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Le policy-mix aujourd’hui : l’enjeu de la monétisation

Dans le document La politique conjoncturelle - 2 (Page 18-22)

1.3.1 Une cible d’inflation non-atteinte : des PMNC limitées et un endettement insuffisant 1.3.1.1 Un cible manquée . . .

Une inflation modérée est recherchée par les Banques centrales (objectif de 2 % de la BCE par exemple).

Cependant, depuis la crise de 2008, et en dépit des politiques d’assouplissement quantitatif, les Banques centrales ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs en termes d’inflation. La remontée de l’inflation en 2021 est principalement due à une tension sur le marché des matières premières. Pour B. Coeuré : « plus l’inflation faible perdure et plus la crédibilité des Banques centrales risque d’être affectée ».

L’économie mondiale, et en particulier les économies avancées sont soumises à de nombreux facteurs déflation-nistes, en dehors du choc négatif qu’a représenté la crise COVID. L’inflation est restée basse principalement en raison de la conjoncture économique (chômage élevé, faible croissance des salaires), et des facteurs inter-nationaux (faibles prix mondiaux des produits échangeables, prix modéré de l’énergie entre 2015 et 2020).

Pour E. Monnet et D. Puy (2021), depuis 2010, la volatilité moyenne des prix à la consommation dans un pays donné est expliquée à plus de 50 % par la mondialisation. D’après la Banque de France (P. Diev et al., Comment expliquer la faiblesse de l’inflation en zone euro depuis 2013 ?, 2021), près d’un tiers de la faible inflation sur la période 2015-2019 (par rapport à la période 1999-2007) s’explique par un chômage plus élevé.

Si l’inflation a repris depuis septembre 2021, il faut souligner que cette hausse est surtout due à la hausse du prix des matières premières, et non à une réelle reprise de l’activité économique (la forte croissance n’étant qu’un rattrapage de la perte de production).

1.3.1.2 Des politiques monétaires non-conventionnelles critiquées qui arrivent à leurs limites

Les politiques d’assouplissement quantitatif ont pour but de relancer l’inflation (cf. infra). Cependant, il y a trois critiques principales envers ces politiques :

• La hausse du prix des actifs conduit à accroître les inégalités de patrimoine (Bennani et al., 2021)

• Parmi les actifs achetés, une partie est associée à des industries polluantes ce qui encourage ce type d’activité dans un contexte de transition énergétique

• Un risque de dominance budgétaire (situation où la Banque centrale est contrainte par la politique budgétaire en particulier par une dette publique élevée et croissante dans sa capacité à préserver la stabilité des prix, cf. infra). Pour S. Schnabel (The Shadow of Fiscal Dominance, 2020), ce risque n’est pas avéré pour la BCE, mais le maintien d’un fort endettement public tend à accroître la possibilité.

1.3.1.3 Des conditions d’endettement favorables, mais toujours un risque

Si pour O. Blanchard (2019), les conditions d’endettement (r-g négatif) sont favorables, cela n’est pas sans risques. Pour P. Mauro et J. Zhou (2020), r-g < 0 n’est pas une condition suffisante pour assurer la soutenabilité de la dette : historiquement, le coût d’emprunt peut soudainement augmenter avant que les pays n’aient à faire défaut sur leur dette. Enfin, pour W. Lian et al. (2020), l’actuel épisode de r-g négatif pourrait ne pas durer longtemps. En effet, la durée de r-g négatif au XXe siècle, est d’autant plus brève que le niveau initial de dette publique est élevé. Par ailleurs, même en présence de taux nuls, voire négatifs, une remontée rapide des taux suite à une crise de confiance sur les marchés pourrait fortement faire peser le poids du service de la dette. Ainsi, les auteurs plaident pour une politique de monnaie hélicoptère (cf. infra).

1.3.2 Le recours à la monnaie hélicoptère (ou la monétisation de la dette publique) 1.3.2.1 Qu’est-ce que la monétisation ou la monnaie-hélicoptère ?

V. Sterk et S. Tenreyro (The Transmission of Monetary Policy through Redistribution, 2018) définissent la politique de « monnaie-hélicoptère » (en référence à l’expression de Milton Friedman) comme : « une aug-mentation de l’offre de monnaie qui n’est pas accompagnée d’une augaug-mentation de la détention d’obligations par la Banque centrale mais par un transfert direct à une autorité fiscale ».

