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DU TRAVAIL DANS LA SYLVICULTURE ET LE BÛCHERONNAGE

2. LE DIAGNOSTIC ET LES RÉSULTATS DE LA RECHERCHE-ACTION

La question centrale du diagnostic est de comprendre comment l’activité structure les différents facteurs de pénibilité et d’usure professionnelle afin de favoriser la conciliation entre enjeux écono-miques et enjeux sociaux. Les résultats de la recherche-action ont ensuite été exposés auprès de personnes impliquées dans la filière, par exemple la Commission Paritaire d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CPHSCT), pour être modérés ou enrichis.

2.1 L’environnement physique : des gestes contraints et un cumul de risques professionnels4 Les activités de sylviculture et de bûcheronnage connaissent des diversités de situations que nous allons tenter de décrire de manière factuelle, tout en comprenant bien que l’ensemble de ces dé-terminants s’entremêle pour créer chaque jour et sur chaque chantier des situations très variées auxquelles les ouvriers forestiers se trouvent exposés. Le bois reste un matériau vivant et complexe.

4 Même si lors de la recherche-action, nous avons investigué les expositions aux risques physiques notamment liés aux outils et aux contraintes des

Structures Observations

Les facteurs sont nombreux qui peuvent intervenir et influencer le rendement du travailleur forestier : essence, posture et tenue imposée à la coupe, découpes, façonnage, dispersion des bois, etc.

L’ensemble des sylviculteurs et bûcherons5 ont une forte connaissance des espèces et essences (voir aussi F. Schepens, 2003). Les apprentis développent cette connaissance au fur et à mesure de leur formation et notamment auprès des anciens « plus qu’à l’école ».

Les bûcherons comme les sylviculteurs insistent sur le fait qu’il est important que les préparateurs de chantiers (chefs d’établissement ou manageurs de proximité) prennent en compte la densité du peuplement pour mesurer au plus juste la charge de travail.

La densité est au cœur de l’activité, car elle va faciliter ou rendre encore plus difficile le travail. Par exemple, si pour les bûcherons les arbres s’encrouent6 trop régulièrement, alors l’objectif de pro-duction va en être altéré. Par souci d’un travail « bien fait », [pour un bûcheron, un des éléments qui détermine un travail bien fait est un arbre à terre], les bûcherons vont alors tenter des manœuvres parfois dangereuses, voire interdites par l’entreprise pour leur sécurité. Quant aux sylviculteurs, leurs gestes sont plus contraints, moins souples lors du maniement de la tronçonneuse, également lors de la pose de filets (protections pour éviter les dégâts causés par le gibier) où les actions de taper, poser et agrafer deviennent plus ardues.

Le type de végétation peut aussi rendre la tâche plus difficile. Par exemple, en sylviculture les hautes fougères ne permettent pas toujours de visualiser le sol et ses imperfections, de trouver les plants à dégager. C’est pourquoi il faut souvent faire des enjambées pour éviter la chute, ce qui à la fin d’une journée de travail rend les jambes lourdes.

Chaque saison détermine des contraintes climatiques, même si l’ensemble des personnes observées affirme que travailler dehors est un réel choix de leur part, « je ne veux pas travailler enfermé […] on est mieux dehors, au grand air ». Elles expliquent que chaque saison présente plus ou moins d’avan-tages pour travailler dans de plus ou moins bonnes conditions. Ces appréciations restent assez indi-viduelles, mais nous pouvons mettre en avant que la saison la plus appréciée est l’hiver car le temps est plus sec. Par conséquent, vêtus et en activité, le froid semble avoir moins d’impact sur les corps. En revanche, peu importe la saison, mais surtout l’automne, la pluie est le climat le moins apprécié. Elle va traverser les vêtements, et les travailleurs vont avoir plus de difficulté à se réchauffer.

Chez les plus anciens, les appréciations sur le climat semblent évoluer avec l’ancienneté dans le travail. Le climat le plus apprécié pour travailler serait plutôt l’été, le froid entraînant une sensation plus forte d’apparition de douleurs : « Avant, je préférais travailler avec un froid sec, mais maintenant je préfère quand il fait un peu plus chaud, j’ai moins de douleurs ».

À l’unanimité, les personnes interrogées expriment que le temps venteux rend beaucoup plus délicat le travail du bûcheron : « Le vent est le pire ennemi du bûcheron ». Effectivement, pour abattre l’arbre, il faut, dans une première étape, observer dans quelle direction le houppier se dirige pour le faire tomber, et lorsque le vent souffle, il est beaucoup plus difficile d’apprécier sa direction.

