• Aucun résultat trouvé

Le modèle « humeur et connaissance générale »

II. Affect, émotion et représentation

3. Le modèle « humeur et connaissance générale »

Ce modèle, proposé par Bless et ses collaborateurs (1995, 1996), repose sur l’analyse de l’environnement pour rendre compte des effets différentiels de l’humeur sur l’utilisation des structures de connaissances générales. Corson (2002) indique les deux idées forces de cette hypothèse :

• L’humeur positive conduit à une analyse qui favorise l’utilisation de structures de connaissances générales et,

• Cette utilisation préférentielle de connaissances pré stockées n’est pas due à de moindres ressources disponibles, comme le propose Ellis, mais à l’humeur positive elle-même.

Pour Corson, l’une des originalités de ce modèle est qu’il ne s’appuie pas prioritairement sur les effets de congruence, comme ont pu le faire les modèles de réseaux, mais rend compte de la gestion de tout type d’information et que les variations de capacité de traitement cognitif ne sont pas une cause des déficits observés. Elles sont plutôt une conséquence des stratégies utilisées. Ces stratégies sont différentes suivant l’humeur du sujet dans l’interprétation qu’il fait de l’environnement.

L’humeur positive est considérée comme indicateur d’un environnement inoffensif et connu. Elle favorise l’utilisation de structures de connaissances générales et la mise en œuvre de stratégies de traitement descendant de l’information, qui généralement s’avèrent efficaces dans des situations habituelles. L’utilisation de ces structures de connaissances générales présente en outre l’avantage de requérir moins de ressources attentionnelles qui peuvent alors être éventuellement allouées à d’autres tâches se déroulant en parallèle (Bless, Schwarz, Golisono, Rabe, et Wölk, 1996). De même l’activation, favorisée par l’humeur positive de ces structures, permet d’enrichir, d’élaborer l’information disponible et conduit ainsi à créer de nouvelles inférences potentiellement utiles.

L’humeur négative, au contraire, incite les sujets à se focaliser sur l’information spécifique fournie ; ils la traitent plus systématiquement en évitant des stratégies de récupération de solution pré stockées qui pourraient se révéler inadaptées (Corson, 2002).

Bless et ses collaborateurs (1996) ont testé la pertinence du modèle en étudiant l’impact de l’humeur sur l’utilisation de scripts. L’expérience repose sur l’idée que lorsque les processus de mémorisation de l’information sont fondés sur l’activation de scripts, les configurations des connaissances ultérieures sont différentes en fonction du degré de typicalité des actions.

Les informations typiques seraient fréquemment reconnues, même si elles ne sont pas présentées. Il semble que la reconnaissance des actions typiques dépend prioritairement des processus d’activations de structures de connaissances générales pré stockées (processus descendants ou dirigés par concepts ou « Top-down ») alors que la reconnaissance d’actions atypiques repose sur des processus de mémorisation effective d’informations ponctuelles qui supposent l’utilisation de ressources plus importantes (processus ascendants ou dirigés par données ou « Bottom-up »).

Pour réaliser cette expérience, des sujets sont induits négativement et positivement. Ils sont confrontés à un test qui rend compte d’une sortie au restaurant. Ils reçoivent la consigne de reconnaître des actions typiques et atypiques qui sont soit présentes dans le texte, soit absentes.

Les résultats indiquent que les sujets en humeur positive font plus de fausses reconnaissances d’actions types, absentes du texte, que les sujets en humeur négative.

Il apparaît que l’humeur positive favorise l’utilisation de structures de connaissances générales (Corson, 2002). En revanche, l’humeur n’a aucun effet sur la reconnaissance d’actions atypiques.

En fin, cette expérience montre que l’humeur positive tend à favoriser et l’humeur négative à inhiber l’utilisation de structures de connaissances générales sans que pour autant ces effets laissent supposer que l’humeur négative (Ellis et Ashbrook, 1988) ou l’humeur positive (Ellis et Moore, 1999) provoque une réduction des ressources de traitement allouées à la tâche.

