• Aucun résultat trouvé

Le détour méthodologique : contourner la qualification

Sous-titre 2 Des qualifications éludées

Section 1  Le détour méthodologique : contourner la qualification

Section 2 Le détour politique : renvoyer à l’intention législative

Section 1 

Le détour méthodologique : contourner la qualification

251.  Les juridictions saisies de contentieux impliquant des corps humains avant la

naissance et après la mort se gardent le plus souvent de résoudre le litige en qualifiant le corps ou en lui appliquant le régime des personnes ou des choses. Elles opèrent plus volontiers une sorte de contournement des difficultés893, notamment en rattachant les litiges à des sujets de

droits incontestables (§1). Les juges modulent cependant leur pouvoir d’interprétation créatrice, soit en créant des principes généraux à même de résoudre les questions qui leur sont soumises, soit, au contraire, en s’attachant à la lettre des textes appliqués (§2).

§ 1 Désigner des sujets incontestables § 2 Moduler son action créatrice

§1. Désigner des sujets incontestables

252.  Afin d’éviter d’avoir à qualifier juridiquement des embryons et des cadavres de

choses ou de personnes, les juges rattachent souvent le litige à des personnes juridiques

892

M. TROPER et V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Introduction », in Théorie des contraintes juridiques, op.cit., p. 5.

893

Les règles de procédure imposent souvent que les éléments utilisés par les juridictions aient été soulevés par les parties elles-mêmes. Cependant, il est déjà notable d’une part que les parties proposent des modes de raisonnement non-qualifiants et, d’autre part, que ces éléments soient accueillis par les juridictions. L’étude de l’adéquation entre les demandes et les réponses est singulièrement compliquée par les modes d’éditions des décisions qui ne comportent pas toujours l’intégralité des moyens, en particulier pour les décisions anciennes. Nous soulignerons tel ou tel choix lorsqu’ils nous auront paru particulièrement signifiants.

incontestables que ce soit simplement pour accepter de connaître du litige (A) ou, plus largement, pour trouver des argumentations permettant de le trancher (B).

A. Connaître du litige B. Trancher le litige

A.  Connaître du litige

253.  Avant même de se pencher sur le fond du litige, la question se pose de savoir qui peut

agir pour protéger les intérêts des embryons et des morts. La question pourrait aisément être posée en termes de qualification : soit il existe une personnalité prénatale et post mortem et il reste à désigner qui peut en être représentant, soit les corps sont des choses et seules peuvent agir les personnes qui exercent sur elles un pouvoir exclusif, y compris, le cas échéant, l’État. Mais les juridictions, en particulier la Cour européenne des droits de l’Homme, usent plutôt d’arguments détournés : admettant l’action des proches, notamment grâce à la notion de victime indirecte (1) ou contrôlant l’action de personnes plus éloignées (2).

1)  Admettre l’action des proches

254.  Lorsqu’un droit fondamental a été violé du vivant d’une personne, la question se pose

de savoir si son droit à agir est transmissible ou si une action intentée peut être continuée. Mais la question est plus difficile lorsque les « atteintes » alléguées ont été commises après le décès ou que la question est précisément l’atteinte au droit à la vie : qui peut agir et cette action se fait elle en représentation ou en nom propre ?

La Cour européenne des droits de l’Homme a développé à ce sujet une jurisprudence complexe894, qu’elle résume dans l’affaire Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie895 :

« la Cour distingue selon que le décès de la victime directe est postérieur ou

antérieur à l’introduction de la requête devant elle. Dans des cas où le requérant était décédé après l’introduction de la requête, la Cour a admis qu’un proche parent ou un héritier pouvait en principe poursuivre la procédure dès lors qu’il avait un intérêt suffisant dans l’affaire. […] La situation est en revanche variable lorsque la victime directe est décédée avant l’introduction de la requête devant la Cour. En pareil cas, la Cour, s’appuyant sur une interprétation autonome de la notion de "victime", s’est montrée

894

Pour un exposé complet v. N. DEFFAINS « Le défunt devant la Cour européenne des droits de l’homme », in La mort et le droit, Br. PY (dir.), coll. Santé, qualité de vie et handicap, Presses universitaires de Nancy, 2010, p. 95.

