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5. Méthodologie de recueil de données

5.3. Le paradigme du Magicien d’Oz « perturbé »

Le  paradigme du  Magicien  dʹOz,  dans  le  cadre des  recherches  en  Communication  Homme‐Machine,  consiste  à  faire  croire  à  un  utilisateur  quʹil  utilise  un  système 

« intelligent », alors quʹil se trouve face à une simulation contrôlée par un compère,  désigné par le terme de magicien. Dans un autre cadre, il est possible de sʹappuyer sur ce 

paradigme pour mettre en place des expériences dʹinduction. Il sʹagit alors de placer un  utilisateur face à une tâche cognitive lourde, afin que celle‐ci accapare son attention, et  dʹintroduire à son insu des perturbations dans cette tâche, afin de provoquer chez lui  certaines émotions. 

Ce paradigme tient son appellation du personnage du roman de L. Franck Baum dans  lequel le magicien se fait passer pour une imposante statue, tandis quʹil ne sʹagit que  dʹun petit homme dissimulé derrière un rideau pour contrôler cette statue. Ce paradigme  a été baptisé ainsi par J.F. Kelley, qui l’a proposé pour la mise au point d’interfaces  personne‐machine en langage naturel (Kelley, 1983). Le paradigme du Magicien d’Oz est  parfois également désigné par l’acronyme PNAMBiC8 comme relevé par Fraser & Gilbert  (1991). 

5.3.2 Des magiciens d’Oz classiques … 

Le paradigme du Magicien dʹOz, s’il est très largement utilisé à l’heure actuelle, a  diverses applications. La plus répandue est l’évaluation d’interface, et les exemples  d’une telle utilisation du paradigme du Magicien d’Oz sont légion. Citons en particulier  le système Neimo qui consiste en une plate‐forme générique pour l’analyse d’interfaces  multimodales,  grâce  à  la  présence  de  plusieurs  magiciens,  et  propose  un  cadre  méthodologique détaillé (Salber & Coutaz, 1993). Fraser & Gilbert (1991) ont quant à eux  étudié en détail le cas d’applications dans lesquelles un système de reconnaissance  vocale doit être simulé. 

Le Magicien dʹOz a également été étendu à lʹétude de la multimodalité. Dans ce cas, ce  sont les stratégies élaborées par le sujet pour exprimer un but communicatif lorsqu’il est  placé dans des situations particulières qui sont étudiées. Cʹest le cas par exemple d’un  corpus en langue suédoise (Lewin et al., 1999), portant sur des réservations de trains,  hôtels, avions et taxis. Ce corpus a été enregistré afin d’évaluer le gain sémantique  pouvant  être  apporté  par  des  systèmes  de  reconnaissance  incluant  une  analyse  linguistique plus fine, au‐delà des langages de commandes. Ce corpus a été réalisé par  des demandes de reformulation successives, ce qui d’après les auteurs a permis d’obtenir  des requêtes « naturelles ». 

       

5.3.3 … et perturbés 

Le principe du Magicien dʹOz peut aussi être utilisé pour lʹinduction dʹémotions. En  particulier, il est possible de provoquer l’irritation du sujet en simulant un mauvais  fonctionnement  du  système,  sous  la  forme  de  ralentissements  ou  de  réponses  inappropriées. Toutefois, lʹutilisation dʹun Magicien dʹOz à cette fin suppose de disposer  de sujets suffisamment « naïfs » pour être persuadés quʹils se trouvent face à un véritable  système,  ou à  l’inverse  d’un système  suffisamment  réaliste pour  que  les sujets  ne  soupçonnent pas le caractère factice de la tâche proposée. De ce fait, il est nécessaire  dʹélaborer un scénario qui constitue un bon compromis entre les contraintes imposées  par les conditions dʹexpérience à respecter et un comportement réaliste de lʹapplication. 

De  plus,  et  bien  que  les  techniques  de  Magicien  dʹOz  soient  considérées  comme  comptant  parmi  les  plus  adaptées  à  lʹinduction  dʹune  large  palette  d’émotions  spontanées, il peut être difficile dʹinduire chez le sujet des émotions telles que la colère. 

En effet, le sujet pense être en présence dʹun véritable ordinateur, et lʹexpérience montre  que les sujets sont plus coopératifs et, surtout, plus tolérants à des attentes répétées, dans  ce type de situation que dans une situation de communication humain‐humain (Batliner,  2003a). 

Dans ce domaine de lʹinduction dʹémotions, les exemples d’utilisation de protocoles de  Magicien d’Oz sont moins nombreux et tous ne s’inscrivent pas strictement dans le cadre  des simulations par ordinateur. L’expérience pionnière en ce domaine semble être celle  menée par Hecker et al. (1968), qui ont mis en place un protocole afin de provoquer le  stress  chez  des  sujets  enregistrés  en  chambre  sourde,  en  leur  donnant  une  tâche  complexe de surveillance de voyants à effectuer, tout en jouant sur les délais de réponse  accordés. Schröder (1998) a proposé à des locuteurs professionnels des tâches de lecture  classiques pour eux. En les distrayant par des événements « amusants » inattendus, il a  induit des expressions d’amusement spontané sur une tâche contrôlée de lecture. Les  travaux de Fernandez & Picard (2000), qui ont mis en place un protocole permettant de  collecter de la parole émotionnelle dans le cas du stress au volant, peuvent également  être cités. Pour cette expérience, il était demandé aux sujets de résoudre par téléphone  des questions de calcul mental tout en conduisant, la vitesse de conduite et la fréquence  des questions étant fixées. De par le caractère extraordinaire de la situation dans laquelle  le sujet est placé, il est néanmoins possible de s’interroger sur la mesure dans laquelle la  parole collectée dans ce type de situation reflète les conditions normales de production  (Campbell, 2000). 

