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Image de soi (ethos), notions de face et de politesse

1.5 Paramètres sociolinguistiques

1.5.4 Image de soi (ethos), notions de face et de politesse

Reformulons, avec l’appui des notes de C. Plantin (2005), les types d’actants dans une situation argumentative : nous avons le « proposant », « l’opposant », et le « tiers ». A chacun de ses rôles correspond une modalité discursive spécifique ; discours de proposition (soutenu par le proposant), discours d’opposition (soutenu par l’opposant) et discours du doute ou de la mise en

question, définitoire de la position du tiers (souvent le rôle de l’enseignant). Dans le cas où le proposant, l’opposant, et le tiers sont réunis, ce dernier assure la stabilité de la question et juge de la pertinence des argumentations. Dans sa forme prototypique, la situation argumentative apparaît comme une situation d’interaction entre discours du proposant et contre-discours de l’opposant, médiatisée par un discours tiers, donc une situation de « trilogue », qui s’incarne de façon exemplaire dans l’échange public contradictoire. Le tiers peut être l’indécis, mais aussi celui qui refuse son assentiment à l’une comme à l’autre des thèses en présence, et maintient le doute ouvert afin de pouvoir se prononcer en « connaissance de cause ». D’après C. Plantin, « le tiers est un sceptique radical qui n’exclut aucune vision des choses. » En revanche, la vision que nous nous faisons de celui qui parle (et celle de nous-même) n’est, elle, pas exclue.

Le problème de la projection de soi dans la parole constitue la théorie de l’ethos. R. Amossy (2006) nous présente ce qu’est « l’ethos oratoire (ou la mise en scène de l’orateur). » Pour exercer une influence, celui qui prend la parole ou la plume doit s’adapter à ses allocataires en essayant d’imaginer aussi fidèlement que possible leur vision des choses. Il doit donc se faire une idée de la façon dont ses partenaires le perçoivent. Par exemple si je dis quelque chose de bien, je serais bien vu. L’importance attribuée à la personne de l’orateur dans l’argumentation est un point essentiel des rhétoriques antiques, qui appellent « ethos » l’image de soi que l’orateur construit dans son discours pour contribuer à l’efficacité de son dire. Dans sa Rhétorique, Aristote nomme ethos, en grec « personnage », l’image de soi que projette l’orateur désireux d’agir par sa parole. Il souligne le fait que cette image est produite par le discours. Il ouvre ainsi un débat qui va se poursuivre au long des siècles, et dont on trouve jusqu’à ce jour des retombées. Il s’agit de savoir s’il faut privilégier l’image de soi que l’orateur projette dans sa parole, ou plutôt celle qui dérive d’une connaissance préalable de la personne. Pour Aristote, c’est bien dans le discours qu’il importe de construire l’image de soi. L’ethos, note R. Barthes, consiste dans les « traits de caractère que l’orateur doit montrer à l’auditoire (peu importe la sincérité) pour faire bonne impression : ce sont ses airs… ». […] « L’orateur, ajoute Barthes, énonce une information et en même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela » (Barthes, 1994 : 315). Eggs insiste de son côté sur le fait que sont exigées de l’orateur aussi bien des compétences que la capacité à activer certaines qualités dans le discours en fonction des besoins du moment. Il retraduit ainsi un texte d’Aristote : « les orateurs inspirent confiance, si leurs arguments et leurs conseils sont compétents, raisonnables et délibérés, s’ils sont sincères, honnêtes et équitables et s’ils montrent de la solidarité, de l’obligeance et de l’amabilité envers leurs auditeurs » (Eggs dans Amossy, 1999 : 41). Il en ressort que la dimension morale et la dimension stratégique de l’ethos sont inséparables. R. Amossy cite également M. Pêcheux (1969), lorsque celui-ci raconte que A et B, aux deux bouts de la chaîne de communication, se font une image respective l’un de l’autre : l’émetteur A se fait une image de lui même et de son interlocuteur

B ; réciproquement le récepteur B se fait une image de l’émetteur A et de lui-même. En vertu de ce principe, C. Kerbrat-Orecchioni suggère d’incorporer « dans la compétence culturelle des deux partenaires de la communication […] l’image qu’ils se font d’eux-mêmes, qu’ils se font de l’autre, et qu’ils imaginent que l’autre se fait d’eux-mêmes » (1980 : 20). Pour R. Amossy (2006), l’ethos est, comme l’auditoire, tributaire d’un imaginaire social et se nourrit des stéréotypes de son époque : l’image du locuteur est nécessairement en prise sur des modèles culturels. Il faut avoir accès au stock d’images d’une société donnée, ou encore connaître l’image publique d’une personnalité politique ou médiatique. Il faut tenir compte :

- de l’image qu’on se fait de la catégorie sociale, professionnelle, ethnique, nationale, etc. du locuteur ;

- de l’image singulière qui circule d’un individu au moment de l’échange argumentatif ; - de la possibilité d’images différentes, voire antagonistes, du même locuteur selon l’auditoire

visé.

