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DÉTERMINATION COMME UNE HEURISTIQUE : UN

MODÈLE COGNITIF

« Ce n’est pas sur la comète où l’on dresse ses plans que l’on passe à l’acte ; la pen- sée trouve son éclairage au fur et à mesure

que l’on perce la situation concrète, la- quelle de son côté s’éclaircit non pas seu- lement à travers l’action opérante, mais

aussi à travers la pensée co-agissante » Karl Mannheim, Idéologie et utopie

Résumé

Dans ce chapitre, nous étudions comment l’entrepreneur détermine son couple produit- marché dans un contexte d’incertitude knightienne. Pour étudier cette question, nous articulons trois corpus théoriques : l’entrepreneuriat, la conception innovante et l’apprentissage.

Nous étudions comment s’effectue une itération d’un couple à l’autre. Cette étude nous permet de caractériser le pilotage entrepreneurial comme la mise en œuvre d’une heuris- tique combinant conception et expérience. Par cette heuristique, l’entrepreneur passe d’un couple produit-marché à l’autre en combinant une démarche de conception basée sur des raisonnements techniques et de marché et une démarche de mise en œuvre par l’expérience. Cette heuristique est la base de la progression de l’entrepreneur dans la définition de ses produits et marchés.

Nous mettons en avant l’importance de l’apprentissage dans la réussite de cette heuris- tique, qui dès lors perd l’apparence de démarche aléatoire qu’elle peut avoir à première vue. Le rendement croissant de l’apprentissage permis par l’heuristique rend celle-ci de plus en plus efficace. Son pilotage délibéré par l’entrepreneur lui permet de résoudre progressivement l’incertitude knightienne et de converger vers une opportunité ainsi construite.

Problématique

Nous étudions comment l’entrepreneur détermine son couple produit-marché dans un contexte d’incertitude knightienne : nous cherchons à savoir d’une part comment les entrepreneurs déterminent la trajectoire de développement de leur firme, et d’autre part comment cette trajectoire peut ‘converger’ vers une opportunité prometteuse, c’est à dire un couple produit-marché qui lui permettra de décoller commercialement.

La première hypothèse concernant la détermination de la trajectoire est que les couples qui la composent surgissent au hasard et que celle-ci est donc aléatoire. La firme essaie ce qu’elle peut comme elle le peut, par une série de lancers de dés en quelque sorte, tentant ainsi sa chance jusqu’à ce que ses ressources s’épuisent. Nous avons vu, cepen- dant, en étudiant la succession de couples composant la trajectoire de Numérical dans le chapitre 1, qu’il existait des continuités d’un couple à l’autre. Cela suggère une autre hypothèse plus vraisemblable, qui est qu’il existe au contraire une logique dans l’enchaînement de ces couples, et que donc la trajectoire est la résultante d’un pilotage par la firme, ou plus précisément par l’équipe entrepreneuriale.1

Nous devons donc étudier la détermination des couples produits-marchés dans une ap- proche émergente, c'est-à-dire nous demander comment les produits sont créés, com- ment les marchés sont identifiés, comment on passe d’un couple produit-marché à l’autre, et comment, enfin, on arrive à celui qui mettra fin à l’incertitude knightienne. Pour cela, nous devons ouvrir la « boîte noire » cognitive et étudier les raisonnements mis en œuvre par l’équipe entrepreneuriale pour résoudre progressivement l’incertitude knightienne en progressant au moyen d’une succession de couples produit-marché qui converge progressivement.

Si l’on se réfère à notre modèle de trajectoire, nous nous intéressons spécifiquement dans ce chapitre aux trois variables que sont l’expertise (la connaissance en général), les produits et les clients.

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Dans ce chapitre, le terme « équipe » désigne le groupe des acteurs impliqués en tant que déci- sionnaires dans la définition des produits et marchés, en faisant l’hypothèse d’un processus col- lectif. Dans le cas d’une startup gérée par un seul entrepreneur, l’équipe se ramène simplement à un membre. L’équipe est donc dans ce chapitre considérée comme un tout unitaire, et donc « en- trepreneur » et « équipe » sont synonymes. La dynamique interne de l’équipe fondatrice, un thème essentiel puisqu’une majorité de startup sont créées par des équipes, sera abordée au cha- pitre suivant.