Klasmeyer et al. (2000) ont, quant à eux, utilisé des tests de logique dans lesquels l’état  émotionnel du locuteur, à qui il était demandé de lire des phrases sémantiquement 

neutres, était manipulé en simulant des dysfonctionnements ayant un impact négatif sur  son score ou au contraire en le surévaluant. Une expérience de ce type a également été  réalisée par Loyau (2003), afin d’étudier la parole émotionnelle chez les pilotes de chasse. 

Pour cela, le simulateur de vol a été modifié afin de pouvoir perturber à distance les  commandes du sujet et induire ainsi émotions et attitudes, tout en restant dans le cadre  du langage de commandes dédié à la communication entre pilotes. Un Magicien d’Oz a  également  été  utilisé  par  Kehrein  (2002)  pour  induire  et  collecter  des  expressions  émotionnelles authentiques. Dans cette expérience, plusieurs participants, qui devaient  collaborer pour mener à bien un jeu de construction, ont été enregistrés au cours de leurs  interactions. Egalement dans un contexte ludique, Johnstone et al. (2005) ont induit des  expressions vocales d’affects au moyen d’un jeu vidéo. 

Mishra  et  al.  (2004)  ont  enregistré  dans  un  simulateur  de  conduite  12  pilotes  en  interaction avec un soi‐disant système de reconnaissance de la langue naturelle leur  permettant de contrôler l’appareillage électronique de l’habitacle, afin de recueillir des  échantillons de parole expressive authentique en situation de stress. Batliner et al. (2004)  ont enregistré les interactions d’enfants anglais et allemands avec un robot‐chien AIBO®,  en incluant une condition dans laquelle le robot suivait un scénario prédéfini plutôt que  d’obéir aux ordres de l’enfant. 

Plus récemment, Février et al. (2006) ont élaboré un protocole de Magicien d’Oz mettant  en jeu des sujets placés en situation de vidéo‐conversation avec un vendeur complice de  l’expérimentateur. Les scénarios suivis par les complices ont permis d’induire chez les  sujets des réactions de satisfaction, d’amusement, d’embarras, d’incompréhension et de  surprise. 

5.3.4 Quelle  tâche  prétexte,  quelles  perturbations  pour  quelles  émotions? 

La  forme  générale  que  nous  avons  retenue  pour  le  développement  de  scénarios  d’induction de variations émotionnelles est un Magicien d’Oz imitant le fonctionnement  d’une application à commandes vocales (Audibert et al., 2003, 2004). Toutefois l’usage  que  nous  faisons  de  la  technique  du  Magicien  d’Oz  s’écarte  du  rôle  qui  lui  est  classiquement dévolu : en  effet notre objectif ici n’est pas  de  collecter des données  directement liées à la tâche, mais relatives aux effets induits par la tâche proposée sur les  locuteurs 

D’autre part, le choix de la tâche proposée est primordial pour assurer le succès des  scénarios d’induction. Cette tâche doit être en adéquation avec le profil psychologique 

provienne  de  la  nature  de  la  tâche  elle‐même,  dans  laquelle  les  sujets  se  sentent  réellement impliqués. Cela exclut donc les scénarios dans lesquelles la motivation est  suscitée par l’aspect ludique de la tâche, ou par une promesse de rémunération comme  cela a été appliqué dans d’autres études telles que (Kaiser & Wehrle, 1994) ou (Kehrein,  2002). Un effort particulier doit en outre être consacré à la crédibilité de la tâche. 

Cet  objectif  de  motivation  par  la  tâche  est  toutefois  compliqué  par  les  conditions  expérimentales, susceptibles de perturber le sujet et par là même de le détourner de cette  motivation. En effet, les mesures de données diverses au cours des enregistrements,  quoique indispensables à toute analyse ultérieure, peuvent également s’avérer être un  facteur perturbant (Campbell, 2000). Il convient donc de trouver un équilibre entre les  contraintes imposées par l’ensemble des appareils de mesure et la naturalité de la tâche,  c’est‐à‐dire sa crédibilité par rapport à l’écologie quotidienne du locuteur, afin d’éviter  l’écueil de retirer de l’information (les variations émotionnelles du locuteur, qui sont le  but  recherché)  en  cherchant  à  en  ajouter  par  des  mesures  plus  complètes.  Outre  l’enregistrement  acoustique,  pour  lequel  l’utilisation  d’un  microphone  se  justifie  aisément par le prétexte de l’utilisation d’une application à commandes vocales, et sauf à  induire des émotions très intenses, le choix des mesures à effectuer doit en conséquence  se limiter à des instrumentations peu invasives.