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CHAPITRE II RÉFÉRENTS THÉORIQUES

2.2 L E PROCESSUS D ’ AUTOFORMATION

2.2.1 L’autoformation

Une définition opérationnelle du concept est proposée par D'Ortun (2011a) : « L’autoformation est un mode de formation où l’apprenant prend l’initiative et choisit de manière autonome les buts et les méthodes d’apprentissage et acquiert des

connaissances en utilisant ses propres ressources et celles de son milieu. » (D'Ortun, 2011a, p. 23). L’autoformation n’exclut pas l’apport d’autres personnes à l’apprentissage (Tremblay, 1986). C’est plutôt l’autodidaxie, aussi appelée soloformation ou autoformation intégrale, qui correspondrait au fait d’« assumer soi- même l’ensemble des fonctions d’enseignement habituellement dévolues à un tiers » (Tremblay, 1986). Les recherches contemporaines sur l’autoformation s’inscrivent dans cinq principaux courants : autoformation intégrale, existentielle, sociale, éducative et cognitive; ce qui est communément appelé par les chercheurs la galaxie de l’autoformation de Carré; soit une « […] gravitation commune autour du centre paradigmatique de l’apprendre par soi-même. » (P. Carré, Moisan, & Poisson, 1997, p. 18). Le tableau ci-dessous résume l’essentiel.

Tableau 2.1

Cinq principaux courants de recherche sur l’autoformation selon Carré (1997).

Principaux courants de recherche Éléments-clés 1- Autoformation intégrale Autodidaxie

2- Autoformation existentielle Apprendre sur soi par soi

3- Autoformation sociale Apprendre avec et par le groupe social d’appartenance et par le groupe de travail 4- Autoformation éducative Apprendre au sein de dispositifs ouverts

5- Autoformation cognitive Apprendre à apprendre et tous les mécanismes

psychologiques reliés au fait d’apprendre

Toujours en référence avec le tableau ci-dessus, voici quelques exemples. Un travailleur ayant un TMG qui parle de rétablissement ferait davantage écho à

l’autoformation existentielle; il pourrait exprimer avoir vécu une transformation

identitaire, délaissant le rôle de malade pour celui de travailleur ou de citoyen (Deegan, 2005). L’autoformation sociale serait bien représentée par la décision du travailleur de divulguer sa condition de santé à l’employeur pour bénéficier du soutien de ses

collègues (M. Corbière, Villotti, Toth, & Waghorn, 2014). Lire sur le Web au sujet des effets indésirables d’un nouveau médicament à la bibliothèque municipale correspondrait à l’autoformation éducative (Bauman & Rivers, 2015). Le travailleur qui s’expose volontairement et progressivement à l’élément déclencheur du stress afin de se désensibiliser serait un bel exemple d’autoformation cognitive (Lecomte et al., 2014). Enfin, l’idée d’élaborer un aide-mémoire pour y référer lors de moments plus anxiogènes au travail correspond à l’autoformation intégrale. Diverses modalités d’autoformation pourraient d’ailleurs coexister chez un même travailleur.

Si la proposition de Carré (2005) au sujet des types d’autoformation permet de conserver l’ouverture d’esprit nécessaire à la reconstitution de catégories émiques (selon le point de vue des participants), il ne suggère toutefois pas ce qui devrait être observé afin de répondre à la question de recherche proposée sur les modalités d’autoformation. En s’inspirant des idées de Carré sur l’autoformation (2005) et d’autres écrits théoriques sur le sujet (D'Ortun, 2011a; Hrimech, 2000), voici ce que des chercheurs réputés disent au sujet des motifs de l’apprentissage; des objets d’autoformation spécifiques, des stratégies mises en œuvre pour apprendre et des

finalités perçues de l’autoformation.