895

Cour EDH, 17 juill. 2014, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie, n° 47848/08, §97 et s.

disposée à reconnaître la qualité pour agir d’un proche soit parce que les griefs soulevaient une question d’intérêt général touchant au "respect des droits de l’homme" (article 37 § 1 in fine de la Convention) et que les requérants en tant qu’héritiers avaient un intérêt légitime à maintenir la requête, soit en raison d’un effet direct sur les propres droits du requérant

[…]. Dans des affaires où la violation alléguée de la Convention n’était pas

étroitement liée à des disparitions ou décès soulevant des questions au regard de l’article 2, la Cour a suivi une approche bien plus restrictive »896.

La position de la Cour est manifestement casuiste, la formulation proposée lui laissant une marge de manœuvre importante pour admettre des actions post mortem. Émerge alors une acception souple de la notion de victime indirecte.

La Commission a ainsi accordé la qualité de « victime » à un homme agissant sur le fondement de l’article 2, alléguant que l’autorisation de l’avortement en Norvège avait attenté au droit à la vie de son enfant, sa compagne ayant avorté contre son avis. La décision souligne ainsi que « le requérant était, en tant que père potentiel, affecté de manière assez étroite par l’interruption de grossesse de son amie pour se prétendre "victime" au sens de l’article 25 de la Convention »897

. Mais la Cour ne limite pas cette position aux violations alléguées de l’article 2. Ainsi, dans l’affaire récente Elberte c. Lettonie898 , elle a admis que la veuve d’une

personne sur le cadavre duquel des prélèvements d’organes avaient été pratiqués sans son consentement, pouvait être considérée comme victime indirecte d’une violation des articles 3 et 8 de la CEDH.

255.  Ces cas ont pu faire dire à la doctrine que la Cour, sans s’exprimer clairement,

reconnaissait alors la qualité de sujet de droit aux embryons ou aux cadavres. Frédéric SUDRE remarque ainsi que si le « père » allégué peut agir en tant que victime indirecte il y a là « une construction audacieuse car admettre l’existence d’une victime indirecte suppose, normalement, l’existence d’une victime directe ». Il interroge : « doit-on, alors, considérer que le fœtus est destinataire du droit à la vie ? »899. La question est techniquement fondée. Il nous

semble cependant que l’on se tromperait à chercher une qualification indirecte là où la Cour admet elle-même le caractère casuistique de sa position : la reconnaissance du statut de « victime indirecte » ne signifie pas tant qu’il soit possible d’être « victime directe », et donc

896

La Cour illustre : « comme par exemple dans l’affaire Sanles Sanles c. Espagne ((déc.), n°48335/99, CEDH 2000-XI), qui portait sur l’interdiction du suicide assisté. Dans cette affaire, la Cour estima que les droits revendiqués par la requérante au regard des articles 2, 3, 5, 8, 9 et 14 de la Convention relevaient de la catégorie des droits non transférables et conclut que l’intéressée, qui était la belle-sœur et l’héritière légitime du défunt, ne pouvait se prétendre victime d’une violation au nom de feu son beau-frère ».

897

Comm. EDH, 19 mai 1992, H. c. Norvège, n° 17004/90 : Décisions et rapports, vol. 73, p. 155. « En droit » §1.

898

Cour EDH, 13 janv. 2015, Elberte c. Lettonie, n° 61243/08.

899

Fr. SUDRE, « Les incertitudes du juge européen face au droit à la vie », Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, p. 377. Sur l’analyse de l’arrêt H. c. Norvège v. supra n° 220.

titulaire de droits, avant sa naissance ou après sa mort, mais bien qu’il y a là une nécessité d’examiner les demandes de personnes qui s’estiment personnellement victimes de violations de leurs droits en raison du traitement des corps prénataux et post mortem. Il y a là davantage contournement de la qualification que qualification indirecte. Cette attitude de « rattachement » du litige à une personne incontestable fait dire à Natalie BAILLON-WIRTZ qu’

« il est difficile d’accréditer l’idée qu’il existe des droits "appartenant" au défunt que les héritiers exerceraient par représentation. Il est plus juste d’affirmer que ces droits, une fois transmis, deviennent propres aux héritiers qui les exerceront alors dans l’unique intérêt du défunt. […] la transmission de droits particuliers [que la famille] n’exerce pas dans son intérêt propre mais bien dans l’intérêt du défunt, défini désormais comme un centre d’intérêts juridiques »900

La difficulté de cette position apparaît cependant lorsque les personnes souhaitant agir à la défense de ces intérêts ne sont pas des « proches » de l’embryon ou du défunt.

