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Chapitre 7. Les modèles in vivo

1)   Le modèle de Caenorhabditis elegans

a. Description générale du modèle

1. Histoire du modèle C. elegans

Caenorhabditis elegans (C. elegans) est un petit nématode d’environ 1 mm de

longueur, vivant dans les sols et se nourrissant de microorganismes. Il est isolé en 1900 par le biologiste français E. Maupas, qui en décrit l’anatomie précise. A partir des années 1940, les publications des biologistes C. Dougherty et V. Nigon permettent une meilleure connaissance de C. elegans, notamment sur ses modes de nutrition, croissance et reproduction (268,269). Son intérêt en tant que modèle animal débute dans les années soixante avec les travaux du biologiste moléculaire Sydney Brenner, désireux d’étudier l’impact du patrimoine génétique sur le comportement. S. Brenner recherchait un modèle pluricellulaire simple, adapté aux études génétiques et au système nerveux parfaitement connu afin de pouvoir générer des mutants et d’en évaluer l’impact sur le phénotype comportemental (270). Ses travaux restent actuellement la référence génétique pour C. elegans. Le génome de C. elegans, constitué de 100 mégabases avec environ 20 000 gènes, a été entièrement séquencé en 1998.

Le modèle s’est ensuite progressivement développé, permettant une meilleure compréhension de ce nématode et son utilisation dans des champs très divers de la recherche tels que les mécanismes de l’apoptose (271), les neurosciences (272), la résistance aux stress (273), la machinerie moléculaire de l’ARN interférence (274), les voies de signalisation intracellulaires (275), les maladies génétiques humaines (276) et plus récemment l’exploration des facteurs de virulence des pathogènes (277) la réponse immunitaire innée (278,279) et les interactions hôte-pathogènes (280,281). Cet essor a été facilité par les nombreux avantages que présente ce modèle en recherche.

2. Culture de C. elegans

Les nombreux atouts de C. elegans en font un modèle de choix pour les chercheurs. Ses conditions de culture sont simples grâce à sa petite taille et à son mode de nutrition. Les animaux sont élevés en boîte de pétri sur une gélose ensemencée avec une souche de bactéries

Escherichia coli OP50 (Figure 32) (282). La température optimale de culture est comprise

entre 15 °C et 25 °C. Leur temps de génération est rapide. A 20 °C, il ne faut que 3 jours à un œuf pour donner à son tour un adulte capable de pondre des œufs. Chaque adulte peut pondre

82 environ 300 œufs en 5 jours. Un nématode peut donc engendrer en 10 jours une population de 90 000 animaux génétiquement identiques. Les vers de génotype sauvage peuvent vivre jusqu’à 20 jours (270). Etant un animal hermaphrodite autofécondant, la population obtenue à partir d’un seul individu est clonale. De plus, le lignage cellulaire est invariant, ce qui signifie que la parenté et la position de chaque cellule sont identiques d’un individu à un autre (283). Chaque adulte hermaphrodite contient exactement 959 noyaux de cellules somatiques dont 302 appartiennent à des neurones. L’anatomie du ver est actuellement parfaitement décrite et sa connaissance est essentielle pour la compréhension de l’utilisation de C. elegans dans la recherche de facteurs de virulence bactérien et l’étude de la relation hôte-pathogène.

Figure 32: Milieu de culture des nématodes C. elegans

3. Anatomie du ver

En microscopie optique, C. elegans apparait transparent et son anatomie est facilement visualisable en microscopie optique. La bouche de l’animal donne sur le pharynx dont le rôle est d’aspirer la nourriture vers un broyeur, qui la transforme en un lysat passant ensuite dans l’intestin où il est assimilé. La plupart des bactéries ingérées sont donc détruites lors du passage vers la partie postérieure du nématode. En coupe transversale, la structure de C.

elegans est organisée en tubes intriqués (Figure 33). L’animal est entouré par une cuticule

protectrice faite de collagène et de chitine qui constitue son épiderme. Sous cet épiderme se trouvent des faisceaux de muscles ainsi que des cordes nerveuses. Au centre se trouvent l’intestin et les gonades, baignés dans un fluide appelé liquide pseudocoelomique. L’intestin est constitué de 20 cellules épithéliales intestinales non renouvelables qui partagent des caractéristiques morphologiques proches des cellules épithéliales intestinales des mammifères, faisant de C. elegans un modèle de choix dans l’étude des interactions entre ces cellules et divers pathogènes (278).