Dans les conditions « naturelles » (sans induction d’humeur), Inhelder (1993) décrit dans l’exécution d’une tâche ou la résolution d’un problème trois phases successives qui réapparaissent constamment dans les différentes situations. Ces trois phases, qui définissent trois types de contrôle du sujet sur l’environnement et sur sa propre connaissance, présentent une parenté évidente avec le passage des unités procédurales aux unités représentatives.

Dans la première phase, dite procédurale, le sujet est centré sur l’adaptation aux stimuli externes et sur la réussite immédiate.

Dans la deuxième phase, « méta procédurale », le sujet réécrit ses représentations précédentes. Il tente de les unifier et de les simplifier afin de pouvoir les contrôler sans recourir aux stimuli externes. La centration sur ses propres représentations peut conduire le sujet à ignorer certains observables ou même à aller à l’encontre de certains faits d’expérience afin d’imposer des procédures trop pauvres mais étroitement contrôlées.

Dans la troisième phase, dite conceptuelle, les deux processus des phases précédentes sont coordonnées : le processus de contrôle en fonction des stimuli extérieurs (Bottom-up) et le processus de contrôle fondé sur l’organisation interne des représentations (Top-down).

Même si les comportements observés sont semblables à ceux de la première phase, ils sont en fait le produit d’une organisation plus riche et plus cohérente.

Pour passer d’une phase à l’autre, le mécanisme suppose à chaque niveau de contrôle une sélection des éléments pertinents et leur consolidation en fonction de critères externes ou internes. Il faudrait alors postuler un mécanisme d’évaluation qui permette au sujet de juger de la qualité des éléments retenus, de leur pertinence par rapport aux connaissances déjà acquises.

Ce mode de traitement cognitif habituel de l’information est influencé par la variation émotionnelle (ou de l’humeur). Celle-ci favorise l’utilisation préférentielle des structures de connaissances pré stockées au profit de l’humeur positive. Alors que le traitement cognitif est biaisé par l’humeur négative qui inhibe l’utilisation de structures de connaissances générales.

En résumé, l’analyse des données expérimentales a abouti à un certain nombre de conclusions :

• La cognition et l’émotion sont intimement liées l’une à l’autre dans la production de comportements observables.

• Le système cognitif et le système biologique agissent en interaction dans l’activation émotionnelle.

• L’existence de relation entre émotion, comportement et fonction adaptative dans l’évolution de l’espèce vivante est une donnée psychologique déterminante.

• Les émotions peuvent être universelles ou propres à une culture.

• Les émotions peuvent être considérées comme un sous-ensemble des phénomènes mentaux.

• L’existence d’un lien réciproque entre émotion et représentations mentales est une donnée d’apprentissage.

• Les propriétés de mots en mémoire sémantique sont appariées à des concepts, des objets, des personnes, des situations qui évoquent une expérience émotionnelle.

Si les émotions constituent, en général, des signaux pour l’adaptation à l’environnement physique et social, on peut se poser la question des limites

entre une émotion qui favorise cette adaptation et une émotion qui déclenche une souffrance, c’est-à-dire, qui génère une pathologie émotionnelle. Pour cela, il est intéressant de mener une étude qui permet de mieux appréhender l’organisation de la psychopathologie, améliorer la compréhension de celle-ci afin de favoriser l’application d’une psychothérapie adaptée.

III. Psychopathologie

La psychopathologie est l’étude de la maladie mentale, du trouble mental.

Comme la psychiatrie dont l’objet est l’étude et le traitement de la maladie mentale, la psychopathologie a pour objet les déviances de la personnalité et des comportements.

Pour Canguilhem (1966), « un individu sain est celui qui peut tomber malade et se rétablir ; c’est un individu capable d’instaurer de nouvelles normes de fonctionnement dans des contextes différents ». Ce qui conduit à définir la santé mentale, non par l’absence de maladie ou par un nombre réduit de symptômes, mais par des capacités de changement et d’adaptation à des situations nouvelles.

Documents relatifs