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Depuis une vingtaine d’années, le sentiment commun des enfants entendants nés de parents sourds d’appartenir à deux « cultures », à deux « mondes » a fait naître aux Etats-Unis principalement, de nombreuses organisations.

En 1983, Milie BROTHER, une étudiante américaine, créé un journal d’informations pour les enfants entendants de parents sourds après ses études à l’université de Gallaudet (destinée aux sourds et malentendants avec une éducation bilingue). En effet, elle a rencontré de nombreuses personnes au cours de ses années d’étudiantes, des sourdes, des entendantes, et d’autres, « comme elle ». Elle a ainsi pu se rendre compte qu’il y avait une réelle différence entre les étudiants qui étaient devenus interprètes grâce aux cours, et les Coda.

Le phénomène « CODA » est donc né principalement grâce à cette femme, qui a créé ensuite l’organisation pour adultes « CODA International » qui existe toujours aujourd’hui.

Le sigle CODA signifie Children Of Deaf Adults, c’est-à-dire enfants nés d’adultes sourds. Depuis la naissance et la reconnaissance de ce phénomène aux Etats-Unis, de nombreux regroupements ont eu lieu dans ce pays, montrant la difficulté de ces personnes à se situer entre deux cultures (sourde et entendante). Dans ce pays tout particulièrement, les rassemblements ont en quelque sorte une visée plus « thérapeutique », de partage, d’échanges, dans le but que les enfants entendants de parents sourds se rassurent entre eux sur leur identité.

En France, l’équivalent des CODA est représenté par le sigle EEPS (enfants entendants de parents sourds). Mais cette idée de « communauté » suscite beaucoup moins d’intérêt qu’aux Etats-Unis Il y a cependant eu, en France, le premier rassemblement d’enfants entendants de parents sourds lors d’un congrès a Massy, du 13 au 15 mars 2009. Jusqu’à présent la France n’avait jamais organisé un tel événement contrairement à bien d’autres pays. Ce congrès a réuni environ 400 personnes, dont plus d’un tiers de Coda. Les adultes présents ont pu parler de leur vécu, de leurs difficultés, ils ont pu échanger des anecdotes. En partageant ces histoires « c’est comme si on se tendait des miroirs, des reflets les uns des autres. C’est très important ce partage, c’était un moment rien que pour nous » (50).

2. LA PLACE DES ENFANTS ENTENDANTS DANS LA

FAMILLE SOURDE

Si les enfants entendants de parents sourds sont en recherche à l’âge adulte d’un sentiment d’identité, c’est en partie car pendant l’enfance et l’adolescence leur place au sein de la famille n’est pas toujours bien définie.

En effet, dans une famille classique, la hiérarchie est le plus souvent clairement définie, les parents détiennent des informations inconnues aux enfants, ils peuvent s’adapter et gérer les diverses situations problématiques. Ils jouent un rôle « protecteur », les enfants ont confiance en leurs parents, ils se sentent sécurisés dans leur développement.

Dans le cas de familles composées de parents sourds, les enfants, du fait de leur statut auditif d’entendant, détiennent parfois plus d’informations que leurs parents, informations qu’ils auront entendues volontairement ou non. Ils peuvent donc être inquiétés ou encore avoir une influence sur la prise de décision au sein de la famille.

Ceci n’est cependant pas pathologique tant que chacun des membres garde sa propre place : les enfants leur part d’innocence, les parents leur part d’autorité. En revanche, il peut y avoir un problème lorsque l’un des rôles est attribué avec excès à un enfant, notamment la demande d’interpréter souvent faite à l’aîné de la fratrie.

Le bon fonctionnement familial dans les cas de surdités est grandement influencé par l’aide que les parents sollicitent auprès de leurs enfants. Si les parents sont trop demandeurs, et par conséquent trop dépendants, il peut y avoir un dysfonctionnement.

2.1 Le rôle d’interprète de l’aîné

Tous les enfants considèrent leurs parents comme les personnes prenant les décisions, les initiatives, gérant les différents problèmes.

En revanche dans les familles composées de parents sourds, les enfants, notamment les ainés, ont l’impression de jouer les interprètes de leurs parents, ceux-ci ne faisant que rarement appel à d’autres adultes de la famille ou à des interprètes.