2)  Contrôler l’action collective

256.  L’idée d’une action visant la protection des intérêts d’embryons ou de défunts s’est

présentée dans deux cas distincts. Au niveau national il s’agissait de trancher sur la possibilité d’actions engagées par des associations901. Au niveau supranational cette question s’est résolue

sur le fondement général du refus de l’actio popularis.

257.  Admettre l’action associative : des réponses d’opportunité. Certaines associations

revendiquant la protection de l’embryon ont pu agir contre la mise sur le marché d’un médicament abortif sans que la recevabilité de leur demande soit interrogée902 mais il ne

s’agissait pas, en la circonstance, de trancher sur le cas d’un embryon en particulier. L’action ne suppose pas alors de déterminer si une personne juridique est en cause. D’autres affaires étaient plus délicates et les juridictions les ont tranchées en opportunité.

Ainsi la Chambre criminelle de la Cour de cassation a-t-elle pu refuser à une association prétendument anti-raciste de se constituer partie-civile dans une affaire de violation de

900

N. BAILLON-WIRTZ, La famille et la mort, th., Paris II, 2006, coll. Doctorat et notariat, Defrénois, t. 17, p. 259.

901

Sur l’action civile des associations en général v. not. : C. AMBROISE-CASTEROT, « Action civile », Rép. droit pén. et proc. pén., Dalloz, n° 417 et s. L’auteure donne de nombreuses références, not. : GRANIER, « La partie civile au procès pénal », RSC, 1958.1 et « Quelques réflexions sur l'action civile », JCP G. 1957.I.1386 ; BROUCHOT, « L'arrêt Laurent-Atthalin, sa genèse et ses conséquences », in Mélanges Patin, 1964, Cujas, p. 411 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, 2001, coll. Droit fondamental, PUF, n° 181 ; S. BORÉ, La défense des intérêts collectifs par les associations devant les juridictions administratives et judiciaires, 1997, LGDJ et « Pour la recevabilité de l'action associative fondée sur la défense d'un intérêt altruiste », RSC, 1997.751.

902

CE, 21 déc. 1990 : D. 1991. jurispr. 283, note P. SABOURIN ; Rec. Lebon, p. 369, concl. B. STIRN ; AJDA, 1991, p. 158, note CM, FD et YA ; RUDH 1991, p. 1, obs. H. RUIZ-FABRI.

sépulture903. La décision est formellement fondée sur une interprétation stricte du Code de

procédure pénale. Elle énonce ainsi que « ne peuvent se constituer partie civile que pour les infractions limitativement énumérées, définies à […] l’article 2-1 du Code de procédure pénale, parmi lesquelles ne figurent pas les délits d’atteinte au respect dû aux morts, prévus et punis par les articles 225-17 et 225-18 du Code pénal ». Le raisonnement de la Cour n’apparaît cependant pas clairement : dit-elle que l’atteinte au cadavre n’est pas une atteinte à l’intégrité de la personne car il n’y a plus de personne ou parce que l’infraction n’est pas classée dans cette catégorie par le code ? Par ailleurs, le contexte de la décision incite à la prudence quant à la portée à accorder à cette décision. En effet, cette position permettait à la Cour de refuser l’action de l’AGRIF, association notoirement connue pour ses positions xénophobes et dont on pouvait penser qu’elle cherchait dans cette affaire une résonnance médiatique904.

Une même difficulté intervient à la lecture de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 2007, rendu dans la tristement célèbre affaire Ilan Halimi905. Le

MRAP avait souhaité intervenir dans cette procédure en tant que partie civile. Visant les articles 2 et 2-1 du Code de procédure civile, la Cour affirme dans un attendu de principe que l’action des associations ne peut être mise en œuvre qu’avec l’accord de la victime. Or, en l’espèce, « l'accord de la victime, seule titulaire de ce droit, qui s'éteint à son décès, n'a pu être recueilli ». Mais la position de la Cour dépasse la question de la qualification. En effet, en affirmant que l’action civile n’est possible qu’avec l’accord exprès de la victime, la Cour ne vise pas que le cas du décès mais plus largement tous les cas d’impossibilité d’accord (l’état comateux par exemple). La Cour s’abrite derrière une interprétation limitative du droit d’action des associations en affirmant : « l’exercice de l'action civile devant les juridictions pénales est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par le code de procédure pénale ». Mais, comme le souligne un commentateur906, la

véritable explication à cette décision se trouve sans doute dans la ferme opposition de la famille

903

Cass. crim, 18 déc. 1997, n° 97-80.142.