Figure 28. Objet du chapitre 2 rapporté à notre modèle de trajectoire.

Cadre théorique

Pour étudier la détermination des couples produits-marchés, nous articulons trois corpus théoriques. Le premier est celui de l’entrepreneuriat. Nous nous intéressons au raison- nement de l’entrepreneur dans sa démarche de détermination de l’opportunité. Le se- cond est celui de la conception innovante, c'est-à-dire de la création de produits pour des marchés qui n’existent pas encore. Enfin, nous mobilisons la littérature sur l’apprentissage, et plus particulièrement l’apprentissage par les projets, dans la mesure où la trajectoire d’une startup peut être modélisée comme une collection de projets où l’apprentissage d’un projet à l’autre est un facteur clé de succès dans le pilotage de la trajectoire.

Introduction : Connaissance préalable et vigilance

Malgré un important travail de recherche sur l’identification de l’opportunité, le phé- nomène continue à être mal compris. En particulier, nous ne savons toujours pas pour- quoi certains entrepreneurs identifient certaines opportunités et d’autres pas. Il est dé- sormais admis que cette capacité ne résulte pas de traits de personnalité particuliers tels que intelligence, courage, sens du risque, etc. (Ardichvili, Cardozo et al., 2003). La littérature s’accorde sur deux facteurs qui semblent contribuer à une meilleure identifi- cation des opportunités par les entrepreneurs : la connaissance préalable et la vigilance. Hayek (1948) estimait que le problème central de l’économie n’est pas exprimable en termes d’allocation de ressources, mais de dispersion de la connaissance et de l’utilisation de l’information. La connaissance, en effet, n’est pas donnée à tous en tota- lité, et le stock que chacun possède est limité. Cette affirmation a servi de point de dé- part aux chercheurs en entrepreneuriat pour étudier les différences entre les individus en matière de reconnaissance d’opportunités.

Shane (2000) montre l’importance de la connaissance préalable dans le processus d’identification de l’opportunité. Selon lui, la capacité à identifier une opportunité dé- pend du stock unique de connaissance de l’individu concernant les technologies et les marchés. Shane (2000) montre que lorsqu’ils sont mis en présence d’une même innova- tion technologique, différents individus reconnaîtront différentes opportunités selon

leurs connaissances préalables. L’asymétrie de connaissances est un facteur important pour déterminer qui d’un individu ou d’un autre reconnaîtra une opportunité.

Pourquoi certains reconnaissent une opportunité et pas d’autres, y compris avec le même stimulus ? La littérature sur l’identification de l’opportunité est pleine de discus- sions sur l’expérience, la créativité, le savoir et la connaissance ; ces travaux portent sur la manière dont nous stockons et utilisons l’information pour poursuivre des opportuni- tés. Trois concepts sont distingués : la connaissance, la démarche cognitive et la créati- vité.

Kirzner (1973) utilise le terme de vigilance (“alertness”), définie comme un état élevé d’attention d’un individu qui effectue une tâche particulière, pour expliquer la capacité entrepreneuriale d’identifier les opportunités. Il suggère qu’une vigilance accrue aug- mente la probabilité qu’une opportunité particulière soit identifiée. C’est parce qu’un entrepreneur est vigilant qu’il peut reconnaître une opportunité qu’un autre laissera pas- ser.

Bien que Shane (2000) mette en avant l’importance de la connaissance préalable dans le processus d’identification de l’opportunité, il n’explique pas comment cette connais- sance est acquise. En outre, il étudie bien la connaissance préalable, c’est-à-dire que seule la connaissance acquise préalablement à l’exploitation de l’opportunité est consi- dérée. De manière similaire, Kirzner (1997) n’explique pas pourquoi certains individus seraient plus vigilants que d’autres. Comme nous avons admis, sur la base de la littéra- ture récente, que les traits de personnalité ne jouent aucun rôle, la connaissance et la vigilance ne peuvent venir de ce que les entrepreneurs sont, mais bien de ce qu’ils font ; en d’autres termes, la connaissance et la vigilance sont le produit de la trajectoire de l’entrepreneur. C’est donc celle-ci qu’il faut explorer « de l’intérieur » pour comprendre comment sont déterminés les produits et marchés.

