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4. DISCUSSION

4.3.1 Le fumeur, le médecin généraliste, la société

Le tabagisme est avant tout le comportement d’un individu. Depuis l’émergence du

tabagisme en France, son image s’est progressivement modifiée. Alors qu’il pouvait être

associé à l’élégance, au savoir-vivre, à la liberté d’esprit, son statut est maintenant plus

nuancé. Les débats à propos du tabagisme passif ont aboutis à l’interdiction de fumer dans

les lieux publics, le fumeur est maintenant stigmatisé comme « gêneur ». Le comportement

tabagique est identifié comme une addiction, et une activité à risque pour la santé de celui

qui s’y exerce. Selon l’enquête EROPP (enquête sur les représentations, opinions et

perceptions sur les psychotropes) réalisée en 2002, plus de six enquêtés sur dix jugent que

le tabagisme pose davantage de problèmes à la société que l’usage de drogues interdites à

la consommation (38). La tendance est de considérer que l’arrêt du tabagisme est plutôt

souhaitable. Il est de la responsabilité du fumeur de mettre fin à ce comportement.

Dans la majorité des cas les fumeurs entreprennent un sevrage tabagique seul.

D’après un enquête européenne 82% des fumeurs européens n'ont pas consulté de médecin

ni de professionnel de la santé lors de leur dernière tentative pour arrêter de fumer (39).

Les médecins généralistes se trouvent coincés entre deux réalités. Celle du patient

qui considère que c’est à lui seul de gérer son tabagisme. Celle de l’autorité de santé

publique qui recommande aux médecins d’intervenir systématiquement auprès des patients

en faveur de l’arrêt du tabac.

Dans ce contexte les médecins généralistes éprouvent des difficultés à définir leur

rôle et à se positionner face au patient.

Certains seront plus sensibles à l’influence de l’opinion publique et auront tendance

à limiter leur intervention. Ceci explique l’appréhension qu’ont certains médecins à

aborder le sujet avec leurs patients, de peur d’être trop intrusif. Cette notion est déjà

présente dans la littérature en 2004 : « Le tabagisme est parfois encore considéré comme

faisant partie de la vie privée du patient » (33). Cette enquête indique que cette opinion est

toujours présente chez les médecins généralistes.

Pour d’autres médecins le rôle professionnel est au premier plan, ceux-ci ont moins

de réticences à appliquer les recommandations en matière d’aide au sevrage tabagique.

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Les médecins interviewés témoignent de la relative autonomie des patients en se

qui concerne le sevrage tabagique. Certains patients se tournent parfois vers le médecin

généraliste pour lui demander conseil en matière de sevrage tabagique. Les médecins

perçoivent alors une certaine exigence d’efficacité dans leur demande. Une fois que le

patient décide de faire appel au médecin généraliste, il se déresponsabilise de la démarche.

En somme l’influence du patient sur le déroulement de l’aide au sevrage tabagique est

centrale.

L’évolution de la relation entre le médecin généraliste et le patient apporte quelques

éléments de réponse : « la médecine est maintenant un service », le patient « a des

habitudes de clients en tout lieu », « ses attentes se sont modifiées avec les habitudes ». Ce

ne serait donc pas une déviance des patients à rectifier, mais une évolution logique, à

laquelle les médecins généralistes doivent s’adapter. « Les médecins vivent une perte

d’image et une crise identitaire. Confrontés à un métier qui devient de plus en plus

complexe et agressif, et exige un sentiment d’identité fort, les médecins sont au contraire

banalisés » (40).

En majorité les médecins généralistes interviewés considèrent qu’il fait parti de

leurs rôles d’aborder le sujet du tabagisme avec leurs patients. Cette notion théorique de

prévention est assimilée mais ne correspond pas à la pratique de chacun de ces médecins.

La prévention touche de nombreux domaines de la santé, certains liés au mode de vie des

individus. Le principal frein rencontré par les acteurs de santé pour mettre en pratique les

actes de prévention est le sentiment d’une intrusion illégitime dans la vie privée de

l’individu.

Il est communément admis que le tabagisme est un comportement sous la

responsabilité de l’individu fumeur. La tendance est de considérer que l’arrêt du tabagisme

est plutôt souhaitable. De ce fait le fumeur en échec de sevrage peut ressentir de la

culpabilité. En tant que patient il peut avoir un comportement qui fait obstacle à la prise

en charge en médecine générale, en ne se présentant pas aux consultations de suivi, ou en

faisant de fausses assertions sur son tabagisme. Il ne faut pas négliger la part de déni dans

ce comportement : « les fumeurs sont capables de se doter de croyances convaincantes qui

leur permettent de nier le risque induit par le tabagisme, ou du moins de le relativiser, au

moins pour eux-mêmes » (41).

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Concernant l’aide au sevrage tabagique, on peut estimer que certaines contre-

attitudes des médecins sont communes à celles décrites en alcoologie (42)(43). Ainsi les

médecins fumeurs s’identifient parfois au patient fumeur,

se montrent pessimistes et

découragés dans l’aide au sevrage tabagique lorsqu’ils sont eux-mêmes en échec de

sevrage. La limite entre l’expérience personnelle du médecin fumeur ou ex-fumeur et sa

prise en charge est parfois mal définie. La relation personnelle que le médecin a quand au

mensonge, à la mauvaise fois, au déni des patients intervient également. Les médecins

généralistes gagneraient à prendre conscience et analyser leurs préjugés et contre-attitudes

en matière de tabagisme.

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