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Le mod`ele d’Ising, avec interactions en 1/r α

2.3 Exemples

2.3.4 Le mod`ele d’Ising, avec interactions en 1/r α

Le probl`eme

On n’a vu jusqu’ici que des mod`eles pour lesquels les interactions sont ind´ependantes de la distance. L’´energie s’exprime alors exactement `a l’aide de quelques variables glob- ales. Ce n’est pas le cas pour beaucoup d’interactions physiquement int´eressantes (en 1/r pour la gravit´e, en ln r pour la turbulence en dimension 2). Les mod`eles jouets avec interactions d´ecroissant lentement avec la distance en 1/rα ont donc suscit´e un certain

que le comportement thermodynamique de ces mod`eles est ind´ependant de l’exposant α, pour des conditions aux limites p´eriodiques et une fois qu’un r´e´echelonnement cor- rect de l’´energie est choisi. Il ne s’agit pas seulement ici d’un comportement critique identique, mais bien d’une correspondance parfaite sur toute la gamme d’´energie, ou de temp´erature selon l’ensemble choisi (les courbes magn´etisation/temp´erature sont identiques quel que soit α pour un mod`ele d’Ising, par exemple).

Ils ont aussi ´et´e ´etudi´es en tant que candidats possibles `a l’application de la statis- tique de Tsallis : certains auteurs ont soutenu que pour ces syst`emes non extensifs, le nombre d’´etats ne se comportait peut ˆetre pas de fa¸con exponentielle en N, le nombre de degr´es de libert´e, et qu’il ´etait donc n´ecessaire de changer la d´efinition habituelle de l’entropie S = kBln Ω [101].

Campa et al. [31], et ind´ependamment (dans un cadre plus g´en´eral) Vollmayr-Lee et al. [110] ont r´esolu ce type de mod`eles dans l’ensemble canonique, expliquant en partie l’invariance observ´ee en fonction de α, et d´emontrant que la statistique de Tsal- lis ne pouvait en aucun cas s’appliquer `a la thermodynamique d’´equilibre (canonique au moins) de ces syst`emes. N´eanmoins, leur m´ethode ne permet pas d’obtenir des solutions microcanoniques; or on sait que c’est important, puisque des in´equivalences d’ensembles peuvent survenir. Ainsi, Salazar et al. ont ´etudi´e tr`es r´ecemment [101], par des simulations Monte-Carlo microcanoniques, un syst`eme avec interactions en 1/rα. Ils retrouvent l’invariance lorsque α varie de 0 `a la dimension du syst`eme, et

le fait que le nombre d’´etats est bien exponentiel en N. Pour clore le sujet, nous donnons ici une solution microcanonique exacte du mod`ele d’Ising `a une dimension, en appliquant la m´ethode d’Ellis. Il n’est pas difficile d’´etendre les calculs `a un mod`ele sur r´eseau quelconque, en dimension quelconque (dans [12] est donn´ee la solution mi- crocanonique de ce mod`ele, mais l’exactitude du champ moyen n’y est pas d´emontr´ee rigoureusement). Nous revenons ensuite sur l’invariance de la solution en fonction de α, lorsque les conditions aux limites sont p´eriodiques. L’´etude de ce mod`ele sera ´egalement un moyen de mettre en ´evidence l’importance (intuitivement claire) des conditions aux limites, lorsque les interactions sont `a longue port´ee.

Le Hamiltonien du mod`ele d’Ising avec interactions en 1/rα est :

HN =−J

X

i>j

SiSj

|i − j|α . (2.56)

Chaque spin peut prendre les valeurs ±1. Dans l’expression ci-dessus, on a choisi des conditions aux limites libres; on peut aussi choisir des conditions p´eriodiques (spins sur un cercle), en prenant pour|i−j| la plus petite distance le long du cercle entre i et j. La solution

´

Etape 1 :

Cette fois-ci, il n’est pas possible d’exprimer exactement HN `a l’aide d’un nombre

fini de variables r´eelles. Il faut choisir une fonction comme variable globale, que nous allons construire par coarse-graining.

syst`eme par la magn´etisation moyenne dans chaque boˆıte. Dans la limite N → ∞, K → ∞, K/N → 0, le syst`eme est donc d´ecrit par une fonction continue m(x); on choisit par commodit´e x∈ [0, 1].

