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Chapitre 3 : L’ascétisme dans le bouddhisme

3.1 Le Dhammapada

Le Dhammapada est un ouvrage qui rapporte les paroles prononcées par le Bouddha lui-même alors qu’il prêchait sa doctrine (Dharma). Même si son contenu faisait au départ partie de la tradition orale du bouddhisme et qu’il n’a été mis par écrit que quelques siècles après la mort du Bouddha, la tradition veut que le contenu du texte rapporte bien ses paroles (Dong, 2002). On retrouve parallèles entre le contenu du Dhammapada et d’autres textes de la tradition bouddhiste (Von Hinüber, 2004, p. 216). Divisé en 26 chapitres, le texte est écrit sous forme de versets résumant en peu de mots et de manière imagée les enseignements de base de la doctrine. On y retrouve des sections portant sur des thèmes comme la maîtrise de soi ou le devoir moral. Le texte ne présente pas d’organisation entre les différents chapitres et ces

thèmes se retrouvent donc aussi entrecoupée d’autres contenus rapportant certaines paroles ou images illustrant d’autres parties de la doctrine. Pour la présente réflexion, nous utiliserons toutefois des passages portant sur l’idéal ascétique du pratiquant bouddhiste. Nous nous attarderons donc sur les chapitres VI (Le sage), VII (L’arahant), XIV (Le Bouddha), XIX (Le juste), XX (La voie), XXV (Le bhikkhu), et XXVI (Le brahmane).

Dans le chapitre VI (Le sage), on retrouve la présentation de divers comportements que l’on peut facilement associer à l’éthique bouddhiste et à l’Octuple Sentier. L’ascétisme y est décrit comme un élément important permettant de libérer l’esprit et ainsi de suivre le sentier prescrit : « Il quêtera sa joie dans le détachement, / Si austère à vivre pour les gens du commun. / Rejetant les désirs des sens, délaissant tout possession, / Il effacera les impureté de son esprit. » (Dhammapada VI, 88)4. Le sage cherchera ainsi à être « libre d’attachements » et trouvera la « joie dans le renoncement » (Dhammapada VI, 89), ce qui doit lui permettre d’atteindre la libération.

L’arahant décrit dans le chapitre suivant (Chapitre VII) est, dans le bouddhisme, celui qui a atteint cette libération (nirvana) et qui ne se réincarnera donc pas à la fin de sa vie. La sagesse décrite dans le chapitre précédent et les comportements qui y sont encouragés, dont le renoncement ascétique, sont des éléments devant mener le moine à l’atteinte de l’état et du statut d’arahant. Le renoncement ascétique est central dans la description faite de l’arahant dans ce chapitre. On le décrit comme celui qui n’accumule pas les richesses (Dhammapada VII, 92), qui n’est pas attaché à la nourriture (Dhammapada VII, 93), qui dompte ses sens

(Dhammapada VII, 94), et qui renonce à tous les désirs (Dhammapada VII, 97). L’ensemble de ces renoncements est associé à la libération de l’attachement, et donc à l’absence de renaissances et à l’atteinte du nirvana.

Les pratiques d’ascétisme sont également encouragées dans le chapitre consacré au Bouddha (Chapitre XIV). On y souligne la place de la méditation et on mentionne que le renoncement doit mener à la joie (Dhammapada XIV, 181). En plus des comportements éthiques prescrits, on réitère que le Bouddha enseigne la retenue dans l’alimentation, le retrait social, et la centration sur la méditation (Dhammapada XIV, 185). Ce chapitre indique aussi que le renoncement ascétique donne l’opportunité de se consacrer à la Loi et à la compréhension de la réalité, ce qui permet de sortir de la souffrance (Dhammapada XIV, 190-192).

Ces pratiques ne doivent toutefois pas être adoptées de manière vide puisqu’elles ne permettraient alors pas de récolter les bénéfices décrits. Cette mise en garde est illustrée par le biais de celui qu’on appelle Le juste (Chapitre XIX). On y énonce dans le chapitre lui étant consacré comment la tête rasée, caractéristique de l’ascète, n’est pas suffisante dans la démarche. Les pratiques doivent être accompagnées d’un réel détachement face au désir puisque c’est ce dernier qui doit être éliminé sur la voie de la libération : « Un être sans discipline, mensonger, / Ne devient pas un ascète pas la vertu d’une tête rasée. / Comment peut-on être un ascète, / Quand on est plein de désirs et de convoitise? » (Dhammapada XIX, 264). Même si ce n’est pas mentionné textuellement dans ce chapitre, nous avons vu plus haut que l’ascèse doit être jumelée à la méditation pour comprendre les racines de la souffrance afin d’atteindre le véritable détachement. Cette idée est d’ailleurs complétée dans le chapitre

XX (La voie) où l’on continue à souligner l’importance de suivre l’Octuple Sentier pour se rapprocher de la libération et de se méfier des divers attachements susceptibles de faire dévier du chemin. L’ascèse et le renoncement aux passions sont encore présentés comme un moyen de se détacher des distractions. On ouvre alors la voie à la méditation qui est présentée comme menant à l’intelligence, c’est-à-dire à la compréhension profonde du conditionnement et de l’impermanence (Dhammapada XX, 282).

La voie que nous venons de décrire est empruntée par le moine (bhikkhu) qui est encouragé à un niveau d’ascèse dans son cheminement vers le nirvana. Dans le chapitre XXV, on souligne l’importance de vider sa barque (Dhammapada XXV, 369) et ne pas se laisser étourdir par les désirs (Dhammapada XXV, 371) pour plutôt vivre selon la Loi énoncée par le Bouddha. Le bhikkhu est appelé à se contrôler dans son corps, dans son comportement et dans ses pensées, et à se maîtriser. Il doit méditer dans la solitude en renonçant ainsi aux distractions, internes et externes, afin d’atteindre la paix de la libération : « Maîtrisant sa main, son pied, sa parole, / Suprême dans la maîtrise de soi, / Celui qui trouve joie à méditer et vit en solitaire, / Calme et posé, ayant son content avec ce qu’il a, / On peut l’appeler un bhikkhu » (Dhammapada XXV, 362).

Le dernier chapitre du Dhammapada qui sera étudié porte sur le brahmane (Chapitre XXVI). Même si ce terme réfère habituellement au membre de la caste supérieure dans l’hindouisme, ce terme signifie dans le cas présent un être vertueux présentant plusieurs des qualités que le Bouddha encourage à cultiver. Cet être vertueux se rapprochant de l’idéal bouddhiste est notamment décrit comme s’habillant en loques et vivant en solitaire (Dhammapada XXVI,

395). D’autres passages du chapitre soulignent qu’il est sans possessions et sans attaches (Dhammapada XXVI, 396), et qu’il n’entretient aucun désir (Dhammapada XXVI, 415). En cultivant ainsi le renoncement, il est appelé à mettre l’accent sur le détachement et la méditation qui mènent à l’extinction de la soif et à la libération : « Celui qui se voue à la méditation, / Vivant reclus, sans taches, / Soumis à ses devoirs, pur de souillures, / Et qui est parvenu au but suprême, / C’est lui que j’appelle un brahmane » (Dhammapada XXVI, 395).

Comme nous pouvons le constater, les différents chapitres du Dhammapada que nous étudions ici reprennent les pratiques de renoncement décrites plus haut tout en soulignant les liens étroits avec la méditation. Malgré l’absence d’organisation logique dans l’ordre des différents chapitres, nous remarquons comment les pratiques ascétiques encouragées sont jumelées à la méditation pour orienter le pratiquant vers la sagesse ouvrant la voie de la libération (nirvana).