Cette politique peut également consister en ce que l’on appelle une monétisation de la dette publique, c’est-à-dire une émission de dette par le gouvernement entièrement financée par la création de monnaie par la banque centrale. En pratique, il n’y a pas de différence entre un transfert effectué par les autorités fiscales à la population et financé par des émissions de dette rachetée par la Banque centrale, et le fait que ce même transfert soit effectué directement par les autorités monétaires en imprimant la quantité de monnaie correspondante.

Notons que si le quantitative easing est une forme de création monétaire, mais comme c’est associé à une dette, le remboursement des obligations à terme conduit à de la destruction monétaire. Une politique de monnaie-hélicoptère ou de « monétisation de la dette » consiste à une création de monnaie sans achats d’actifs en contrepartie.

1.3.2.2 Une politique nécessaire en situation de stagnation séculaire et de trappe à liquidité

J. Gali (The effect of a money-financed fiscal stimulus, 2020) montre, qu’en situation de trappe à liquidité, une politique de monnaie-hélicoptère est plus efficace pour relancer l’inflation et l’activité économique qu’une politique budgétaire expansionniste financée par la dette.

Pour F-O . Biibiie et X. Ragot (Optimal monetary policy and Liquidity with Heterogenous Households, 2021), un transfert monétaire direct aux ménages ayant la propension marginale à consommer la plus élevée est un outil puissant pour relancer l’inflation et l’activité économique, en particulier par rapport à des politiques qui reposent sur des achats de titres financiers. De plus, la possibilité d’arrêter la politique dès que la cible d’inflation est atteinte en fait un outil aux risques limités.

J-B. Michau (Helicopter Drops of Money under Secular Stagnation : From Ponzi to Pigou, 2020) construit un modèle pour comprendre quelle politique économique permet de sortir de la stagnation séculaire (faible demande agrégée, taux d’intérêt réels faibles et politique monétaire à la borne zéro), et dans le cadre d’une cible d’inflation à atteindre (2 % pour la BCE). Il montre qu’une politique de monnaie-hélicoptère a un effet suffisamment important pour sortir une économie de la trappe à liquidité. Cependant, il est possible que l’inflation générée par la politique soit supérieure à la cible, mais c’est la condition nécessaire pour atteindre le plein-emploi.

Cependant, d’après une enquête de l’ING (Helicopter-money : Loved, Not Spent, 2016), un transfert moné-taire aux agents, bien qu’appréciés, serait surtout épargné ou utilisé pour le remboursement de dettes.

Seulement un quart des enquêtés utiliseraient l’argent en grande partie. Ce faisant, le transfert doit être effectué sous la forme d’un chèque perdant de la valeur au cours du temps (taux d’intérêt négatif sur le cash envoyé) pour empêcher la situation de trappe à liquidité (même si ça n’empêcherait pas les gens de l’utiliser pour se désendetter).

1.3.2.3 Le risque de l’inflation

La monétisation de la dette publique est associée à des épisodes de forte inflation (Allemagne en 1923, hyperinflation dans les pays d’Amérique Latine, etc). C’est la fameuse ricardienne : si demain tout le monde se réveille avec deux fois plus d’argent, les prix augmenteront par deux.

La politique d’envoi de chèques de 1 200 dollars aux citoyens américains de Joe Biden aux États-Unis est susceptible d’avoir un effet inflationniste. Pour L. Ball, G. Gopinath et D. Leigh (US Inflation : Set for Take-off ?, 2021), les modèles utilisés par les économistes d’institutions internationales ainsi que les anticipations des investisseurs de marché font actuellement le constat que l’inflation pourrait atteindre 2,5 à 3 % à la fin de l’année 2021. Pour O. Blanchard (2021), le plan Biden risque de pousser l’économie américaine au-delà de son potentiel de production et de générer des tensions inflationnistes.

Cependant, au niveau européen, la monnaie hélicoptère ne conduirait qu’à une augmentation du bilan de la BCE de 10 % du PIB de la zone euro (contre 60 % pour le quantitative easing ces dernières années) d’après E. Monnet (2021). De plus, pour T. Renault et B. Savatier (2021), un transfert monétaire de 1 % du PIB provoquerait une hausse de 0,5 % de la consommation et de 0,5 point de pourcentage de l’inflation, ce qui permettrait à terme une normalisation de la politique monétaire.