Nous nous permettons ici de citer un témoignage d’une fille née de parents sourds : « à huit ans, je connaissais les problèmes personnels de mes parents, ils m’emmenaient avec eux à la banque, c’est moi qui faisait l’interprète entre eux et le banquier pour parler de leurs difficultés financières. Je n’aurais pas dû savoir ça à mon âge, ça m’angoissait, j’avais l’impression que c’était aussi mon problème ».

Dans ces cas-là, l’enfant joue vite un rôle plus important que celui de ses parents, il téléphone, prend les rendez-vous, remplit les papiers, etc. On lui attribue de nombreuses responsabilités qu’il ne devrait pas avoir à son âge. Alors que les plus petits de la fratrie sont souvent ravis qu’on leur demande de l’aide occasionnellement, les ainés, eux, sont jaloux de leurs frères et sœurs et ne comprennent pas pourquoi c’est toujours aux plus grands que l’on s’adresse : « à eux, on ne leur demande rien ! »

2.2 Le sentiment de culpabilité

Les enfants entendants nés de parents sourds se sentent parfois gênés, embarrassés dans certaines situations dans lesquelles on leur demande d’interpréter : en effet, il peuvent être embarrassés par la nature de la traduction qui n’est pas forcément de leur âge, ou au contraire lorsque, justement on parle d’eux. Par exemple un enfant à qui la maîtresse demande de traduire à ses parents une conversation au sujet de son comportement en classe.

Il arrive aussi que les enfants aient peur qu’on se moque d’eux ou de leurs parents. La surdité est malgré tout une forme de handicap et reste donc, malheureusement, sujet aux regards d’autrui et parfois même aux moqueries. Certains enfants l’acceptent bien, d’autres beaucoup moins selon leur âge et leur ressenti personnel. Cela peut aller jusqu’à un sentiment de honte de ne pas avoir des parents « comme tout le monde ».

Enfin, de nombreux enfants parlent de colère et de frustration par rapport au temps passé à gérer les problèmes parentaux.

Ces sentiments (honte, frustration, gêne) qui sont en contradiction avec l’amour qu’ils portent à leurs parents, entrainent la plupart du temps de la culpabilité chez ces enfants. Ils ont l’impression d’être déloyaux envers la communauté sourde en général, leurs parents en particulier.

De plus, les parents accentuent parfois inconsciemment ce sentiment de culpabilité, lorsqu’ils leurs disent « tu ne veux pas nous aider ? » ou encore « toi tu as de la chance, tu entends », ce qui peut accentuer le mal-être chez certains enfants.

3. LE POINT DE VUE DES PARENTS

Les parents vivent la plupart du temps très bien leur surdité, comme nous l’avons vu dans la partie sur la culture sourde : ils sont fiers de leur statut et le leur langue. Des études ont montré qu’ils voient de manière généralement positive leur rôle d’éducateur. Ils reconnaissent cependant avoir des difficultés à gérer les conflits entre frères et sœurs, sans pour autant avoir de problèmes d’autorité sur leurs enfants.

Les parents ne se rendent pas toujours compte lorsqu’ils sollicitent les enfants que cela puisse les déranger. Ils peuvent trouver que c’est normal, et que ce qu’ils demandent n’est pas grand-chose. En effet, ils ont parfois du mal à faire autrement, et il est bien pratique pour eux de demander de l’aide aux enfants de temps en temps.

Le sentiment d’identité des enfants entendants de parents sourds ainsi que leur place au sein de la famille est donc source d’interrogations.

Il faut laisser à l’enfant, devenu adolescent, la possibilité d’exprimer ses sentiments contradictoires à ses parents, et que ceux-ci soient réalistes quant aux attentes qu’ils ont envers leur enfant.

Si les parents sont clairs sur leur propre identité, sur leur place à eux au sein de la famille et de la communauté en général, alors l’enfant se construira d’autant mieux.

Le sentiment d’identité se met en place très tôt, grâce notamment aux interactions précoces, et il joue un rôle important dans la maturité et dans le développement du langage.

Il est donc important que les enfants aient, dès leur plus jeune âge, une place bien définie au sein de la famille.

Voir leurs parents communiquer, peu importe par quel moyen, montre aux enfants qu’ils sont compétents et peuvent être autonomes dans l’échange. Donner l’image de parents « capables » permet ainsi à l’enfant de prendre sa place et de se structurer.