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Le modèle numérique confronté aux résultats expérimentaux

L'analyse des foyers préhistoriques

4. Le modèle numérique confronté aux résultats expérimentaux

Nous avons réalisé plusieurs séries de foyers expérimentaux sur des sols limoneux humides (saturés et non saturés en eau) et sableux d’un gisement magdalénien à Pincevent. Une série a été réalisée avec du bois (fig. 9) et une deuxième en utilisant une plaque électrique chauffante (fig. 4) pour réduire les fluctuations de température observées sur des foyers à plat et pour mieux contrôler le flux thermique imposé. Nous avons reproduit les conditions d’altération du substrat et le palier de température observé au préalable sur des allumages simples et nous avons travaillé aussi sur la réutilisation des foyers, fréquente dans le contexte archéologique. Ces dernières expériences ont contribué à mieux comprendre le fonctionnement des sols qui étaient humides au début et qui sont devenus secs après une première utilisation.

Fig. 9 : Expérience de réplication du fonctionnement d'un foyer. L'expérience consiste à faire brûler du bois sur le même sol que celui des foyers archéologiques et à mesurer

la température au cours du temps en différents endroits du sol par des sondes qui y ont été placées préalablement.

L'application de la méthode numérique développée aux mêmes types de foyers a permis d'effectuer des comparaisons avec les mesures expérimentales. Par exemple, la figure 10 présente, pour un foyer particulier, à la fois la mesure expérimentale de la température (symboles '+' sur les courbes de couleur) et la prédiction du modèle numérique utilisé, sachant que ce dernier utilise comme condition limite la température réelle (donc mesurée) du feu à la surface du sol.

S'agissant de l'apport du modèle couplé (qui introduit l'écoulement de la vapeur), nous pouvons observer tout d’abord que la surpression maximale (en jaune sur la figure 11) dans la vapeur d'eau est très faible (moins de 0,02 % par rapport à la pression atmosphérique), et elle génère également une vitesse de gaz très faible (estimée à quelques centièmes de mm/s). Malgré cela, la vapeur qui s'échappent emporte avec elle de l'énergie thermique et s'oppose donc au flux de conduction principal vers le bas ; cet effet retard est quand même nettement visible sur les résultats de la figure 12.

5 La capacité thermique, encore appelée chaleur massique, est liée à l'aptitude d'un corps à absorber une plus ou moins grande quantité de chaleur pour une élévation de température donnée. Comme le changement de phase absorbe une certaine quantité de chaleur (appelée chaleur latente), on définit une capacité « apparente » qui inclut la chaleur latente sous la forme d'un pic de Dirac localisé à la température de changement de phase.

Fig. 10 : Comparaison entre les courbes de température provenant d'une expérience

de réplication d'un foyer et celles provenant de la simulation numérique. Chaque couleur correspond à l'évolution de la température à une profondeur particulière sous le foyer.

Fig. 11 : Résultat du calcul montrant l'orientation du flux de vapeur d'eau (qui cherche à sortir du sol) en lien avec la surpression du gaz dans le milieu poreux.

Le domaine de calcul utilisé est de 30 cm par 30 cm, en supposant également une symétrie axiale autour du bord vertical droit du domaine.

Fig. 12 : Écart entre le modèle simple (diffusion de la chaleur dans le sol) avec un autre qui prend en compte l'écoulement de vapeur d'eau s'échappant du sol. Les deux groupes de courbes correspondent à une mesure à 2,5 cm de profondeur (pointillés) et à 5 cm de profondeur (trait plein).

Les modèles élaborés fournissent des renseignements plus précis ; cependant, ils sont plus compliqués à mettre en œuvre (programmation et méthodes numériques à utiliser) et peuvent conduire à des temps d'exécution exorbitants ! Le savoir faire du modélisateur est de choisir le bon compromis afin d'avoir, à partir d'un modèle léger (donnant un code rapide), des renseignements utilisables, c'est-à-dire peu éloignés de la réalité.

Conclusion

Les outils numériques mis au point et utilisés dans le contexte de ce projet pluridisciplinaire ont permis d'avoir des premières estimations de durée d'allumage. Leur exploitation est encore en cours. De même le modèle présenté ci-dessus continue à être perfectionné ([14]).