M. Konczal et J. Mason (2021) considèrent qu’une politique monétaire expansionniste pousse les entreprises à davantage investir dans des technologies économes en travail (le prix du capital devenant très faible avec des taux zéro), ce qui contient les pressions inflationnistes en stimulant la productivité.

1.3.3 Quelles perspectives du policy-mix ?

1.3.3.1 Dominance budgétaire ou dominance monétaire ?

Pour T. Sargent et N. Wallace (Some Unpleasant Monetarist Artihmetic, 1980), il existe une arithmétique déplaisante : la croissance des déficits budgétaires conduit in fine à financer ces déficits par la création monétaire, ce qui se traduirait inévitablement par de l’inflation, voire de l’hyperinflation.

O. Blanchard et J. Pisany-Ferry (2019) soulignent qu’une politique d’hélicoptère monétaire conduirait à une confusion entre la politique monétaire et budgétaire, et à une dominance budgétaire. G. Saint-Paul et al. (2021) considèrent que l’indépendance des Banques centrales serait mise à mal par de telles politiques.

Pour le CAE (Que peut encore faire la Banque centrale européenne ?, 2021), une politique d’hélicoptère monétaire rentre dans le cadre du mandat de la BCE, dans la mesure où elle sert à lutter contre l’inflation.

Le transfert monétaire doit être effectué par la Banque centrale européenne dans la mesure où les pays de la zone euro n’ont pas la même capacité à effectuer le transfert, et ont du mal à se coordonner (à la différence des chèques envoyés par le gouvernement américain).

Un nouveau courant de la pensée économique, la Théorie Moderne de la monnaie (S. Kelton,Le mythe du déficit, 2021) considère que la politique monétaire doit se soumettre au service de la politique budgétaire et que la Banque centrale doit acheter de la dette jusqu’à atteindre une situation inflationniste. Pour G. Giraud (L’illusion financière, 2013), la monétisation de la dette doit servir à financer les investissements nécessaires à la transition écologique.

1.3.3.2 Une réforme pour les Banques centrales ?

B. Bernanke (2016) propose d’établir un système au sein duquel la banque centrale peut mener des politiques monétaires et fiscales sans remettre en cause son indépendance. Il suppose par exemple qu’il est possible de créer un régime dans lequel l’autorité fiscale du pays ait un compte spécial auprès de la Banque centrale.

Les banquiers centraux seraient alors les seuls à pouvoir décider quand remplir ce compte et cela sous des limites préalablement fixées.

La Banque centrale ne remplirait ce compte que quand les autorités compétentes des banques centrales décideraient qu’une politique d’hélicoptère monétaire est la seule solution pour faire repartir l’économie de leur pays. Les décideurs nationaux pourraient alors se servir de ces fonds pour mener une politique fiscale expansionniste. Ainsi, la Banque centrale aurait le pouvoir de décider quand cette politique lui paraît nécessaire pour atteindre ses objectifs et elle serait la seule à pouvoir déterminer le montant nécessaire de l’injection de liquidité à effectuer. Cela permettrait de préserver son indépendance tout en conservant l’autorité des gouvernements des pays.

1.3.3.3 Un nouveau ciblage d’inflation ?

L’effet d’une politique monétaire expansionniste reste incertain. O. Blanchard (2010) a longtemps proposé une cible d’inflation à hauteur de 4 % pour l’Union européenne.

1.3.3.4 Un nouveau cadre budgétaire européen ?

cf. cours sur la zone euro

1.3.4 Faut-il annuler les dettes du COVID ?

A. Bénassy-Quéré (2020) : Annuler les dettes : Légal ? Utile ? Souhaitable ?

Elle développe une position à rebours du relatif consensus sur la monétisation de la dette.

Légal ?

