• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Entre stigmatisation et liminalité

2.1 Le fauteuil roulant : objet de stigmatisation

La déficience précède la personne. Le fauteuil est vu avant celui ou celle qui l’occupe. La déficience peut entraîner une perte de l’estime de soi, dans des conditions sociales ordinaires. Nous nous interrogerons sur la notion de verticalité, des répercussions

provoquées par la position assise ainsi que sur la place particulière occupée par le fauteuil roulant électrique, considéré par un certain nombre de personnes comme une représentation encore plus stigmatisante du handicap.

2.1.1 L’homme debout

Les objectifs rééducatifs des années 60 visaient à remettre l’homme « debout ». D’une part, il s’agissait de retrouver les fonctions et les capacités antérieures, de redevenir comme avant, avec toute la logique des « ré », ré-éducation, ré-adaptation, ré-insertion, et d’autre part les fauteuils roulants disponibles à l’époque étaient lourds et peu maniables. Fiszlewicz, psychanalyste en fauteuil roulant, parle de violence symbolique dans sa thèse de médecine (1967). C’est en ces termes que Madame Gone décrit l’attitude de son mari face à sa déficience, dans les années 2000.

 « Mon mari ne voulait pas parler de fauteuil puisqu’il ne pensait qu’appareillage » (Madame Gone).

Pour les personnes dont la déficience est considérée définitive, comme les paraplégiques, marcher appartient au passé. En revanche retrouver la marche reste le leitmotiv des personnes qui ont encore la possibilité de se mettre debout. Le mari de Madame Deve met toute son énergie et son imagination au profit de la rééducation de sa femme, dans le but qu’elle remarche un jour. Il lui demande pendant l’entretien de lever la jambe du côté déficient, (Madame Deve a une hémiplégie gauche), ce qu’elle arrive d’ailleurs à faire, pour me prouver que rien n’est impossible. Monsieur Deve ajoute que s’il avait écouté les médecins, « elle serait un légume dans une maison pour personnes âgées ». Monsieur Deve a imaginé et conçu un dispositif d’aide à la marche pour sa femme, qui se prête volontiers à toutes ces expérimentations. Murphy rapporte que le président des Etats-Unis, Franklin D. Roosevelt, se tenait toujours debout lorsqu’il prononçait ses discours et ne se laissait jamais photographier dans son fauteuil roulant (Murphy, 1986, p.170). Les fauteuils « lift » ont été imaginés pour permettre d’atteindre les mêmes niveaux que si l’on était debout. Pour d’autres personnes déficientes, « La verticalité et la marche ne constituent pas l’homme de façon unique : la société doit intégrer dans son organisation d’autres modes d’exister. Le symbole du fauteuil roulant doit être transformé en une alternative positive à la station debout : signe d’autonomie et d’action et non de dépendance », (Lacroix, 2008, p.51).

2.1.2 Le fauteuil roulant : objet visible et symbole

Lorsqu’une personne se déplace en fauteuil roulant, c’est l’objet qui accroche en premier le regard. « On ne peut pas dissimuler un fauteuil roulant ; il est d’une évidence brutale », (Murphy, 1986, p. 133). Symbole d’un groupe et emblème d’une identité collective le fauteuil est la figure asexuée du handicap, ni homme, ni femme, mais handicapé (Marcellini, 2008). La question de la hauteur est symbolique. Plusieurs auteurs (Marcellini, de Léséluc, Le Roux, 2008) ont étudié cet aspect. Non seulement le manque de hauteur donne une sorte d’invisibilité, mais il provoque le sentiment d’être dominé. Madame Gone se considère en position d’infériorité parce qu’elle « est assise plus bas ». Madame Gone est une femme, et une femme handicapée. « La question de la hauteur relative des interactants est un élément important qui caractérise les mises en scènes de la domination masculine, où les femmes sont toujours représentées dans des configurations où elles sont plus bas que les hommes », (Marcellini, de Leséluc, le Roux, 2008, p. 126). L’attitude du corps engendre les interactions sociales. Une seule personne sur les quinze rencontrées a opté pour un fauteuil à hauteur variable (lift) et il s’agit d’un homme, Monsieur Berge.

2.1.3 Du fauteuil roulant manuel au fauteuil roulant électrique : une image négative  « Il y a trois catégories de fauteuils : fauteuil de fainéant, fauteuil roulant et

fauteuil électrique ! » (Monsieur Capa).

Monsieur Capa résume ainsi sa représentation du fauteuil manuel. Dans l’imaginaire, c’est un fauteuil de sport, aux couleurs vives, au cadre carrossé et destiné aux compétitions sportives. Le fauteuil électrique, quant à lui, représente aux yeux de nombreuses personnes le palier à ne pas franchir. Monsieur Capa, Madame Gone et Madame Bire sont depuis plusieurs années équipés d’un fauteuil manuel. Une longue période d’utilisation du fauteuil déclenche une prévalence des douleurs d’épaules. « La pathologie dégénérative et douloureuse est une épée de Damoclès qui pèse sur tous les utilisateurs au long cours d’un fauteuil manuel », (Fattal, Pélissier, 2008, p. 187). Rester à tout pris en fauteuil manuel est souvent le résultat d’un mépris de la souffrance et d’une acceptation d’une moindre capacité à se déplacer. Murphy décrit la difficulté de se résoudre à utiliser un fauteuil roulant électrique lorsque l’on a passé plusieurs années en fauteuil manuel : « mon environnement physique s’était encore rétréci » (Murphy, 1986, p. 263). Le fauteuil électrique ne renvoie pas la même image.

Madame Gone : « il fait davantage penser à Robocop ». Elle concède pourtant que son utilisation soulagerait ses épaules et faciliterait ses déplacements :

 « L’électrique passe là où le manuel ne passe pas…Et puis quand je vois des gens en fauteuil électrique, je ne me vois pas dedans…C’est pour moi un autre passage » (Madame Gone).

Monsieur Capa reconnaît que le fauteuil électrique va l’aider dans les déplacements mais il est pour lui bien plus stigmatisant.

 « C’est plus lourd, plus dépendant, il renvoie une image de dégradation de la personne » (Monsieur Capa).

 « C’est pour les plus gros handicaps, moi, je me vois plutôt dans un petit scooter » (Madame Bi).

Pour d’autres, il est la seule possibilité de réaliser des déplacements extérieurs. Monsieur Sete parcourt tous les jours les six kilomètres qui séparent son domicile du bourg. C’est encore grâce au fauteuil électrique qu’il peut jouer aux boules avec les copains, mais aussi tondre la pelouse et tailler les haies de son jardin.

Documents relatifs