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Le processus d’autoformation en tant que pratique sociale

CHAPITRE II RÉFÉRENTS THÉORIQUES

2.2 L E PROCESSUS D ’ AUTOFORMATION

2.2.2 Le processus d’autoformation en tant que pratique sociale

Le processus d’autoformation est considéré en tant que pratique sociale dans cette étude. À la suite des idées d’Overgaard (1994) et de Demers, Lefrançois, et Éthier (2015) au sujet de l’éducation en tant que pratique sociale, nous proposons à notre tour de considérer l’autoformation comme pratique sociale; c’est-à-dire, comme « entreprise normative », ayant ses propres finalités située dans un contexte sociohistorique comportant des facteurs géographiques, économiques, politiques, etc. L’autoformation en tant que pratique sociale permet de « répondre à des besoins partagés par une communauté pour atteindre un but commun » (Demers et al., 2015, p. 10); finalités qui demeurent par ailleurs multiples et arbitraires, comme le maintien de

l’ordre social (p. ex., adhésion aux traitements) ou le désir de changement (p. ex., lutte pour l’accès au logement abordable, au travail). Cette conceptualisation abstraite de la vie sociale en tant qu’enchevêtrement de pratiques est commune parmi les sociologues comme l’exprime Glaeser (2005) :

[…] perhaps already a common place, at least among social scientists working ethnographically and/or historically. I propose to imagine social life as an incredibly dense thicket of partially independent and partially interacting social processes (Glaeser, 2005, p. 18)

Lorsque l’autoformation est envisagée comme pratique sociale, cela indique que les préoccupations de recherche porteront en partie sur la relation entre le travailleur et son entourage socioprofessionnel. Or, l’étude des pratiques sociales pour être systémique ne peut se limiter uniquement à l’étude des rapports sociaux (p. ex. soutien à l’autoformation). La relation que le travailleur établi avec l’environnement et les ressources matérielles qui s’y trouvent (objets, espaces physiques, etc.) compte tout autant et contribue à documenter les pratiques d’autoformation des travailleurs. Les approches sociomatérielles suggèrent de prendre en considération l’environnement non-humain (Fenwick et al., 2012) plutôt que de miser uniquement sur les capacités intrinsèques ou relationnelles des travailleurs. Par exemple, l’usage qu’un travailleur fait d’un objet pour diminuer l’anxiété pendant la journée de travail sera un artéfact fort utile pour rendre visible les pratiques effectives de gestion des symptômes cliniques mises en œuvre par le travailleur chez lui ou au travail.

Les pratiques sociales sont de plus étroitement liées à l’idée d’éducation informelle. Bourdon et Bélisle (2005) précisent :

Quant à l’éducation informelle, appelée aussi apprentissage non structuré, on l’associe souvent à la maison, la rue, les divers lieux d’exécution ou de réalisation du travail (dans son sens large), de consommation et de loisirs (Bourdon & Bélisle, 2005, p. 214).

Hrimech (1996) cité dans l’ouvrage de Bezille (2003) définit à son tour l’apprentissage informel :

[…] désigne un champ d’apprentissage plus large : l’ensemble des expériences éducatives qui se produisent tout au long de la vie et qui rendent possible l’acquisition des savoirs, d’habiletés et d’attitudes, par le biais de l’interaction quotidienne que tout individu entretient avec son environnement (p.129)

L’apprentissage informel est ainsi étroitement lié au domaine de la santé (Bastable, 2008; Hagan & Bujold, 2014). Entre autres, parce que la plupart des apprentissages en santé se réalisent en milieu extrascolaire.

Enfin, puisque l’apprentissage s’inscrit dans la durée, l’aspect longitudinal de l’autoformation sera soutenu par l’idée de l’éducation tout au long de la vie :

L’éducation tout au long de la vie est une construction continue de la personne humaine, de son savoir et de ses aptitudes, mais aussi de sa faculté de jugement et d’action. Elle doit lui permettre de prendre conscience d’elle-même et de son environnement et de jouer son rôle social dans le monde du travail et dans la cité. Le savoir, le savoir-faire, le savoir vivre ensemble et le savoir-être constituent les quatre aspects, intimement liés, d’une même réalité. (Delors, 1996, p. 211)

Ainsi, l’éducation tout au long de la vie permet de considérer les travailleurs avec un TMG en tant qu’apprenants en activité perpétuelle situés au sein de contextes sociohistoriques et environnementaux variés.

En résumé, nous adoptons une perspective écosystémique de l’autoformation qui invite le chercheur à s’attarder à un processus conçu en tant que pratique sociale prenant en considération les relations que le travailleur tisse avec les personnes des divers systèmes évoqués plus haut (facilitateurs), les lieux (domicile, espace public, espace de

travail), les objets (objets de littératie) et le temps en cours d’apprentissage (Fenwick et al., 2012).

En définitive, la notion d’apprentissage culturel pourrait bien résumer l’ensemble des considérations que nous venons d’explorer au sujet de l’apprentissage informel et de l’autoformation. L’apprentissage culturel repose sur une compréhension

anthropologique des êtres humains qui véhiculent d’une génération à l’autre certaines pratiques, valeurs, normes et idées. Ces pratiques sociales sont acquises de manière

plus ou moins consciente en grande partie par mimétisme (Jeffrey et al., 2011; Overgaard, 1994; Wulf, 2013), c’est-à-dire en observant d’abord les comportements d’autrui pour ensuite les reproduire à sa manière (apprentissage vicariant). Certaines pratiques sociales comme les salutations deviennent des habitudes appelées

conventions, rites ou rituels du quotidien, ce qui libère le travailleur d’un

questionnement perpétuel sur les comportements adéquats. Jeffrey et al. (2011) abordent les éléments-clés des rituels selon l’anthropologie historique allemande : « Le rituel est une pratique corporelle (p.38) […] Les rites engagent un ensemble de mouvements corporels, de gestes, de mimiques, de déplacements pratiqués seuls ou en groupe. Le rite est le corps en action normé par des règles internes et sociales. (p.38) […] il y a des rites répétés quotidiennement surtout ceux qui accompagnent la satisfaction des besoins corporels de base et les rites de salutation » (p.40) (Jeffrey et al., 2011).

C’est dans cette conception de l’apprentissage culturel que se trouvent liés les aspects individuels et collectifs de l’apprentissage; soit, ce qui en fait une pratique sociale. D’une part, les efforts personnels du travailleur pour apprendre (aspect individuel) et se conformer ou remettre en question les normes sociales (p. ex. nécessité de tolérer un seuil minimal de stress, refuser de travailler des heures supplémentaires); d’autre part, il y a la question des normes, des idées, des valeurs et des croyances véhiculées par le groupe de travailleurs (aspect collectif) qui exercent à leur tour une influence sur les

pratiques individuelles (p. ex., d’être ponctuel, d’être diligent envers ses collègues). Juste avant de compléter cette section, nous justifierons pourquoi nous avons adopté une perspective d’apprentissage plutôt qu’une perspective d’éducation ou de pédagogie adaptée pour cette étude.

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