L’État ne peut pas annuler sa dette, c’est-à-dire unilatéralement qu’il ne remboursera pas, sauf s’il y est acculé par un motif impérieux, lequel est soumis au contrôle étroit du juge. S’il se trouve dans l’incapacité de faire face à ses échéances de remboursement, l’État doit réunir l’ensemble de ses créanciers et tenter de trouver un accord avec eux, en les traitant tous de manière équitable. Cette négociation débouchera éventuellement sur un rééchelonnement, un moratoire, une baisse des taux d’intérêt voire une réduction du montant dû à l’échéance. L’État ne peut pas négocier en bilatéral avec certains créanciers sans impliquer tous les autres. De son côté, la BCE ne peut pas « annuler » tout ou partie des dettes des États qu’elle détient dans son bilan. Ce serait contraire au traité européen, lequel proscrit le financement monétaire des déficits publics. La banque centrale ne peut pas imprimer des billets pour financer des dépenses publiques, les dépenses d’aujourd’hui comme celles d’hier, accumulées dans la dette. Elle peut échanger des billets contre de la dette publique, à condition toutefois que cette dette lui soit aussi remboursée avec des billets.

Utile ?

La BCE est la propriété exclusive des États membres, donc les revenus tirés de la détention d’actifs financiers sont transférés aux États. Annuler les dettes reviendrait, certes à réduire l’endettement, mais également à perdre les revenus issus de la détention de la dette, ce qui rendrait l’opération neutre en termes de dette nette des actifs détenus. Les défenseurs de l’annulation de la dette publique dans le bilan de la Banque centrale soutiennent que l’opération n’est en fait pas neutre : la perte de la valeur à l’actif de l’État est virtuelle (les revenus tirés de la détention de titres), tandis que l’abandon de la dette à son passif de l’État est réel.

En effet, une Banque centrale peut poursuivre sa mission malgré des fonds propres devenus négatifs : con-trairement à une banque commerciale, elle ne fera pas faillite. Toutefois, la valeur économique d’une Banque centrale est bel et bien la somme actualisée des dividendes futurs qu’elle versera à ses actionnaires – ce que l’on nomme le seigneuriage. En 2019, la Banque de France (qui détient l’essentiel de dette publique française) a versé 6,1 milliards d’euros à l’État français (2,6 milliards au titre de l’impôt sur les sociétés et 3,5 milliards de dividendes). Sas ces versements, les impôts seraient plus élevés en France ou le déficit plus grand. De plus, les marchés financiers dont les États dépendent pour financer les déficits et pour « rouler » la dette (c’est-à-dire prêter de quoi rembourser les dettes devenues à échéance), ne regardent pas seulement le taux d’endettement d’un débiteur, mais aussi la qualité de son actif. Ils ne seraient pas dupes d’une réduction artificielle de l’endettement par la diminution de la valeur de l’actif public.

Annuler dans quel but ?

Si l’annulation de la dette repose sur la possibilité de pouvoir dépenser quoi qu’il en coûte, la présence de taux bas, bien partis pour le rester encore plusieurs années, le permet. Si l’annulation repose sur l’idée de monétisation, cela conduira à de l’inflation et une perte de confiance dans la monnaie pour A. Bénassy-Quéré (2020) avec un recours possible à des monnaies privées.

Souhaitable ?

Lorsque la banque centrale achète de la dette publique, elle le fait sur le marché secondaire – donc après l’émission, lorsque les banques commerciales s’échangent entre elles les obligations publiques. Elle paye non pas en imprimant des billets mais en créditant les comptes que les banques commerciales détiennent auprès d’elle. Ces réserves portent actuellement un taux d’intérêt négatif : la BCE est rémunérée pour les conserver.

Cette situation est profitable pour la banque centrale, et pour les États qui sont actionnaires.

Cependant, cette situation est pathologique : les taux d’intérêt ne devraient pas être négatifs. Ils le sont parce que l’épargne disponible dans le monde est excessive par rapport aux trop rares besoins d’investissement.

Les épargnants ne savent pas où mettre leur argent. L’inflation étant quasi-nulle, ils acceptent de payer une petite commission pour que leur argent soit conservé en sécurité.

Si l’inflation augmente, la BCE devra remonter ses taux et verser des intérêts sur ces réserves – ce qui est la situation normale. Si les obligations publiques à l’actif étaient annulées, cette ressource disparaîtrait.

Pour un temps, la BCE pourrait puiser dans ses fonds propres et cesser de verser une rémunération à ses actionnaires. Si le retour de l’inflation apparaît peu probable, il est inutile de perdre un instrument contre une potentielle lutte contre l’inflation dans le futur.

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