Nous pouvons nous dire que cela vaut peut être plus pour les adultes que pour les enfants. Chez les élèves, nous pourrions retrouver ce genre de stéréotypes : parce que l’élève qui parle est quelqu’un de turbulent, qu’il se fait toujours gronder, et qu’il a des mauvaises notes, inconsciemment les auditeurs vont se faire de lui une image négative, et conclure que ce qu’il dit n’est pas intéressant. R. Vion (1992) prétend que la communication, assimilable au jeu théâtral, implique une « mise en scène » par laquelle les sujets font circuler des images d’eux-mêmes. E. Goffman appelle face l’image qu’un sujet met en jeu dans une interaction donnée. « On peut définir le terme de face comme étant la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers la ligne d’action […]. La face est une image du moi » (Goffman 1974 b : 9). Dans la mesure où cette image est concédée par les autres elle est constamment remise en cause à chaque interaction. D’où l’intérêt de préserver la face, de faire « bonne figure » et surtout, de ne pas perdre la face. « L’individu a généralement une réponse émotionnelle immédiate à la face que lui fait porter un contact avec les autres : il la soigne ; il s’y attache. Si la rencontre confirme une image de lui-même qu’il tient pour assurée, cela le laisse indifférent. Si les évènements lui font porter une face plus favorable qu’il ne l’espérait, il « se sent bien ». Si ces vœux habituels ne sont pas comblés, on s’attend à ce qu’il se sente « mal » ou « blessé ». Il est alors évident que la face n’est pas logée à l’intérieur ou à la surface de son possesseur, mais qu’elle est diffuse dans le flux des évènements de la rencontre. Aussi, E. Goffman appelle figuration l’ensemble des procédures entreprises pour éviter que les interactants ne perdent ou ne se fassent perdre la face. Goffman, Brown, Levinson (1978) distinguent deux faces :

Face positive. Cette expression désigne l’ensemble des images de soi, la partie narcissique de chacun. Besoin qu’ont les gens d’être valorisé.

Face négative. C’est le territoire, le domaine de l’intime, sur lequel il ne faut pas empiéter. C’est ce qui dérange (parler fort, coller les gens, couper la parole…)

Les travaux sur la notion de face et de figuration ont débuté avec E. Goffman en 1974 dans ses Rites d’interaction. Il est clairement avancé que toute interaction suppose d’être attentif et prudent sur ce qu’on pense d’autrui. Au cœur de la pragmatique de la politesse, nous retrouvons le modèle de P. Brown et S. Levinson (1980). L’idée globale est que l’interaction est la préservation de sa face et celle d’autrui. « Au cours de l’interaction, chacun prend les précautions nécessaires pour que personne, y compris lui-même, ne perde la face » (V. Traverso 1999). Le modèle est centré sur l’objet « face », et sa préservation. Il y a les FTA (face threatening act = acte menaçant pour la face), et les FFA (face flattering act = acte flatteur pour la face). Nous pouvons les détailler en quatre groupes :

• Actes menaçants pour la face négative de celui qui les subit : marcher sur les pieds de quelqu’un, poser une question indiscrète…

• Actes menaçants pour la face positive de celui qui les subit : critiques, reproches…

• Actes menaçants pour la face positive de celui qui les accomplit : aveux, excuses, autocritiques…

• Actes menaçants pour la face négative de celui qui les accomplit : promesse, offre, engagement…

La stratégie de politesse consiste à éviter les FTA. Nous pouvons aussi nous référer aux maximes de G. Leech (1983 : 132) :

• Maxime de tact : minimiser le coût pour les autres et maximiser les bénéfices. Plus quelque chose est embêtant, plus on sera poli, et plus on fera des efforts pour minimiser l’embêtement.

• Maxime de générosité : minimiser les bénéfices pour soi, maximiser le coût pour soi. Cela construit une image positive de celui qui le fait. C’est juste de la valorisation.

• Maxime d’approbation : minimiser les critiques des autres et maximiser les louanges des autres

• Maxime de modestie : minimiser les louanges pour soi-même et maximiser les formes d’autocritiques. Techniquement, lorsqu’on fait des compliments à quelqu’un, il est censé les refuser. Pourtant, les gens recherchent toujours de la reconnaissance.

• Maxime d’accord : minimiser le désaccord entre soi et les autres. Maximiser l’accord entre les actants.

• Maxime de sympathie : minimiser l’antipathie entre soi et les autres et maximiser la sympathie. On évite d’être dans « l’agressif », on cherche le « chaleureux ». Etre poli par

sympathie c’est être à l’écoute, compréhensif, compatir…

Malgré tous les stratagèmes possibles pour qu’une conversation se déroule sans anicroches, il arrive qu’elle prenne une tournure conflictuelle, surtout dans le cas d’un débat argumentatif, et que les interactants se voient s’armer d’arguments habilement accompagnés de preuves et d’exemples pour pouvoir négocier.

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