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D. Description ou qualités du Philosophe

1. Le portrait implicite de Socrate

Quelles sont les conditions essentielles et premières pour celui qui franchit les portes de la philosophie ? Aristote de Stagire disait que tout le monde pouvait entrer dans la maison de la philosophie, mais que très peu allait en sortir. De fait, n’importe quel vulgaire possède les qualités nécessaires pour philosopher. Mais, la plupart des gens ne soucient guère de l’importance de vivre en philosophant. Les écoles contemporaines regorgent de jeunes personnes talentueuses qui vont se contenter d’obtenir un diplôme pour se trouver un emploi. La vie philosophique est un engagement. Elle s’adresse à l’âme tout entière. Elle exige de l’apprenti philosophe un désir profond de se perfectionner et de travailler ardemment pour se débarrasser de tous ses vices pour acquérir toute la sagesse nécessaire à l’obtention du bonheur. À l’image de la musique,

la philosophie doit savoir soulever les âmes et la transporter hors du corps pour contempler les idées universelles. Si la philosophie est considérée par Socrate comme la plus haute des vertus, elle ne se préoccupe pas uniquement des harmonies, du rythme et des accords. Bien que les recherches pythagoriciennes aient probablement pénétré le milieu scientifique de l’époque, Platon et Socrate comparaient la philosophie à la musique à cause de leurs similitudes. La philosophie, tout comme la musique, s’accapare des âmes et les transporte vers les plus belles hauteurs. Les deux disciplines soulèvent l’âme humaine. Platon avait constaté les effets de la musique sur l’âme. Elle a le don, lorsque les harmonies et les accords sont ordonnés avec soin, d’engourdir les âmes.

D’abord, elle les paralyse. Puis, elle les guide hors du corps 1 pour les diriger vers un lieu hors du commun. L’âme abandonne toute activité. Elle s’abandonne entièrement aux chants et aux rythmes. Le monde sensible cède sa place à un lieu imaginaire où règne la paix et la joie. Les problèmes s’estompent. Le mal est oublié. L’âme n’en a plus que pour la musique.

La comparaison ne s’arrête pas là. À l’image de la philosophie, la musique reste ancrée dans la mémoire. Une fois que le son et le rythme pénètrent l’âme, il n’est plus possible de les éliminer de la mémoire. Si la guerre, la famine et le vice peuvent enlever à l’homme tout ce qu’il possède, la musique ne peut pas être expurgée de la mémoire.

Personne ne peut éliminer de l’âme cette joie musicale qui la fait vibrer. Les grandes pièces musicales ne peuvent pas être effacées de la mémoire individuelle. La musique est un bienfait pour l’âme. Elle fait non seulement rêver, mais elle est une créatrice d’espoir.

La philosophie joue un peu le même rôle. Elle paralyse et elle engourdit l’âme humaine pour lui rappeler sa nature divine. En quelque sorte, la musique est à !’imagination ce que la maïeutique est à la mémoire. Elle la transporte vers ses premières origines. Bien que la musique ne dépasse pas le stade de !’imagination, la philosophie s’adresse à la faculté intellectuelle. Et pourtant, il faut admettre que la musique contient sa part de rationalité.

L’ordre qui régit les sons et le rythme provient, en partie, de la raison. Bien entendu, elle n’est pas un ordre qui cherche à découvrir les causes des phénomènes naturels et célestes.

1 Bien entendu, il s’agit d’une figure de style. Pourtant, la musique donne !’impression de libérer l’auditeur en le transportant dans un autre univers.

C’est la raison pour laquelle les Grecs anciens considéraient la musique comme un produit des Muses.

Le philosophe se démarque des autres par son tempérament calme, à l’exception des questions morales comme la justice et la vérité. Dès le moment où la discussion prend forme, ses yeux s’enflamment et son discours prend immédiatement vie. Il se démarque par sa capacité de participer à des débats de grandes envergures comme la morale et la métaphysique. D’un premier regard, il donne l’impression d’être une personne complètement déconnectée de la réalité sensible. Et pourtant, sa capacité de raisonner et sa grande culture lui permettent de soutenir une discussion en l’émiettant en petits morceaux et de le reconstituer dans un ordre presque parfait. Il est vrai qu’il n’aime pas sombrer dans des débats futiles qui concernent le commun des mortels. Mais, lorsque cette discussion concerne la vérité, alors il sait faire preuve d’un grand courage afin d’éliminer les erreurs qui peuvent se glisser dans les commentaires des autres intervenants. Personne ne considère le philosophe comme un expert dans quelques disciplines quoi que ce soit. Et pourtant, il possède lui aussi une paideia. Une

«methodos» qui lui sert dans plusieurs domaines où la connaissance scientifique est nécessaire.