Figure 33: Anatomie générale de C. elegans (278).

b. Infection de C. elegans par Pa

Il existe deux modèles d’infection de C. elegans par Pa. Dans le modèle du « fastkilling », où vers et bactéries sont en contact dans un milieu liquide riche en sel, la mortalité survient beaucoup plus rapidement (quelques heures) et est due aux toxines bactériennes diffusibles dans le milieu (284). Dans le modèle du « slowkilling », les vers s’infectent en ingérant les bactéries pathogènes mises en culture sur la gélose à la place de

E.coli. La mortalité survient en quelques jours suite à l’accumulation de bactéries dans le

tube digestif du ver et à la constitution de biofilm (285,286).

c. Les mécanismes de défense chez C. elegans

C. elegans possède trois grands types de mécanismes de défense contre l’infection

84 micro-organisme hostile et de s’en éloigner, ou a contrario d’identifier un micro-organisme comestible avant de l’ingérer. Ensuite, sa cuticule et son broyeur pharyngé assurent une protection mécanique contre l’infection. Enfin, C. elegans possède un système de défense inductible, ressemblant à l’immunité innée immédiate des mammifères. Ce dernier permet la reconnaissance des pathogènes et la production de composés antimicrobiens (peptides antimicrobiens, lectines, lysozymes et même ERO) associés à des molécules de réparation

tissulaire. Bien que le nématode ne possède pas NF-kB, Myd88 et autres composants de la

voie de signalisation des TLR, il élabore après stimulation de ses propres PRR une réponse immédiate qui utilise des voies de signalisation très conservées au cours de l’évolution et entre les espèces, incluant la voie de la MAP kinase p38 (mitogen-activated protein kinase), IKB, la ß-caténine, et les facteurs de transcriptions FOXO

(288). Les voies de signalisation mises en jeu sont spécifiques du pathogène infectant.

d. Etude de l’interaction hôte-pathogène

Plusieurs paramètres peuvent être utilisés pour évaluer la pathogénicité d’un micro-organisme, tels que le temps de survie des vers, leurs changements morphologiques ou de comportements après infection. On peut également évaluer l’accumulation ou la persistance bactérienne dans l’intestin. Les différents paramètres de ce modèle permettent le criblage de facteurs de virulence des pathogènes grâce à l’utilisation de mutants bactériens (délétion ou surexpression du gène codant pour le facteur à l’étude) (285).

La réponse de l’hôte peut être évaluée en analysant les variations d’expression de gènes par microarray ou qRT-PCR, ou par l’utilisation de gène rapporteur couplé à la GFP (278). Une autre approche est l’utilisation de nématodes mutants pour criblage des gènes d’intérêt impliqués dans les voies de signalisation étudiées. Cette technique a par exemple démontré l’importance du contrôle génétique de l’apoptose par la découverte du rôle de ced-3, gène homologue de la caspase-1 humaine et murine chez le vers (289).

e. Pertinence du modèle

Le modèle de C. elegans pour l’étude de la virulence bactérienne et des interactions hôte-pathogènes possède évidemment de nombreuses limites. On peut citer la température de culture des nématodes qui ne peut excéder 25 °C alors que le développement des pathogènes de mammifères au sein d’un hôte se fait à température supérieure. Cette différence affecte tout le micro-organisme, de son métabolisme général à son pouvoir pathogène. L’étude du rôle de l’immunité innée se limite aux voies de signalisations et peptides antimicrobiens en

l’absence d’effecteurs cellulaires, et le rôle de l’immunité adaptative ne peut y être étudié. Cependant, les comparaisons entres les différentes séquences génétiques disponibles ont rapidement soulignées la pertinence du modèle pour la compréhension de la biologie des mammifères car 74% des protéines humaines présentent des homologues chez le vers. Grace à ce modèle, des facteurs de virulence pertinents chez les mammifères produits par des bactéries telles que Yersinia pestis, Vibrio cholerae ou Salmonella typhimurium ont pu être étudiés ou identifiés à partir de travaux qui utilisent le nématode comme hôte (290,291,292). De la même manière, ce modèle s’est révélé efficace pour identifier de nouveaux facteurs de virulence de Pa dont l’importance a été ensuite confirmée chez le mammifère (286). En complément de ce premier modèle « d’approche », ce travail de thèse utilise le modèle murin.