Le raisonnement entrepreneurial

Selon Sarasvathy, la prise de décision en environnement d’incertitude knightienne (Knight, 1921) est l’essence même de l’entrepreneuriat. Malgré cela, Van de Ven (1986) note que la plus grande partie de la littérature sur l’innovation ignore les contri- butions des sciences cognitives ou de la psychologie sociale qui soulignent les capacités limitées des êtres humains à gérer des situations nouvelles, complexes et paradoxales. Dans cet esprit, Adler (1989) encourage les chercheurs étudiant les processus d’innovation à faire appel aux sciences cognitives pour mieux cerner le processus de développement de connaissances nouvelles.

Effectuation: une alternative à l’approche délibérée

Bien que plusieurs chercheurs aient tenté de comprendre le fonctionnement du proces- sus de décision des entrepreneurs, aucun modèle général de la prise de décision en situa- tion d’incertitude knightienne n’en a résulté jusqu’aux travaux de Sarasvathy (2001a). Effectuation

Sarasvathy (2001a) formalise l’approche entrepreneuriale émergente. Dans une étude approfondie d’entrepreneurs ayant réussi à résoudre une incertitude knightienne et déve- lopper de grandes entreprises, elle montre que ceux-ci inversent les principes du raison- nement causal, et que cette inversion forme une nouvelle logique qu’elle appelle ‘effec- tuale’, un néologisme créé pour l’opposer au mode de raisonnement dit « causal ».

Le raisonnement causal, qui sous-tend la démarche délibérée, suppose des buts prédé- terminés et bien structurés, et formule la problématique de décision comme consistant à découvrir le meilleur moyen d’atteindre ces buts. L’optique est donc celle d’une optimi- sation, le « meilleur moyen » signifiant « plus rapide », « moins cher », etc. La rationali- té effectuale part au contraire d’un ensemble de moyens déterminés et s’attache à créer et sélectionner des buts (Sarasvathy et Kotha, 2004). Le raisonnement effectual s’oppose au raisonnement causal dans le sens où il constitue une approche de résolution dynamique de problème dans laquelle les buts émergent à partir des moyens disponibles à l’entrepreneur, et non l’inverse. Le raisonnement effectual de l’entrepreneur peut être résumé de la manière suivante : « étant donné les ressources dont je dispose, que puis-je faire, quel peut être mon prochain but ? »

Figure 29. Raisonnement causal et raisonnement effectual

Source : Sarasvathy (2001a)

Sarasvathy (2001a) compare la logique causale et la logique effectuale en utilisant la métaphore du frigo : Supposons que l’on doive préparer un repas. La logique causale consiste à décider quel plat on veut préparer (fixation du but), puis à en acheter les in- grédients à l’avance : le but détermine les moyens mis en œuvre. Dans la logique effec- tuale, on ouvre le frigo le jour venu, et on fait avec ce qu’il y a dedans : les moyens disponibles déterminent les buts.

Tandis que l’approche causale correspond à une approche délibérée de la stratégie, fixant des buts clairs et stables dans le temps, le raisonnement effectual est non détermi- niste et émergent. Dans cette logique, la notion de but ‘ultime’ disparaît presque totale- ment au profit d’une série de buts locaux se présentant comme des étapes intermédiaires établies en fonctions des moyens disponibles à un instant donné.

Dans ce cadre, une startup ‘effectuale’ est donc caractérisée par l’approche cognitive employée par l’équipe dirigeante dans laquelle les buts émergent à partir des moyens disponibles au cours d’un processus itératif. Si les buts émergent de façon endogène, comme résultat de l’action entrepreneuriale, alors nul besoin de « grande idée » pour commencer, ni de plan précis. Ce qu’il faut c’est démarrer et avancer à partir des res-

Raisonnement causal BUT Moyen 1 Moyen 2 Moyen n Raisonnement effectual Moyens actuels BUT 1 BUT 2 BUT n

sources disponibles.2 Tandis que le raisonnement causal repose sur la logique selon laquelle « dans la mesure où nous pouvons prévoir l’avenir, nous pouvons le contrô- ler », le raisonnement effectual, lui, repose sur la logique selon laquelle « dans la me- sure où nous pouvons contrôler l’avenir, nous n’avons pas besoin de le prédire. » (Sa- rasvathy, 2001a)

Démarche progressive

Ces travaux font donc émerger une vision nouvelle de l’opportunité, conçue comme un processus essentiellement cognitif constitué d’un ensemble de décisions. Cette concep- tion s’oppose à la vision de l’économie classique qui voit le marché comme un méca- nisme finalement statique d’allocation de ressources, et à celle de l’entrepreneuriat posi- tiviste qui conçoit l’opportunité sous l’angle téléologique de la découverte de quelque chose qui existe déjà en soi (Sarasvathy, Dew et al., 2005).