Il faut maintenant regarder plus attentivement les qualités propres au philosophe. Quel que soit le texte platonicien, les qualités de l’âme requises pour philosopher ne diffèrent en aucun point. Tous les dialogues insistent sur le fait que l’âme du philosophe doit être de nature tempérante, juste, 'courageuse, magnanime, prudente et elle doit être dotée d’une bonne mémoire et d’une grande facilité d’apprentissage. Le bonheur s’acquiert avec une âme qui se laisse guider par la prudence.

Le rôle de la tempérance est de délivrer le sage de la passion des richesses. Elle ne lui permet aucunes bassesses de sentiments et aucunes petitesses d’esprit. Il doit savoir garder un juste milieu dans toutes choses. Il est connu que les assoiffés d’argent sont prêts à tout pour satisfaire leur obsession. Il n’y a qu’une façon de s’enrichir : le vice. Le fondement du capitalisme ne repose-t-il sur le mensonge et la duperie ? Le philosophe ne

peut se permettre ni l’un ni l’autre. De toute manière, les échanges des biens matériels ne l’intéressent guère. Il n’y a que le troc intellectuel qui mène à la divinité qui le motive dans ses actions de tous les jours. La sagesse doit élever le philosophe vers la connaissance du monde intelligible en le délivrant des illusions du monde sensible.

Même s’il est vrai que le sage a besoin de certaines subsistances pour combler les besoins du corps, la pensée du philosophe ne se concentre pas sur la quantité de choses à posséder mais seulement celles dont il pourra apporter avec lui. Or, la seule chose que l’âme peut apporter avec elle est la sagesse. Une juste remarque de M. Joseph Moreau, à propos du Lâchés, dirige le regard du lecteur sur l’importance de la pensée en ce qui concerne la délivrance de l’âme du corps lorsqu’il écrit que : la vertu véritable est celle du philosophe, pour qui le bien suprême est la φρόνησις, le bien de la pensée ; celui qui ne connaît pas cette valeur suprême ne peut être attaché qu’à son corps (φιλοσώματος), aux richesses (φιλοχρήματος), ou aux honneurs (φιλότιμος), bref à des intérêts sensible (...) 1.

La justice aborde la question de la répartition des richesses de l’âme et de la terre à qui de droit selon l’ordre et la raison. Chaque personne a un rôle à jouer au sein d'une société.

Une juste politique consiste à placer tous les citoyens au bon endroit pour qu’ils puissent contribuer efficacement, par leur travail, à l’amélioration de la cité. De la même façon, le philosophe doit disposer des objets sensibles en suivant les recommandations de la raison. Si le philosophe désire servir de modèle pour les autres citoyens, il doit impérativement être une personne juste. Tout le monde désire la justice. Le philosophe veut non seulement une juste répartition des biens matériels à qui de droit, mais il désire par-dessus tout la justice divine. L’âme, durant sa migration, a contemplé les notions intelligibles telles la justice et la tempérance. Il est important que l’âme se souvienne de ces idées pour l’appliquer correctement dans le monde sensible. Si le philosophe-roi est vraiment un être divin à la tête de la cité, il doit nécessairement être en mesure de connaître et d’appliquer la justice dans tous les domaines sociaux. Elle est une condition essentielle au bon maintien de la paix et de l’ordre dans la cité. Mais, elle garde également le respect entre chacun des concitoyens. Elle évite les désaccords qui contribuent en partie au déclin des sociétés.

1 La construction de l’idéalisme platonicien, par Joseph Moreau, Éditions Boivin et Cie, Paris, 1939, p. 87

Le courage, pour sa part, est également nécessaire. D’abord, il l’aide à traverser le chemin de la sagesse. De fait, ce chemin est difficile. C’est pourquoi il est assez facile de se décourager à tout moment. Les obstacles et les difficultés que cette route impose ne doivent pas faire reculer le philosophe. Deuxièmement, le courage permettra au philosophe de reconnaître ses propres capacités pour être en mesure de les surpasser.

Pour avancer sur la route de la sagesse, il faut que le philosophe sache où il se situe par rapport à elle. S’il soit vrai que !’acquisition de la sagesse comporte certains risques, le philosophe doit les connaître pour se préparer à les surpasser. Ou mieux encore, il doit également savoir les contourner dépendamment de son caractère. Le courageux n’est pas celui qui affronte tous les dangers, mais celui qui sait braver ceux qu’il peut vaincre. Pour les autres, il doit les éviter pour progresser vers sa quête vers la sagesse. Le philosophe doit parfaitement connaître la nature humaine pour gravir les échelons de la sagesse.

Cette connaissance lui procurera quelques pistes à suivre pour parvenir à son but. Le courageux sait le danger qu’il est en mesure de combattre et les obstacles qu’il ne peut pas surmonter.