904

Il faut souligner le caractère très contesté de l’association en cause ici : l’AGRIF, qui se décrit elle-même comme une association de défense de « tous les Français quelle que soit leur race ou religion et parmi eux les chrétiens attaqués pour leur foi et leurs convictions et dont la religion est sans comparaison la plus injuriée, la plus diffamée […]. L’AGRIF inlassablement dénonce comme beaucoup de Français l’insupportable progression de la haine raciste antifrançaise […] Combattant sans relâche tous les racismes, elle a simultanément dénoncé la subversion idéologique menée sous le couvert d’un soi-disant antiracisme devenu un authentique racisme à rebours agressant les chrétiens et les Français de toutes races mais visant aussi à attaquer et à culpabiliser pour appartenance à la race blanche ! ». Disponible sur : http://www.lagrif.fr/qui-sommes-nous [consulté le 13 nov. 2016].

905

Cass. crim., 27 sept. 2007 : Bull. crim. n° 220 ; AJ pén., 2008.83, note Cl. SASS ; D. 2008.109, obs. D. CARON, S. MENOTTI ; RSC, 2008, p. 108, note A. GIUDICELLI ; Dr. pén., 2007, comm. 145, obs. MARON

906

à l’intervention de l’association : la part d’opportunité est sans doute ici non négligeable. Le constat est identique dans les quelques cas présentés devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

258.  Admission contrôlée de l’actio popularis. La Cour européenne des droits de

l’Homme adopte une position très pragmatique sur la possibilité d’agir « au nom de » la protection des intérêts des embryons et des défunts. Par principe, elle refuse l’actio popularis et a déjà appliqué ce principe à des requérants prétendant représenter les embryons « victimes » d’avortements907. Cependant, l’application qu’elle fait de la notion de représentation lui permet

de contourner quelque peu cette position.

Ainsi, dans l’affaire Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu contre Roumanie908, la Cour admet comme une « représentation » l’action d’une association de

défense de la mémoire d’un jeune homme handicapé mental et mort suite à de graves négligences institutionnelles. Elle note dans un premier temps que l’association ne présente pas de liens assez étroits avec la victime pour être considérée comme victime indirecte909.

Cependant, soulignant que ses décisions

« servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus

largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés »910,

elle conclut qu’en l’espèce, admettre l’action de l’association est la seule façon d’assurer une interprétation de la Convention « garantissant des droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires » (§105).

On voit bien qu’interpréter cette décision comme admettant une prolongation post mortem de la personnalité (que l’on pourrait donc représenter) est extrêmement réducteur : il n’y a pas ici de position de principe sur des catégories juridiques mais bien une stratégie d’argumentation visant à garantir l’effet utile de la Convention911. Le rattachement du litige à

des personnes juridiques certaines est donc, plus qu’une forme de qualification, une technique

907

Cour EDH, 29 mai 1961, X. c. Norvège, n° 867/60, ; Cour EDH, 10 déc. 1976, n° 7045/75, X. c. Autriche.

908

Cour EDH, 17 juill. 2014, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie, n°47848/08, §97 et s.

909

§107. Il est vrai que l’association avait été constituée après la mort du jeune homme.

910

§ 105, reprenant Cour EDH, 18 janv. 1978, Irlande c. Royaume-Uni, § 154 et Cour EDH gr. ch., 22 mars 2012, Konstantin Markin c. Russie, req. n° 30078/06, § 89.