L’été est la saison où prolifèrent les insectes. Abeilles, guêpes, taons et autres bestioles peuvent avoir des effets urticants et allergisants avec des manifestations pouvant être très graves selon les per-sonnes. Le problème le plus préoccupant en Lorraine est l’augmentation massive (disparition des gels de printemps) des chenilles processionnaires du chêne avec un impact sur la santé et l’emploi.

Des zones entières sont infestées et nombre de travailleurs ne peuvent plus y pénétrer, au risque de déclencher de violentes crises allergiques et diverses réactions : cutanées (érythème prurigineux, urticaire, eczéma, etc.) ; oculaires (conjonctivite, etc.), respiratoires (rhinite, asthme, etc.), digestive

5 25 personnes ont été rencontrées pour réaliser cette étude.

(gastro-entérite, etc.) ou même généralisée (œdème de Quincke, choc anaphylactique). Les nids de ces chenilles processionnaires sont dangereux quelle que soit la saison. Les travailleurs forestiers sont également exposés aux tiques et à leurs piqûres qui peuvent déclencher la maladie de Lyme.

La mobilité est rendue plus ou moins aisée selon l’état du sol. En pente ou en plaine, si le travail ne va pas être différent, il aura cependant un impact sur la façon de le réaliser : traverser ou accéder à la parcelle va être facilité ou non, notamment en portant l’outillage (tronçonneuse, bidon de mélange et petits outillages) et/ou, tout en faisant l’activité (essentiellement chez les sylviculteurs qui sont mo-biles dans les activités de débroussaillage).

Comme nous l’avons déjà signifié plus haut, la visibilité de l’état du sol est loin d’être toujours évi-dente. Selon la densité de la végétation et du peuplement, surtout lors des travaux sylvicoles, le tra-vail est plus ou moins laborieux. Les bosses et trous peuvent avoir des répercussions sur le dos et les membres inférieurs.

La mobilité peut être vue sous l’angle des trajets. Aujourd’hui, dans un contexte économique tendu, les entreprises (publiques et privées) sont obligées, pour continuer à exister, de trouver des chantiers de plus en plus loin de leurs zones de travail habituelles. Si bien que les ouvriers peuvent être amenés à allonger leur temps de travail journalier. Certains expliquent « être bien soulagés de ne pas devoir conduire après une journée de travail lorsqu’il y a de longs trajets ». Au détriment de temps de dépla-cements plus courts, un dirigeant indique que :

« pour l’hiver, je garde des chantiers situés en plaine car là, on a moins de risque de neige qu’en montagne. Ça fait plus de déplacements pour les équipes, mais ça nous permet de nous arrêter le moins possible. »

Les promeneurs

Une nouvelle forme de difficulté apparaît ces dernières années : la multiplication des promeneurs, randonneurs pédestres et vététistes.

Il peut arriver que des bûcherons se trouvent sur les terrains de chasse en train de travailler ; la peur de recevoir une cartouche et les conflits avec les chasseurs se multiplient (le bruit des tronçonneuses faisant fuir le gibier) : « Le gibier, on ne lui fait pas peur, il reste souvent à côté de nous, puisqu’on ne l’emmerde pas ».

Aujourd’hui, malgré des panneaux pour signaliser les parcelles en travaux et la dangerosité à la-quelle s’exposent les promeneurs, les chemins sont très empruntés. Si bien que les ouvriers expriment un accroissement de leur charge mentale au moment des travaux de bûcheronnage notamment.

L’attention fortement portée sur les membres de l’équipe doit aujourd’hui se reporter sur des per-sonnes extérieures au chantier :

« Quand les chantiers sont près des chemins très passagers, ça me stresse. On met des pan-neaux, mais les gens s’en fichent. On doit regarder l’arbre, voir où il tombe, on prévient ses collègues et on surveille à droite à gauche sans arrêt pour voir s’il n’y a pas quelqu’un qui arrive […] Regardez ! On a mis des panneaux… ben, ils passent, ils ne regardent même pas les panneaux », « le pire c’est les VTT, on ne les voit pas débouler ».

2.2 L’organisation du travail : des risques moins visibles mais présents

Au-delà de ces dimensions physiques, des questions organisationnelles se posent qui conditionnent la capacité des travailleurs à conserver leur santé : les consignes, l’intégration des jeunes et la valori-sation des métiers, l’arrivée des nouvelles technologies et les parcours professionnels, etc.

