4. DISCUSSION
4.2.1 L’aide au sevrage tabagique en médecine générale
Par certains aspects, la prise en charge en médecine générale se prête mal à l’aide
au sevrage tabagique.
Les consultations de médecine générale ont lieu à l’initiative du patient. Le thème
du tabagisme occupe donc une place secondaire dans cette rencontre, à moins d’être le
motif principal de consultation du patient. Pour certains médecins, aborder le tabagisme du
patient peut être perçu comme une intrusion dans le déroulement de la consultation. Un
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conflit peut apparaitre entre le problème de santé pour lequel le patient vient consulter et
un éventuel besoin identifié par le médecin (33). Or pour être efficace l’intervention du
médecin généraliste en faveur du sevrage doit s’appliquer au plus grand nombre de patients
(11). Cela implique une attitude active du médecin pour aborder le sujet du tabac.
De même le suivi en médecine générale est à l’initiative du patient. La continuité
dans l’aide au sevrage tabagique a montré sont efficacité (12). Elle ne peut être obtenue
que si le médecin et le patient en sont persuadés.
Le rôle du médecin est d’apporter une réponse au problème soumis par le patient.
Les médecins généralistes interviewés formulent à ce sujet le souhait de traitements et de
conduites à tenir efficaces.
La réponse apportée par le médecin comprend généralement en France la rédaction
d’une ordonnance. Une étude qualitative apporte quelques éléments de compréhension. Les
médecins généralistes français exercent dans une logique de réparation de la souffrance du
patient. Prescrire revient à montrer que l’on prend cette souffrance en considération. La
prescription répond à une attente du patient, à laquelle le médecin est directement
confronté en raison de l’accès direct aux médecins généralistes en France. C’est aussi une
façon de légitimer les compétences du médecin. En raison du paiement à l’acte, le médecin
peut être amené à prescrire pour fidéliser sa patientèle (36).
En ce qui concerne l’aide au sevrage tabagique, cette position est inconfortable. Les
moyens thérapeutiques existent mais leur efficacité reste limitée.
L’attitude des médecins généralistes dans la prise en charge du tabagisme de leurs
patients est très variée, les médecins n’ayant pas constaté l’efficacité d’une méthode plutôt
qu’une autre. Cependant deux notions dominent : celle que la connaissance du risque est
un fort levier de motivation, et la tentation pour le médecin d’être coercitif. Or les
arguments rationnels ou scientifiques en faveur du sevrage, venant seulement du médecin
en posture d’expert, ont peu de chance d’être entendus. Critiquer, culpabiliser ou blâmer
sont des attitudes peu efficaces. Ces attitudes dénotent d’un manque de connaissance des
médecins vis-à-vis des mécanismes de dépendance.
Certains médecins ont parfois tendance à orienter leur prise en charge sans
consulter le patient. D’une part car ils estiment bien le connaitre, d’autre part car
catégoriser les patients leur permet d’adapter leur prise en charge. Cependant cataloguer le
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patient selon ce qu’il est ou ce dont il est atteint peut conduire à ne pas l’écouter. Les
méthodes d’aide au sevrage tabagique se basent essentiellement sur un accompagnement
du patient, celui-ci est acteur de son sevrage, et peut être soutenu et guidé par le médecin.
Le conseil minimal d’arrêt du tabac est une des recommandations. L’efficacité de
ce conseil se base sur son caractère systématique (11). D’après les médecins interviewés
l’application d’un conseil systématique en médecine générale se heurte à plusieurs
difficultés. Le sentiment d’intrusion et de non légitimité du médecin a déjà été abordé. Une
autre difficulté est de définir, parmi les très nombreux thèmes abordés en médecine
générale, lequel plutôt qu’un autre devrait être abordé systématiquement. Il faut également
pouvoir ménager du temps pour réaliser ce conseil, dans une consultation qui comporte
parfois plusieurs motifs de recours. Dans une étude multicentrique incluant douze pays
européens, 36% des professionnels de santé rapportaient conseiller un arrêt du tabac chez
les patients de façon systématique (37).
Pourtant on peut supposer que le fait d’éluder le sujet peut parfois avoir des
conséquences délétères : « ne pas dire le moindre mot sur le tabac à un fumeur est un
message très négatif qui va le conduire à considérer plus encore que fumer n’est pas un
problème pour lui car son médecin ne lui pose même pas la question » (18).
Le caractère qualitatif de cette étude permet de dépasser les affirmations anonymes
d’un questionnaire quantitatif. Au cours des entretiens il s’est avéré que la majorité des
médecins ne connaissaient pas le conseil minimal d’arrêt du tabac, et qu’aucun ne le
pratiquaient systématiquement au sens strict du terme. Tout au plus le médecin généraliste
peut-il chercher des moyens d’aborder le sujet plus fréquemment. Ainsi le tabagisme est
abordé dans deux circonstances. Lorsque le médecin s’estime légitimement autorisé à
l’aborder : demande du patient, suspicion d’une pathologie liée au tabagisme, grossesse. Et
lorsque les circonstances permettent au médecin de penser à aborder le tabagisme :
création de dossier, odeur de tabac, auscultation anormale, patient surpris en train de
fumer, association à un geste de l’examen clinique. Cette façon de faire n’a pas été évaluée
quant à son efficacité.
Les médecins généralistes et leurs patients abordent la plupart du temps la
consultation d’aide au sevrage tabagique avec des attentes irréalistes et une façon de faire
peu adaptée. Ceci est une explication au fait que la majorité des médecins généralistes
témoignent d’un vécu pénible de l’aide au sevrage tabagique.
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Dans le document
Étude qualitative auprès de médecins généralistes de Marseille : vécus et représentations de l'aide au sevrage tabagique
(Page 63-66)