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Déduire des traces du feu le comportement des groupes humains

L'analyse des foyers préhistoriques

1. Déduire des traces du feu le comportement des groupes humains

Les fouilles archéologiques révèlent la trace de nombreux feux d'origine humaine dans le sous-sol (fig. 2) ; le plus souvent, on trouve des foyers isolés dans l’espace et dans le temps (par exemple de foyers reliés à des haltes de chasse ou à d’autres activités éphémères) mais fréquemment ces foyers sont organisés en couches superposées ou groupés dans une même couche, indiquant que le même emplacement était réutilisé longtemps ou de façon répétée. On y trouve classiquement des restes de nourriture (coquilles de mollusques, ossements d'animaux, et même des restes des lipides provenant de la cuisson de ces animaux), certaines traces des activités techniques (présence de colorants, colles utilisées pour l’emmanchement des outils, …), ainsi que des restes des combustibles employés.

1 La taphonomie concerne l'enfouissement des objets dans le sol, objets qui peuvent donc être dégradés par différents processus.

2 L'équation de la chaleur, introduite par le physicien Joseph Fourier en 1811, concerne la diffusion de la chaleur et s'écrit pour un milieu homogène à une dimension : T

t

2T

x2 où  est la diffusivité du milieu. Le même type d'équation

régit d'autres phénomènes de diffusion, par exemple la diffusion d'un soluté au sein d'un liquide.

Fig. 2 : Coupe verticale du sol après excavation d’un amas coquiller : on y voit une multitude de couches de coquilles brûlées, trahissant l'usage répété du même site.

L'analyse de ces feux permet, entre autres3, d'estimer leur mode de fonctionnement, leur durée minimale de fonctionnement (et donc leurs différentes fonctions : chauffage, préparations culinaires, cuisson de poteries, …) et, par là même, d'en déduire le comportement social des groupes humains. Par exemple, définir la durée et la fréquence d’utilisation des foyers nous permet de savoir si les chasseurs-cueilleurs utilisateurs de ce feu étaient plus au moins mobiles (ils allument un feu pour cuire un repas, puis s'en vont ailleurs) ou plutôt sédentaires (le même feu souvent réutilisé ou utilisé pendant des périodes prolongées) ; ou encore définir leur utilisation liée à certaines activités techniques qui apparaissent à partir d’un certain moment de notre histoire évolutive comme la cuisson des céramiques ou le travail des métaux.

Les méthodes appliquées ici nous donnent accès à une mesure de la durée minimale de fonctionnement, sachant qu'un même foyer pourra avoir été utilisé ultérieurement avec un chauffage moins fort ou une durée moins longue. De plus, pour les formes les plus simples et les plus fréquentes qui sont utilisées depuis 400 000 ans, on peut même observer le déplacement des centres de chaleurs nous permettant d’en déduire de possibles réutilisations.

Fig. 3 : Site

archéologique de Pincevent (rive gauche de la Seine, environ 100 km en amont de Paris). Les hommes du Magdalénien – il y a environ 10 000 ans – attendaient deux fois par an

le passage des troupeaux de rennes près des gués de la Seine.

2. Faire parler ces traces

Un travail fondamental pour comprendre la signification de ces foyers réside dans la détermination des

3 D'autres éléments, comme la nature des matériaux constituants les couches du foyers (par ex. les détritus rejetés dans le foyer lui-même) ou la répartition des pierres autour du foyer, apportent également des informations supplémentaires concernant le comportement social de ces groupes ; ces éléments ne seront pas étudiés ici.

températures atteintes par ces structures. Certains sols peuvent nous faciliter la tâche : par exemple dans des limons argileux comme ceux qu'on peut trouver à Pincevent (fig. 3), site emblématique de l’étude des sociétés de chasseurs-cueilleurs magdaléniens, nous pouvons observer l'altération du sol (provoquée par l'élévation de la température) qui se traduit par un changement de couleur (fig. 4 et 5), dû à une transformation de certains oxydes présents, et qui intervient exactement à 290 °C.

L'épaisseur de la zone rougie (bien visible sur la figure 5, par exemple) est donc une indication précieuse car elle est en lien étroit avec la durée d'allumage du foyer la surmontant.

Fig. 4 : Limon argileux de Pincevent montrant une zone rougie : altération visible après le contact d'une plaque chauffante posée sur le sol (Cliché R. March).

Fig. 5 : foyer à plat R126 du niveau magdalénien IV-20 de Pincevent montrant une zone rougie de limon argileux (Cliché R. March, Centre Archéologique de Pincevent).

Plus l'épaisseur colorée (donc oxydée) est importante, plus le temps d'allumage du foyer correspondant a été long, car la chaleur dégagée par le foyer met un certain temps pour pénétrer dans le sol.

Pour connaître quantitativement la durée de fonctionnement d'un foyer à partir de l'épaisseur d'altération, on utilise des reproductions de foyers réalisées expérimentalement. L’étude des reproductions nous permet de mettre au point un certain nombre de méthodes analytiques nous permettant d’obtenir des informations sur les transformation de ces sols qu'on désignera par la suite, une fois appliquées sur les foyers archéologiques, sous le nom de paléo-thermomètres. Ainsi, nous pouvons non seulement estimer les températures atteintes par les foyers dans le passé en surface et en profondeur mais aussi détecter la présence d’un ou plusieurs centres de chaleur. De même, nous pouvons fixer les conditions limites (valeurs approximatives des températures sous le feu). Cependant, il y a des valeurs que ne peuvent pas être fixées de façon précise comme la température initiale du sol de l’époque sans négliger le fait que, au cours des millénaires, il a pu y avoir d'autres altérations (biologique, mécanique, …) du sol, lesquelles sont actuellement étudiées par des méthodes complémentaires mais ne donnant que des informations relatives sur les phénomènes qui se sont produits.