À propos des motifs de l’autoformation, D’Ortun (2011) rapporte les travaux de P. Carré (2001) inspirés par ceux de Deci et Ryan (1985) :

Le modèle décline trois motifs d’ordre « intrinsèque » : épistémique (lié à la connaissance, au contenu lui-même); socioaffectif (en vue de bénéficier de contacts sociaux); hédonique (pour le plaisir). De plus, Carré propose sept motifs d’ordre « extrinsèque » : économique (tirer des avantages, dont une promotion); prescrit (injonction d’autrui, pression de la conformité); opératoire professionnel (connaissances, habiletés, attitudes perçues [comme] nécessaires au travail); opératoire personnel (nécessaires à la réalisation d’activités hors du champ du travail); identitaire (nécessaires à une transformation, une

reconnaissance, à l’image de soi); vocationnel (logique d’orientation, de gestion de carrière ou de recherche d’emploi). (D'Ortun, 2011a, p. 30)

Les objets d’autoformation sont aussi variés. Dans le contexte d’une recherche exploratoire, il est impératif de bien les circonscrire afin de baliser les efforts de recherche. Précisons d’emblée que ce n’est pas l’autoformation à la carrière ou en cours d’emploi qui retient notre attention (D'Ortun, 2011b). L’objet d’autoformation qui retient notre attention est uniquement la gestion des symptômes cliniques d’un trouble mental expérimentés au travail. Déjà, on sait que le choix de cet objet d’apprentissage est justifié par le désir de documenter ce facteur de maintien en emploi (Williams et al., 2016).

En ce qui concerne les stratégies d’autoformation mises en œuvre lors du processus étudié, les travaux de Hrimech (2000, 2002) demeurent inspirants.

Hrimech (2002) dégage une quinzaine de stratégies d’autoformation, d’entretiens menés auprès de travailleurs, qu’il classe en stratégies sociales, cognitives et métacognitives. Les plus fréquentes sont la lecture, l’apprentissage par l’expérience ou par la pratique, l’essai et erreur, le coaching et le mentorat, la discussion et les échanges avec les experts, Internet et l’imitation. Comme d’autres dispositifs d’apprentissage, l’autoformation se fait par le biais de stratégies personnelles variées, plus ou moins conscientes et plus ou moins complexes que les individus développent au fil de leurs interactions avec les autres individus, les contenus à apprendre, les tâches à réaliser et les compétences à acquérir (D'Ortun, 2011a, p. 35).

Les stratégies d’autoformation, de formation, d’information ou d’autodidaxie (annexe B) n’impliqueraient pas les mêmes dispositifs d’autoformation continue (D'Ortun, 2011a, p. 28). L’autoformation, notion centrale dans cette étude, impliquerait une relation multidirectionnelle : « La relation entre le formateur et l’apprenant est multidirectionnelle (du formateur à l’apprenant, de l’apprenant au formateur et de l’apprenant à lui-même). (D'Ortun, 2011a, p. 28). Même si une part de l’apprentissage

en santé se fait en solo « à la Robinson Crusoé », le concept d’autoformation ne signifie pas nécessairement autodidaxie intégrale. Le concept d’autoformation utilisé en sciences de l’éducation permet de tenir compte à la fois de l’apprentissage autodidacte et de celui réalisé dans le cadre d’une relation de soutien à l’autoformation.

En ce qui concerne les finalités de l’autoformation, on peut estimer qu’elles sont variées et liées aux motifs d’apprentissage des travailleurs déjà énoncés ci-dessus : amélioration des conditions de vie, maintien de l’équilibre mental, rétablissement, bien-être, etc. Le concept d’autoformation s’éloigne de l’idée d’une autodidaxie intégrale « à la Robinson Crusoé » (Philippe Carré et al., 2010) et inscrit le travailleur au sein de rapports sociaux. Ainsi, les travailleurs et les facilitateurs interagissent en fonction de motifs, de moyens et de finalités précises quel que soit l’objet d’autoformation retenu. Puisque l’autoformation s’inscrit dans le lien social, le processus d’autoformation sera alors considéré comme une pratique sociale.

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