L’effectuation est une séquence de stratégies non prédictives pour une résolution de problème dynamique qui est basée sur les moyens disponibles et dans laquelle les buts émergent à la suite de l’engagement de parties prenantes plutôt que vice versa (Sarasva- thy, 2001b). L’effectuation suggère que les entrepreneurs réussissent en prenant une approche progressive à la définition de leurs produits et marchés (Wiltbank, Dew et al., 2006).

Ardichvili et al. (2003) proposent ainsi que l’enrichissement de la connaissance de l’entrepreneur et l’accroissement de sa vigilance résultent du processus même d’identification de l’opportunité, amenant à l’identification d’opportunités futures. La première opportunité identifiée par l’entrepreneur n’est pas nécessairement très intéres- sante et ce dernier peut avoir intérêt à poursuivre le processus dans l’espoir d’en décou- vrir une meilleure. Ce processus comprend donc plusieurs itérations avant qu’une op- portunité particulièrement intéressante n’émerge. C’est au cours de ces itérations qu’une série de processus d’apprentissage se développe quant aux opportunités possibles (Dutta et Crossan, 2005). L’opportunité peut alors être définie de la manière comme « un en- semble d’idées, de convictions et d’actions qui permettent la création de futurs biens en l’absence d’un marché présent pour ces biens. » (Venkataraman, 1997). C’est cette dé- finition dynamique que nous adoptons.

Ces recherches sont en conformité avec l’étude que nous avons menée de la trajectoire de développement de Numérical dans le chapitre 1. L’opportunité émerge donc d’un processus, pas d’un éclair de génie à l’origine de tout, et elle est le résultat d’une ap- proche cognitive déterminée.

La question qui se pose, dès lors, est celle de la compréhension des mécanismes cogni- tifs mis en œuvre par les entrepreneurs pour piloter leur développement.

De la décision optimisante à la décision créative: choix rationnels, rationalité con- trainte et rationalité expansive

L’opposition entre causal et effectual reflète un débat ancien dans le domaine de la théo- rie de la décision. Étudiant des processus militaires complexes, Klein et Meckling (1958) opposent la prise de décision « optimisante » ex ante à la prise de décision « sceptique » résolvant les incertitudes principales avant de mettre en œuvre des choix

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irréversibles. Lindblom, étudiant la prise de décision politique, introduit le concept de débrouillardise (« muddling through ») et oppose plus radicalement la prise de décision « rationnelle-globale » qui cherche à clarifier les valeurs et les objectifs ex-ante à l’approche par comparaisons limitées et successives dans laquelle l’analyse empirique et la définition des buts sont entrelacées (Lindblom, 1959). De même, Baker et Nelson (2005) introduisent la notion de bricolage entrepreneurial reprise de Levi-Strauss (1962). L’univers instrumental du bricoleur est clos, il fait avec les moyens du bord. On retrouve bien la l’opposition entre l’approche causale par définition de buts, étude des moyens-fins, et test, et celle par la formulation progressive et interactive basée sur les moyens disponibles. Simon (1996) montre que la résolution de problèmes com- plexes se fait avec une rationalité bornée et est guidée par la satisfaction plutôt que l’optimisation.

L’exploration de la startup peut-elle cependant être réduite à une question de résolution de problème ? S’opposant à Simon (1996) pour lequel une théorie de la conception est une théorie particulière de la résolution de problème, Hatchuel (2002) défend l’idée selon laquelle il existe des catégories d’activités créatives correspondant à une rationali- té expansive, c’est-à-dire génératrice de connaissances, et qui échappent donc à l’analogie de la résolution de problème. La rationalité de Simon est un processus de parcours d’arborescence sur un ensemble de possibilité grand, mais fini et donc comp- table (typiquement le jeu d’échecs).