Il faut maintenant v´erifier que l’on peut exprimer HN `a l’aide de m(x). Le calcul est

facile mais long, et est d´etaill´e `a l’appendice A. On obtient le r´esultat suivant, pour α < 1 : HN = −N2−α J 2 Z 1 0 dx Z 1 0 dym(x)m(y) |x − y|α + o(N 2−α) (2.57) = H˜N[m(x)] + o(N2−α),

l’estimation ´etant uniforme sur toutes les configurations, comme demand´e par les hy- poth`eses des th´eor`emes de Ellis et al. Ce r´esultat utilise bien sˆur de mani`ere essentielle l’hypoth`ese α < 1.

Pour des conditions aux limites p´eriodiques, il faut le modifier l´eg`erement, en rem- pla¸cant |x − y| par la plus petite distance, modulo 1, entre x et y.

´

Etape 2 :

On veut ´etablir un principe de grande d´eviation pour la variable globale m(x). De fa¸con ´equivalente, il faut estimer la probabilit´e d’obtenir un certain profil m(x) `a partir d’une configuration microscopique (Si)i=1...N, en supposant `a priori toutes les

configurations microscopiques ´equiprobables.

Consid´erons d’abord une seule boˆıte du coarse-graining; puisque la boˆıte contient n sites, la magn´etisation dans cette boˆıte mk v´erifie un principe de grande d´eviation,

P (mk)∝ ens(mk), avec s(m) =1 + m 2 log 1 + m 2 − 1− m 2 log 1− m 2 − log 2. (2.58) Intuitivement, on peut donc ´ecrire la probabilit´e d’obtenir (m1, . . . , mn) sous la forme

P (m1, m2, . . . , mn) = P (m1)P (m2) . . . P (mn) ≃ ens(m1) . . . ens(mn) ≃ eNR1 0 s(m(x)) dx ≃ eS[m(x)]. (2.59)

S[m(x)] est alors la fonctionnelle d’entropie associ´e `a la variable globale m(x) que l’on cherchait. Une nouvelle fois, les techniques de la th´eorie des grandes d´eviations perme- ttent de justifier rigoureusement ces calculs [46]. Notons que s(m(x)) est une quantit´e d’ordre 1, qu’on int`egre entre 0 et 1; la fonctionnelle S[m] est donc proportionnelle `a N.

´

Etape 3 :

On peut maintenant ´ecrire facilement le probl`eme variationnel associ´e `a l’ensemble microcanonique : S(e) = sup m(x)  S[m(x)] − J 2 Z 1 0 dx Z 1 0 dym(x)m(y) |x − y|α = e  (2.60)

Il suffit d’introduire le multiplicateur de Lagrange β associ´e `a la contrainte pour obtenir le probl`eme variationnel canonique. Il s’agit ici d’une optimisation dans un espace fonctionnel : cette derni`ere ´etape doit en g´en´eral ˆetre effectu´ee num´eriquement. N´eanmoins, soulignons une nouvelle fois que la r´eduction du probl`eme statistique au probl`eme variationnel est exacte (dans la limite N → ∞, H ∝ N2−α). Des exemples de

profils de magn´etisation pour des conditions aux limites libres sont donn´ees figure 2.3.

Position sur le r´eseau

M ag n ´et is at io n 0 0 1 0.5 0.5

Figure 2.3: Profils de magn´etisations pour le mod`ele d’Ising avec interactions d´ecroissant en 1/rα. La densit´e d’´energie e = H/N2−α est fix´ee `a e = 0.1. Les

valeurs de α sont α = 0.2 (ligne continue), α = 0.5 (ligne pointill´ee), α = 0.8 (ligne tiret´ee). Les conditions aux limites sont libres.

Puisque S[m] ∝ N, on a prouv´e par le calcul que l’entropie habituelle (S(e) est l’entropie de Boltzmann) est bien proportionnelle `a N. Il est ´evident en inspectant la m´ethode que ceci n’est pas li´e au mod`ele particulier, et s’applique aussi au mod`ele sur lequel sont faites les simulations de la r´ef´erence [101].