Par ailleurs, les questions scientifiques disciplinaires liées à l'histoire de la maîtrise de l'énergie thermique dans le cadre de ce projet s'appliquent aussi à l'étude du contrôle et application de cette énergie et peuvent nous permettre d'en tirer des conclusions sur notre avenir et la gestion de ce type de ressources, tout en sachant qu'un tiers de la population mondiale utilise encore les ressources naturelles et les structures de combustion pour ses activités quotidiennes selon les rapports de l'UNESCO [15]. L'exploitation des ressources naturelles pour le chauffage domestique, tout en étant majoritaire pour l'exploitation des structures qui nous intéressent, joue encore un rôle fondamental pour les populations des pays en voie de développement. L'histoire de la maîtrise du feu et de l'énergie thermique trouve sa prolongation dans les manières symboliques et politiques de voir et concevoir la gestion de l'énergie dans l'actualité pour l'ensemble des populations : le feu (notre ami ou notre ennemi), notre dépendance énergétique et ses conséquences font partie de notre ascension prométhéenne qui a enchaîné nos sociétés au contrôle et à l'exploitation de ce type d'énergie nous conduisant aux problèmes liés au cycle du carbone et au réchauffement climatique actuel.

Enfin, notre projet a des liens avec d'autres domaines comme le séchage des matériaux organiques ou inorganiques hétérogènes (bois, papier, fruits, béton, …) ou avec les processus de transfert thermique dans les milieux granulaires, en débouchant sur des applications possibles dans les domaines industriels et naturels.

Bibliographie

[1] Frazer J. G., 1931, Mythes of the origine of fire, Ed. Mac Millan and Co Ltd., London, 246 p. [2] Levi-Strauss C., 1958, Anthropologie structurale, Ed. Plon, Paris

[3] Levi-Strauss C., 1964, Mythologiques I. Le cru et le cuit, Ed. Plon, Paris [4] Bachelard G., 1967, La psychanalyse du feu, Gallimard, Collection Idées, Paris

[5] Testart A., 1996, À propos des mythes du vol du feu, in XIIIth International Congress of prehistoric and protohistoric sciences, Forli Italia, 8/14 September 1996, Colloquia 5 The Lower and Middle Paleolithic Colloquium IX p. 11-15. Bar Yosef O., Cavalli-Sforza L., March R. J. and Piperno Editors.

[6] Goudsblom J., 1992, Fire and Civilisation, Ed. Allen Lane, The Penguin Press, London.

[7] March R. J., 2002, Il controllo del fuoco, in Il Mondo dell‚ Archeologia, vol. II., Enciclopedia Italiana Treccani, pp. 807-812.

[8] March R. J., Baldessari A., Gros E. G., Ferreri J. C., Morello O. et Rodano R., 1991, L'étude des structures de combustion en Argentine. Actes d'une journée-débat « Pour un meilleur dialogue en archéologie », Bulletin de la Société Préhistorique Française, tome n°86, Études et travaux, n°10-12, pp 384-392.

[9] March R. J., 1995, L'étude des structures de combustion en archéologie : un détour vers l'histoire. Annales de la revue Fyssen, n°10, déc. 1995, pp 53-68.

[10] March R. J., 1996, L'étude des structures de combustion préhistoriques : une approche interdisciplinaire. XIIIth Int. Congress of prehistoric and protohistoric sciences, Forli Italia, 8-14 sept. 1996, Colloquia 5 The lower andmiddle paleolithic colloquium IX, pp 251-275, Bar Yosef O., Cavalli-Sforza L., March R. J. & Piperno Eds.

[11] March R. J. et Ferreri J. C., 1989, Sobre el estudio de estructuras de combustión arqueológicas mediante replicaciones y modelos numéricos. Nature et fonction des foyers préhistoriques, Olive M. et Taborin Y., Eds. Actes du colloque international de Nemours (1987), Nemours, APRAIF Ed., pp 59-69.

[12] March R. J. et Ferreri J. C., 1991, Aplicación de modelos numéricos para la inferencia del tiempo de quemado en estructuras de combustión arqueológicas : influencia de parámetros. Actas del IX Congreso Nacional de Arqueologia Chilena. Ed. Museo Nacional de Historia Natural. Santiago de Chile, Chile, pp 157-168.

[13] Laloy J. et Massard P., 1984, Nouvelle méthode thermique d'étude des foyers préhistoriques. Revue d'Archéométrie, vol. 8, pp. 33-40

[14] Muhieddine M., Canot É., March R. and Delannay R., 2011, Coupling heat conduction and water-steam flow in a saturated porous medium, Int. J. for Numer. Methods in Engng, vol. 85, pp. 1390-1414.

[15] Lieberherr R., 2006, Le feu domestiqué – usage et pratiques dans l'architecture mondiale, Établissement Humain et environnement socioculturelle n°54, Secteur de sciences humaines et sociales de l'UNESCO, 2006.