Mais, les qualités de l’âme du philosophe lui permettant de bien philosopher ne s’arrêtent pas là. En effet, les textes platoniciens donnent au lecteur plusieurs pistes qu’il est impératif de relever afin de parfaire notre recherche. Il faut noter que le but des dialogues platoniciens n’était pas, pour Platon, de divulguer sa véritable pensée. Ils sont la représentation de la vie philosophique prônée par Socrate. Ils sont une sorte d’idéalisation de la réalité qui exige de la part du lecteur de participer à cette réflexion entamée par les philosophes grecs pour trouver les contradictions qui se trouvent dans les traités. Ils demandent au lecteur de participer activement en découvrant les problèmes soulevés par les questions philosophiques. Les qualités du philosophe sont eux aussi subtilement cachées dans les dialogues afin d’obliger le chercheur à les trouver par lui- même.

D’abord, le philosophe doit avoir une inclination naturelle à la vertu. La question de

!’acquisition de la vertu devient incontournable. D’où provient cette inclinaison ? Est-elle

innée ou s’acquiert-elle ? Selon les textes, il devient difficile de se prononcer en faveur d’une option ou d’une autre. Si le lecteur prend la phrase au pied de la lettre, il semble qu’il est possible de déduire que la vertu soit innée puisque Platon parle d’une inclination naturelle. Si les Idées platoniciennes sont innées puisqu’elles sont dans une âme immortelle, alors il est peut-être permis d’affirmer que la vertu serait également innée puis qu’elle provienne de l’activité de l’âme. Platon, dans les Lois 1, semble avoir opté pour cette hypothèse. Mais, la situation se complique lorsque la phrase est prise dans toute son extension. Platon parle de la vertu au singulier et non pas au pluriel. Or, Platon confesse, dans les Lois 1 2, qu’il est encore impossible de savoir si la vertu est une ou multiple. Il devient alors encore plus difficile de sé prononcer sur cette question. Mais, il est sûr qu’il existe des êtres courageux et tempérants même s’il est encore impossible de connaître les causes de ces actions vertueuses. Par conséquent, comment est-il possible de reconnaître un être qui a une inclination naturelle à la vertu sans la définition même de la vertu ? Comment peut-on différencier un acte courageux par accident d’un acte courageux commis par un être véritablement courageux ? Il faut inévitablement éviter de confondre un lâche chronique qui fait preuve d’un acte de courage d’un être vraiment courageux car son éducation risque de fausser les données.

Pourtant, la problématique reste tout entière. Devient-il possible de changer un lâche pour le former au courage ou est-ce une perte de temps ? S’il devient une perte de temps de changer la nature d’un être humain, alors non seulement cette question remet en cause tout le fondement de la thèse selon laquelle la vertu est innée, mais elle remet aussi en cause la problématique de l’enseignement individuel et politique. Il devient alors légitime de demander s’il est possible de former des politiciens. Naît-on politicien ou le devient- on ? Platon se pose la même question à propos du sage : devient-on philosophe ou naît-on ami de la sagesse ? De fait, les textes comme le Protagoras, le Gorgias ou le Ménon 3 préparent le lecteur à prendre en considération cette difficulté. S’il est possible de former n’importe quel citoyen à la vertu, alors la vertu devient l’affaire de tous les citoyens.

Sinon, la formation philosophique ne s’adresse qu’à une infime partie de la population. Et

1 Platon, Les Lois. 904c 2 Ibid, 965d

3 Voir Platon, Ménon, 70a

pourtant, Socrate cherchait à convertir les citoyens athéniens à la vertu. Aristote aussi disait que tout le monde pouvait entrer dans la maison philosophique mais que peu d’entre eux allaient en sortir. Donc, il est permis de croire que les trois philosophes admettaient que la vertu pouvait être l’affaire de tout le monde. Et pourtant, le doute subsiste toujours. Si peu de gens vont parvenir à franchir toutes les étapes philosophiques, alors quelle est la cause qui expliquerait ces échecs si nombreux.

De toute façon, un argument n’élimine pas nécessairement l’autre. En effet, si l’homme vient au monde avec la capacité de pratiquer les vertus, il n’est pas évident qu’il deviendra vertueux. Que la vertu soit innée ou non, il est possible d’observer des actes vertueux. La problématique concerne plutôt la capacité à enseigner les vertus. La réponse de Platon est de dire que tous les êtres doués d’une âme subissent des changements dont ils portent en eux la cause. Autrement dit, les vertus feraient partie de l’âme.