Les calculs effectu´es sont rigoureux, mais il est toujours satisfaisant de v´erifier sur une simulation num´erique qu’on ne s’est pas tromp´e. Il est aussi int´eressant de savoir `a quelle vitesse la solution pour N fini converge vers la solution analytique N → ∞. La figure 2.4 montre l’entropie en fonction de l’´energie pour le mod`ele d’Ising avec α = 0.8, et des conditions aux limites p´eriodiques. La convergence est d´ej`a excellente pour N ∼ 500 − 1000.

L’invariance en fonction de α

Revenons maintenant sur l’autre point discut´e dans la litt´erature : l’invariance du comportement d’´equilibre en fonction de α, pour des conditions aux limites p´eriodiques et pour un r´e´echelonnement bien choisi de l’´energie. Cette invariance a ´et´e observ´ee num´eriquement [3], puis prouv´ee analytiquement dans le cadre canonique [31, 110]. On va ici la montrer dans le cadre microcanonique, ce qui apporte une information lorsque les ensembles ne sont pas ´equivalents.

S E/Emax 00 1 0.2 0.2 0.4 0.4 0.8

Figure 2.4: Courbe de l’entropie en fonction de l’´energie pour le mod`ele d’Ising, α = 0.8, conditions aux bords p´eriodiques. Les courbes tiret´ee (N = 34) et pointill´ee (N = 100) sont obtenues par une m´ethode Monte-Carlo microcanonique. La courbe continue est la solution th´eorique. Pour N ≃ 1000 et au del`a, les courbes num´eriques et th´eorique se superposent parfaitement. Nous remercions chaleureusement R. Salazar pour avoir bien voulu nous fournir les donn´ees issues de ses calculs num´eriques. On doit r´esoudre (2.60), avec des conditions aux limites p´eriodiques : on remplace donc |x − y|α par d(x, y)α, o`u d(x, y) d´esigne la plus petite distance entre x mod 1

et y mod 1. Par exemple d(0.2, 0.9) = 0.3. On pourrait choisir d’autres types de conditions aux limites p´eriodiques, en consid´erant par exemple les interactions d’un spin avec toutes ses images; nous choisissons celle-ci qui a ´et´e couramment utilis´ee r´ecemment dans la litt´erature. On ´ecrit l’´energie sous la forme h = H/ ˜N = (m,Lm) (produit scalaire dans L2([0, 1])), avec ˜N = CN2−α (C est une constante que nous

allons choisir plus tard), et

[Lm] (x) = Z 1

0

m(y)

d(x, y)αdy. (2.61)

Les extrema de l’´equation (2.60) donnant la solution microcanonique du probl`eme v´erifient donc, en introduisant un param`etre de Lagrange β, qui doit ˆetre choisi pour assurer la conservation de l’´energie :

δS

δm(x) = β δh

δm(x). (2.62) Cette ´equation se r´e´ecrit

tanh (m(x)) = βJ C Z 1 0 m(y) d(x, y)α dy. (2.63)

Le profil d’´equilibre d´epend a priori fortement du choix de α (voir les exemples de profils pour des conditions au bord libres repr´esent´es figure 2.3). Cependant, pour

des conditions aux limites p´eriodiques, il est facile de voir que le membre de droite de l’´equation (2.63) est en r´ealit´e ind´ependant de x, ´egal `a une constante D; donc les profils m(x) = m homog`enes sont solutions de (2.63), pourvu qu’ils satisfassent l’´equation

tanh(m) = βJm, (2.64) o`u on a choisi C = D. Cette ´equation est la mˆeme quel que soit α, et en particulier c’est celle du cas purement champ moyen α = 0. Ceci explique 2 l’invariance de la

solution en fonction de α. Toutefois, ce r´esultat d´epend essentiellement des conditions aux limites p´eriodiques utilis´ees, qui ne sont pas tr`es r´ealistes : la port´ee physique du r´esultat paraˆıt donc tr`es limit´ee. D’un point de vue formel cependant, puisque ce r´esultat est valable pour tous les syst`emes sur r´eseau (la justification est la mˆeme que pour le mod`ele d’Ising trait´e ici), il permet d’affirmer que les solutions exactes obtenues `a α = 0 se g´en´eralisent `a α6= 0, moyennant une renormalisation de l’´energie : c’est le cas du mod`ele BEG par exemple. On dispose ainsi d’un “r´eservoir” de mod`eles r´esolus pour toute valeur de α plus petite que la dimension.

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