Hatchuel (2002) oppose ainsi la sélection d’un film parmi les programmes des cinémas de son quartier (potentiellement fastidieux mais limité, et donc comptable) et l’organisation d’une soirée originale entre amis (un nombre infini de possibilités). Nous retrouvons bien, formulée différemment, l’opposition de Knight entre les environne- ments risqués (états connus et dénombrables) et les environnements incertains (états objectivement inconnus et donc indénombrables). À la vision de la conception comme résolution de problème, qui choisit parmi un nombre limité de possibilités, Hatchuel (2002) oppose donc une vision créative, qui crée une infinité de possibilités nouvelles. Une perspective ontologique nouvelle : la création de marché

Cette vision créative rejoint, dans le domaine entrepreneurial, le subjectivisme propre à l’école autrichienne (Kirzner, 1997) qui a marqué une évolution importante par rapport à la conception classique de l’opportunité. Selon Kirzner, le subjectivisme met en doute le postulat de l’économie classique selon lequel le seul déterminant d’un phénomène socio-économique est l’environnement physique objectif. Il suggère que, bien que ce dernier existe en soi, il ne peut être étudié proprement que dans la mesure où l’état men- tal subjectif des acteurs concernés est également pris en compte. L’idée du subjecti- visme imprègne la vision qu’a Kirzner de l’opportunité entrepreneuriale lorsqu’il sug- gère que les entrepreneurs utilisent leurs connaissances quotidiennes idiosyncrasiques pour identifier les opportunités. Le subjectivisme considère que l’action est inextrica- blement liée aux perceptions et aux images qui constituent la conscience de l’agent à chaque instant (Dutta et Crossan, 2005). En cherchant une explication à l’entrepreneuriat, les économistes autrichiens comme Kirzner mettent donc en avant non seulement la vigilance et la connaissance particulière de l’entrepreneur, mais également la manière dont cette connaissance se combine avec l’imagination et l’interprétation pour conduire à l’opportunité. Crossan et al (1999) établissent la relation interactive entre la cognition et l’action en remarquant que la connaissance guide l’action, tandis que l’action augmente la connaissance.

Les recherches récentes en entrepreneuriat ont développé la vision subjective de Kirzner en proposant une perspective ontologique plutôt constructiviste. Selon cette perspective, les opportunités entrepreneuriales émergent, c’est-à-dire sont socialement produites (« enacted » en anglais) sur la base de la perception, de l’interprétation et de la compré- hension des entrepreneurs. Dans cette approche, les entrepreneurs sont des acteurs qui construisent, réarrangent, mettent en avant, et démolissent nombre de caractéristiques ‘objectives’ de leur environnement. Le modèle d’organisation est basé sur l’idée que l’ordre est imposé plutôt que découvert, en partant du principe que l’action définit la cognition (Dutta et Crossan, 2005).

Cette vue alternative suggère donc que les opportunités sont créées par les entrepreneurs plutôt que découvertes. Les opportunités émergent en fonction des intentions des indi- vidus, qui elles-mêmes dérivent de la manière dont ceux-ci pensent (Krueger 2000). Allant plus loin, les tenants de la vision créative (Sarasvathy, 2003) estiment que selon la façon dont la connaissance est traitée et utilisée, celle-ci permettra d’ouvrir de nou- velles opportunités ou au contraire de s’en fermer l’accès.

L’implication est que l’opportunité est construite socialement, qu’elle varie selon les entrepreneurs, voire qu’elle leur est propre, et qu’elle ne peut qu’être reconnue a poste- riori, et non identifiée a priori indépendamment des acteurs qui agissent sur elle. Cela ne signifie naturellement pas qu’il n’existe aucun élément objectif à l’opportunité, mais simplement que celle-ci émerge en raison des actions de l’entrepreneur. Ainsi, l’entrepreneur transforme une idée en des artefacts sociaux – marché, produits, firme (Sarasvathy, 2003).

Cette vision ‘créative’ s’oppose à la vision entrepreneuriale dominante, essentiellement positiviste, qui considère que les opportunités existent en tant que telles dans l’environnement, attendant d’être découvertes. Celle-ci sous-tend le modèle entrepre-

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