2.2.1 Des objectifs en contradiction avec les lois naturelles

commandent du bois frais) ne sont pas tout à fait en adéquation avec la production naturelle.

C’est le cas de l’abattage des feuillus lorsqu’ils sont en feuilles. Au-delà de l’aspect dangereux de cette activité (saison de fin d’été – début automne) connu par l’ensemble des préventeurs du sec-teur, les bûcherons expriment l’irrationalité de ce phénomène, d’autant plus fort lorsqu’ils en ont peu l’habitude : « Moi ça va parce que je le faisais avant sur l’autre secteur, mais mes collègues, ils n’ont pas tellement l’habitude et je sais qu’ils ne sont pas trop à l’aise ». La maîtrise de la chute des feuillus en feuilles est plus délicate. Les arbres s’encrouent plus facilement, et pour respecter les objectifs de production, et leur propre notion d’un travail bien fait, surtout lorsque des promeneurs sont présents, les bûcherons veulent éviter que l’arbre ne tombe de manière fortuite. Cette mise en cause de la tension entre la gestion écologique et les objectifs économiques se comprend à la fois dans le respect du développement de la végétation et de la forêt, pour une meilleure production en termes de cubage, de qualité du bois, mais aussi d’entretien du matériel — « la sève abime la chaîne de la tronçonneuse et entraîne plus de temps d’entretien et de maintenance » —, de moindre pénibilité et de dangerosité de l’activité.

Les ouvriers forestiers ont eu souvent une réflexion sur l’économie et la gestion de la forêt. Très majori-tairement, ils s’interrogent sur son devenir. La préoccupation vient essentiellement du développement du secteur bois-énergie et de son impact sur le développement de la forêt, notamment en s’interro-geant sur l’état des sols, de l’humus, etc. Les questions environnementales sont très présentes dans le discours des ouvriers forestiers, fortement chez les anciens qui ont passé une grande partie de leur vie professionnelle et familiale en forêt (« aller au bois à 13 ans avec mon père ») et du côté des jeunes qui se questionnent sur leur perspective professionnelle.

Une ambivalence se joue à travers cette perception, notamment lorsqu’il est évoqué l’arrivée des entreprises étrangères sur le territoire lorrain (Belgique et pays de l’Est – lors de cette étude aucune entreprise étrangère ne fut rencontrée), mais aussi de voir partir le bois façonné vers la Chine, par exemple, et revenir en France sous forme de produits manufacturés à bas coûts, alors que des scie-ries lorraines ferment.

Du point de vue de l’activité, les demandes des donneurs d’ordres (propriétaires privés et/ou col-lectivités locales), relayées par les chefs de chantiers ne sont pas toujours légitimées par les ouvriers forestiers. Par exemple, une commande de « tout couper » peut parfois ne pas être complètement exécutée :

« Il y a des espèces que je ne vais pas couper comme le merisier… et pourtant le chef m’a dit de tout couper, c’est le client qui a demandé… mais il va être beau ce merisier », « on va couper des saules pour montrer qu’on est passé ».

Cet écart entre le travail qui est prescrit et le travail réalisé peut s’expliquer par le sens que mettent les ouvriers forestiers dans leur travail, à la fois sur le terrain et en lien avec leur représentation du métier et de ce qu’il devrait être.

2.2.2 L’éloignement des chantiers et la conciliation des temps

Il est de plus en plus difficile, secteurs public et privé confondus, de prévoir, d’anticiper les plannings des chantiers (lieux, horaires, activités). L’effet du contexte économique a un impact sur les com-mandes et il peut arriver que certains secteurs géographiques soient désertés. Pour pouvoir conser-ver les emplois et les entreprises, certains ouvriers se retrouvent dans la situation de devoir augmenter leur temps de déplacement, avec des délais de prévenance de plus en plus raccourcis.

Les temps de déplacement, même s’ils peuvent pour partie être intégrés dans le temps de travail, étendent la journée de travail. Celle-ci est plus fatigante lorsque les déplacements se font plus régu-liers et sont vécus de plus en plus difficilement pour les ouvriers vieillissants. Cette fatigue exprimée

semble s’amplifier lorsque la visibilité sur la programmation des chantiers à réaliser est réduite. C’est le cas lorsqu’on augmente la tension sur la gestion de la vie hors travail (familiale et sociale), mais aussi sur la manière dont les ouvriers vont réussir à anticiper et gérer leur activité physique pour tenir la semaine, le mois. Une baisse de vigilance et d’augmentation d’accidents du travail est souvent un facteur anxiogène pour les chefs d’équipe, les entrepreneurs et les ouvriers eux-mêmes.