Une autre qualité associée au sage est qu’il doit être calme et courageux. Il ne doit pas développer une mentalité enfantine, ni posséder une « attitude de femmes ». En effet, l’âme doit vivre dans l’ordre avec calme et constance. La fougue empêche le philosophe d’accéder au monde de la connaissance car elle brouille l’âme en lui faisant prendre des directions contraires. Les larmoiements et les pleurs n’aident aucunement à progresser dans le chemin de la sagesse. Les philosophes doivent apprendre à se maîtriser s’ils veulent franchir les échelons de la vie philosophique. Platon ne précise pas vraiment sa pensée lorsqu’il parle de l’attitude féminine. Pourtant, ses remarques auraient été un précieux atout. Quels auraient été les défauts que le philosophe doit impérativement chercher à se débarrasser pour détourner son regard du fond de la caverne ?

Troisièmement, le philosophe doit non seulement être doué d’une bonne mémoire, mais elle doit être constante et inébranlable. Socrate et Platon admettent volontiers qu’il faut plus qu’une vie pour franchir toutes les embûches de la vie philosophique. C’est pourquoi l’accent sur la mémorisation des connaissances est une qualité essentielle au philosophe.

La piètre mémoire du philosophe l’oblige à recommencer continuellement son travail.

L’oubli fait toujours retourner le philosophe à la case départ. Il faut toujours garder en

mémoire que l’âme, chez Socrate et Platon, apporte ses connaissances dans l’autre monde. Si la récompense du philosophe est de discuter, dans l’autre monde, avec les autres grands esprits, il doit alors conserver toutes ses facultés dignes d’une âme alerte pour les transporter avec elle dans cet autre univers. Mais, d’abord, il doit les développer autant que sa nature lui permet.

Quatrièmement, il est un amoureux de toute espèce de travail comme les études et les exercices. La paresse physique et surtout intellectuelle est à proscrire. Comment le reconnaît-on ? Le philosophe est sincère et il déteste par-dessus tout le mensonge. Il n’en a que pour la vérité. C’est pourquoi il chérit la science. Elle vise, non pas les fausses opinions et les mythes qui sont des produits de !’imagination, mais la vérité qui est un travail de la raison. Mais Platon ne précise pas dans les détails ce que sont ces exercices.

Certains indices peuvent cependant être entrevus. Platon préconisait un type de scolarité que les Latins nommeront plus tard le trivium et quadrivium. Le trivium se composait de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique. L’importance des mots ainsi que l’apport du langage dans le travail philosophique que l’on retrouve tout particulièrement dans le Cratyle n’étaient pas aux yeux de Platon qu’une simple convention. Les mots avaient un rôle majeur dans !’éducation des philosophes. Les mots étaient pour le philosophe d’Athènes le reflet de la pensée. Ils seront donc le point de départ des autres exercices comme la rhétorique et de la dialectique.

La vision rhétorique de Platon et celle des Sophistes de son époque, tel que le dernier chapitre cherchera à l’établir, était diamétralement opposée. Pour Platon, la rhétorique cherche à convaincre les gens de poser telle ou telle action dans le but de faire le Bien alors que les Sophistes s’en servaient dans le seul et unique but de faire de l’argent. La dialectique, pour sa part, était une science qui avait pour mission de rechercher la vérité.

La rhétorique et la dialectique part des opinions formulées par la pensée humaine et elles sont transmises par les mots.

Le quadrivium portait sur la musique, la géométrie, l’arithmétique et l’astronomie. La première concernait l’étude des harmonies tandis que les autres abordaient surtout les

questions mathématiques. Cette base éducationnelle était, pour Platon le point de départ de toute bonne étude philosophique. Elles ne suffisent pas, mais elles sont nécessaires pour Γ éducation des philosophes. Enfin, Γ astronomie cherchait à comprendre le monde céleste grâce à la rotation des astres. Les astronomes de l’époque voulaient comprendre la logique qui se cachait derrière la course des planètes et de leurs lunes. La première question qui vient à un jeune esprit qui lit ces lignes platoniciennes est de comprendre les raisons qui ont motivé Platon à insister tout particulièrement sur les mathématiques pour la découverte de la sagesse. Bien qu’il soit vrai que les mathématiques aident à former des esprits scientifiquement rigoureux, le problème est que les mathématiques font référence à !’imagination, et non pas à la raison. Bien que !’intelligence dépende de

!’imagination pour fonctionner adéquatement, la géométrie et l’arithmétique n’ont seulement qu’une utilité pratique. Il est vrai que Platon chercha à comprendre le monde sublunaire en l’expliquant par des opérations mathématiques. Mais, ces disciplines ne

!’imagination pour fonctionner adéquatement, la géométrie et l’arithmétique n’ont seulement qu’une utilité pratique. Il est vrai que Platon chercha à comprendre le monde sublunaire en l’expliquant par des opérations mathématiques. Mais, ces disciplines ne

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