personnes qui occupent ce statut. […] En tant qu’il représente un comportement explicite, le rôle est l’aspect dynamique du statut :ce que l’individu doit faire pour valider sa présence dans ce statut. » Pour développer les termes de « statut » et de « rôle », nous entrons dans l’élaboration du cadre participatif. La position est la posture que nous exprimons envers notre propre parole ou celle de l’autre, dans sa production comme dans sa réception. Cette position change sans cesse dans le fil de l’interaction. A la suite des travaux de E. Goffman en 1987 (à qui nous devons la notion de « cadre participatif »), des chercheurs ont développé une typologie des structures de participation caractéristiques des interactions en classe, produisant des opportunités fort différentes de participation, par exemple en contexte scolaire :

- la classe entière interagit avec l’enseignant qui contrôle l’échange - les élèves travaillent en petits groupes, éventuellement avec l’enseignant - l’enseignant à une relation exclusive avec un élève à la fois

- l’élève travaille seul à sa table

J-M. Colletta (2004) explique que « le nombre de participant à une interaction est un paramètre important car si, dans un dialogue, chacun est tour à tour locuteur puis interlocuteur, il n’en va plus

de même dans une interaction entre trois participants ou plus. La question des rôles interlocutifs devient alors centrale : qui est locuteur à l’instant t de l’interaction et qui est interlocuteur ? Tous les participants participent-ils activement aux échanges ? » Le cadre participatif désigne « l’ensemble des rôles interlocutifs actualisés durant une interaction. » C. Kerbrat-Orecchioni (1996) introduit dans le cadre participatif la distinction entre les récepteurs :

1) les participants « ratifiés » ils font officiellement partie du groupe conversationnel, ainsi qu’en témoigne « l’arrangement physique » de ce groupe, et le comportement non verbal de ses membres (distance à laquelle ils se tiennent, orientation du corps et des regards) ;

2) les simples spectateurs, qui ne sont que les témoins d’un échange dont ils sont en principe exclus ; catégorie à l’intérieur de laquelle E. Goffman distingue encore :

- les récepteurs en « surplus » : l’émetteur est conscient de leur présence dans l’espace perceptif (situation fréquente dans les lieux publics) ;

- et les « épieurs », intrus qui surprennent à l’insu du locuteur un message qui ne leur est en rien destiné.

Nous pouvons classer, pour notre étude des discussions philosophiques en classe primaire, tous les élèves et l’enseignant dans le groupe 1 car tout le monde est sensé participer au débat. Pour les élèves qui ne participent pas, nous ne pouvons pas pour autant les ranger en simples spectateurs, car personne ne les a exclus, ils se sont exclus eux-mêmes (par manque d’intérêt pour le sujet par exemple). C. Kerbrat-Orrechioni continue sa classification en précisant que la première catégorie mentionnée (qui est aussi la plus importante), celle des récepteurs ratifiés, ou destinataires, comprend :

- les destinataires directs, ou allocutaires, c’est-à-dire ceux que le locuteur admet ouvertement comme ses principaux partenaires d’interaction ;

- et les destinataires indirects (ou latéraux).

Dans les conversations à deux participants, le non-locuteur correspond nécessairement à l’allocutaire (il y a un seul destinataire direct, et pas de destinataire indirect présent). Mais la situation est plus complexe dans les « trilogues » (et a fortiori dans les « polylogues »), puisque l’on peut avoir les trois schémas suivants :

L1 L2 : allocutaire direct L3 : allocutaire indirect L1 L3 : allocutaire direct

L2 : allocutaire indirect

Le destinataire direct peut être identifié sur la base d’un certain nombre d’indices d’allocution produits par le locuteur, et qui sont de nature verbale ou non verbale.

-indices verbaux : terme d’adresse, ou séquence métacommunicative précisant l’identité du destinataire direct (« Dis-moi, Pierre, qu’en penses-tu ? ») ; ces marqueurs sont clairs, mais loin d’être systématiques.

- indices non verbaux : orientation du corps et direction du regard, E. Goffman allant jusqu’à définir l’allocutaire comme « celui vers qui le locuteur dirige son attention visuelle » ; ces marqueurs sont en effet constamment présents dans les interactions orales, mais ils sont loin d’être toujours clairs. Ainsi le regard est-il une donnée éminemment flexible : il peut glisser d’une personne à l’autre sans que cela corresponde forcément à un changement d’allocutaire (en tout état de cause, le locuteur ne regarde jamais que par intermittence son destinataire direct)

Récepteurs

Participants ratifiés

Participants non ratifiés ou «

bystanders », témoins, tiers

Participants

«adressés»

Participants

«non adressés»

ou

indirects

Intrus

acceptés

dans

l’espace

perceptif

Intrus

illégaux,

épieurs

Source :http://icar.univ-lyon2.fr

Le format de réception

Ces explications mettent en scène tous les participants présents sur le lieu de l’interaction, et pour le cas d’un débat en classe, il s’agit des élèves et de l’enseignant. Le rôle de l’élève consiste à répondre à la question posée, et celui de l’enseignant est de l’y aider. Pour guider ses élèves dans l’expression orale, l’enseignant doit se mettre dans une « perspective interactionniste » (A. Florin 1999). A la base des travaux de Bakhtine, Vygotsky (psychologie soviétique des années 30), et de l’école de Palo Alto (groupe de psychiatres américains des années 50), se trouve la notion d’interaction : toute action conjointe mettant en présence au moins deux acteurs, chacun d’eux modifiant son comportement en fonction des réactions de l’autre. Selon Vygotsky, l’individu est le résultat des ses rapports sociaux et il s’agit de comprendre comment l’interaction entre l’enfant et son environnement constitue le moteur de l’acquisition du langage, comment les adultes experts aident au développement des compétences de l’enfant novice, en guidant son activité de manière à lui permettre de réaliser de manière autonome ce qu’il a d’abord pu effectuer avec l’aide l’adulte. La différence, entre le niveau de résolution de problèmes avec l’aide de l’adulte et celui atteint seul, définit la « zone proximale de développement », celle dans laquelle l’éducation est efficace ; en dessous, l’enfant n’apprend rien qu’il ne connaisse déjà ; au dessus, les exigences de la tâche sont trop élevées par rapport à ce que l’enfant peut apprendre. Nous pouvons donc nous demander, par rapport à la philosophie en classe, comment être dans la zone proximale de développement pour certifier un apprentissage efficace ? C’est là que le rôle de l’enseignant est primordial, dans le guidage, dans le jaugeage entre ne pas trop assister l’enfant (en finissant ses phrases par exemple) et l’abandonner (ne pas le faire approfondir une réponse trop floue, ou le laisser dans la perplexité…). Pendant les débats, l’enseignant manifeste sa présence. Nous les appelons les « feed-back », et R. Vion (1992) précise qu’il s’agit principalement de signaux d’écoute. « Le sujet qui produit ces reprises manifeste sa prise en considération de l’autre et des objets discursifs construits. »

Quoiqu’il en soit, chaque prise de parole engage sa responsabilité, et expose le locuteur à l’impitoyable regard ou jugement de ses congénères.

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