2.2.3 Les collectifs

Pour l’ensemble des acteurs rencontrés (dirigeant TPE, chef d’équipe, préventeurs hors et dans l’entre-prise), le travail en équipe est extrêmement favorable à la prévention en termes de sécurité, de santé, de développement des compétences, d’intégration des novices, etc. Quant au travail isolé, il pose un certain nombre de points de vigilance7.

Pour faire face au travail isolé, lorsqu’il est impossible de procéder en équipe (indépendant, TPE, coopérative), compte tenu des risques du métier, des équipements vont être développés et testés : géolocalisation, télécommunication en port direct par l’ouvrier (type holster). Effectivement, les équi-pements actuels du type téléphone mobile lié à un dispositif « homme mort » restent souvent confinés dans les véhicules pouvant être à quelques centaines de mètres de la parcelle en exploitation. Du fait des activités, par exemple en sylviculture lors de la remise sur pied d’un « arbre de fer », l’ouvrier sylvi-cole va avoir une position statique et courbée… Alors, le téléphone peut tomber s’il est rangé dans la poche de la chemise et l’alarme pourrait se déclencher. Même s’ils sont efficaces, ces dispositifs sont donc considérés plutôt comme une contrainte supplémentaire.

Une équipe stable est favorable pour une bonne prévention dans le cadre des travaux forestiers.

Une bonne connaissance des pratiques de chacun, qui ont pu être agrégées et mutualisées par le collectif pour en faire une pratique et des savoir-faire collectifs, notamment par une surveillance réciproque, un développement du langage verbal et non verbal commun, et des activités qui de-mandent une solidarité physique… sont les points forts de la structuration de la collaboration favo-rable au développement de la santé des ouvriers forestiers.

2.2.4 La formation

Des questions autour de la formation sont très présentes chez les ouvriers forestiers, du point de vue du renouvellement des équipes, de la gestion technique de la forêt et de l’évolution du métier (L’homme va-t-il laisser sa place à la machine ? Comment les forêts seront-elles entretenues demain ?), et de la transmission des savoirs (essences, espèces…) et des savoir-faire.

Ces questions existent à la fois dans les secteurs privé et public, même si elles sont nuancées dans leur périmètre.

Les ouvriers du secteur public s’interrogent sur l’arrivée de jeunes tant sur l’attractivité du métier que sur le rajeunissement des équipes. Ils voient là des questions de transmission des valeurs du métier qui, de leur point de vue, sont en péril : des valeurs bousculées par un contexte ayant beaucoup évolué depuis leur début de carrière, voire depuis qu’ils « font le bois ». Pour les plus anciens (50 ans et plus), la connaissance de la forêt et de l’activité d’abattage remonte à leur enfance durant laquelle ils faisaient eux-mêmes la récolte de bois pour une consommation familiale. L’allongement de carrière et la baisse des recrutements montrent une population vieillissante. Les ouvriers forestiers s’interrogent alors sur l’évolution du travail collectif : les équipes vieillissent, le travail reste physique, les corps s’usent : comment poursuivre le travail, alors que l’entraide reste une ressource importante dans le collectif de travail ?

En ce qui concerne le secteur privé, les questions autour de la formation semblent se poser plutôt vers l’attractivité du métier et la qualité des formations. La structure des âges des ouvriers forestiers dans le secteur privé paraît moins vieillissante (même si peu d’éléments statistiques sont disponibles).

Les sorties du métier ou de l’activité semblent se faire soit par la reprise d’activité de direction et de gestion, soit vers d’autres activités non forestières. Une évolution rendue nécessaire par le vieillisse-ment des ouvriers et une impossibilité de poursuivre physiquevieillisse-ment ces activités. Le métier semble être de moins en moins attractif pour différentes raisons : travail physique, par tous les temps, avec des rémunérations pas toujours à la hauteur de la pénibilité. Comment rendre le métier attractif et valori-sant, alors qu’il semblait bénéficier d’une image positive il y a quelques décennies ? Les dirigeants de TPE posent le problème de recrutement à la fois par des faibles taux de réponses aux offres d’emploi, de motivation, et de qualité de formation. Beaucoup s’interrogent sur les techniques et la théorie enseignées, les matériels et outils utilisés, parlant d’un enseignement peu en adéquation avec les évolutions du métier et du contexte.