911

Ch. PERELMAN dit ainsi simplement de la Cour EDH et de la CJUE qu’elles se préoccupent uniquement du droit tel qu’il est effectivement appliqué : Logique juridique. Nouvelle rhétorique. 2e éd., Dalloz, 1999, p. 138. Pour la dernière application de cette approche très pragmatique de la représentation v. Cour EDH, N.TS. c. Géorgie, 2 fév. 2016, n° 71776/12 : JCP G. 2016, n° 834, p. 1427, chr. Fr. SUDRE. Sur l’effet utile tel que mobilisé par la CJUE v. infra n° 281.

visant à permettre l’examen de situations controversées. Un constat identique peut être fait à propos du traitement des litiges en appréciant la situation des personnes liées aux embryons et aux défunts.

B.  Trancher le litige

259.  Plutôt que d’adopter une position ferme sur la nature juridique des corps, les

juridictions passent parfois, dans leurs décisions, par l’examen de la situation des personnes concernées par leur traitement. Elles font ainsi couramment valoir les droits de ces personnes certaines (2) et s’appuient ponctuellement sur le droit commun des obligations (1).

1)  Protéger les droits des personnes certaines 2)  S’appuyer sur des obligations entre personnes certaines 1)  Protéger les droits des personnes certaines

260.  Plutôt que de statuer sur la question de la relation912 d’un requérant à un embryon ou

un cadavre, ce qui nécessiterait de les qualifier juridiquement, certaines juridictions partent à la recherche de droits dont le titulaire n’est pas contestable913. Les juges se donnent alors la

912

Les juridictions évitent parfois aussi de se prononcer sur la nature de la relation. Dans une affaire de refus de transfert de sépulture, la Cour EDH a ainsi considéré qu’« il n'est pas nécessaire de déterminer si un tel refus se rapporte à la notion de vie privée ou à la notion de vie familiale, telles qu'énoncées à l'article 8 de la Convention, mais part de l'hypothèse qu'il y a eu ingérence au regard de l'article 8 § 1 » à l’encontre de l’épouse : la Cour évacue ainsi tout questionnement sur la relation entre la requérante et son époux décédé. Cour EDH, 17 janv. 2006, Elli Poluhas Dodsbo c. Suède, req. n° 61564/00, § 24 (L. BURGORGUE-LARSEN dit de cette décision : « sans doute lasse et impuissante devant le fardeau conceptuel qui était le sien, la Cour de Strasbourg a préféré se résigner et opter pour le « flou conceptuel », plus aisé à manier. » : « De l’inhumation à la crémation, en passant par la congélation : le mode de sépulture en question », AJDA, 2006, p. 757). La vie privée et familiale a également été visée pour statuer sur la demande d’un détenu de pouvoir assister aux funérailles de son père (Cour EDH, 12 janv. 2012, Feldman c. Ukraine, n°42921/09 : JCP G. 2012, 80, note Fr. SUDRE) ou encore sur la situation de parents auxquels le cadavre de leur fille avait tardé à être remis (Cour EDH 30 oct. 2001, Pannullo et Forte c. France, req. n° 37794/97, § 35 : A. DEBET, Cahiers du Credho, 2002, n° 8, p. 153).

913

À l’inverse, la juridiction peut chercher à écarter un requérant sans pour autant déterminer qui aurait pu agir. Ainsi, le Conseil d’État (CE 8 juin 2016, n° 386525 : JurisData n° 2016-011560 ; JCP G. 2016, n° 26, 756, note M. TOUZEIL-DIVINA ; Dalloz Actualités, 2016, note J.-M. PASTOR ; Rev. Lamy dr. imm. 2016, p. 128, com. 4024, obs. L. COSTE ; Gaz. Pal. 2016, n° 24, p. 40, note P. GRAVELEAU ; Dr. fam. 2016, n° 9, comm. 185, obs. A. TANI ; JCP N. 2016, n° 39, 1288, note A. TANI), dans une affaire concernant une demande d’accès aux données personnelles d’une personne décédée a confirmé le refus de la CNIL de les communiquer à ses ayant- droit. La motivation est symptomatique : « Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : " La personne concernée par un traitement de données à caractère personnel est celle à laquelle se rapportent les données qui font l'objet du traitement. " ; qu'aux termes de l'article 39 de cette même loi : " I. Toute personne physique justifiant de son identité a le droit d'interroger le responsable d'un traitement de données à caractère personnel en vue d'obtenir : / […] 4° La communication, sous une forme accessible, des données à caractère personnel qui la concernent [...]" ; qu'il résulte de ces dispositions qu'elles ne prévoient la communication des données à caractère personnel qu'à