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Le constructivisme est un mouvement artistique issu du courant sociopolitique connu sous le nom de l’avant-garde russe30, « correspondant grossièrement aux dix premières années qui ont suivi la Révolution d’Octobre »31, c’est-à-dire de 1917 à 1930.

Le mot « constructivisme » est apparu pour la première fois dans le catalogue de l’exposition de l’Obmokhou (Association de jeunes artistes) en janvier 1922. Les fondateurs de l’exposition (les frères Stenberg et K. Medounetzky), sous le titre « Les Constructivistes s’adressent au monde », ont dévoilé leur position par rapport aux fondements de ce mouvement : « Le constructivisme conduira l’humanité à maîtriser un maximum de valeurs culturelles avec une dépense minimum… Les grands corrupteurs de la nature humaine – esthètes et artistes – ont détruit les sévères ponts de ce chemin en le remplaçant par une narcose douceâtre : l’art et la beauté…Il est anti-économique de gaspiller le cerveau humain, essence de la terre, pour améliorer les lézardes de l’esthétisme… Pesant les faits sur la balance d’un apport honnête aux habitants de la terre ; les constructivistes déclarent hors-la-loi l’art et ses prêtres. »32. Cette première définition de la signification du

30 Le constructivisme est souvent confondu avec l’avant-garde russe chez les architectes. Alors que le terme « avant-garde russe » désigne une période sociopolitique allant de 1890 à 1930. Au cours de cette époque nommée l’avant-garde, émergent plusieurs mouvements artistiques tels que le symbolisme, le néo-primitivisme, le rayonnisme, le suprématisme, le constructivisme, le futurisme et le cubo-futurisme. Même si le constructivisme est considéré comme une étape dans une série du développement artistique, il peut être considéré comme avant-gardiste dans le sens où il réoriente l’architecture vers des nouvelles significations, que ce soit dans la configuration ou la conception systématique ou le sacrifice de l’esthétique en faveur de la fonction.

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«…le constructivisme est avant tout à nos yeux synonyme d’une période placée à la fois sous le signe de la cristallisation et de l’éclatement, correspondant grossièrement aux dix premières années qui ont suivi la Révolution d’Octobre, mais dont le mûrissement et l’épanouissement sont situés entre 1917 et 1924, et dont le dépérissement s’étirera jusqu’à 1930, date limite. » Conio Gérard, Le constructivisme

russe, Tome premier : Le constructivisme dans les arts plastiques, Edition L’Age

d’Homme, Lausanne, 1987, p.12

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constructivisme n’est rien de plus qu’une allusion à l’architecture moderne, au minimalisme et au fameux dicton de Mies van der Rohe, « less is more », ainsi qu’à celui de Frank Lloyd Wright, «Form follows function ». Cette première détermination du constructivisme rejette ce que les architectes du mouvement moderniste comme Le Corbusier, Alvar Aalto, Frank Lloyd Wright et Mies van des Rohe ont déjà rejeté, c’est-à-dire l’esthétique – la décoration – comme l’un des éléments fondamentaux dans une création architecturale et artistique. Cela pourrait s’expliquer par le simple fait que la tendance constructiviste est en un sens le fruit du mouvement moderniste. Mais alors, il est indispensable de chercher les autres particularités de ce mouvement, car le rejet de l’esthétique n’est pas la seule caractéristique du constructivisme.

Même si cette définition primaire du mouvement constructiviste est considérée comme incomplète et grossière vis-à-vis d’un mouvement qui suit une structure philosophique beaucoup plus profonde et complexe, elle souligne ce qui pourrait aider à une compréhension préliminaire. Ce discours plus ou moins exagéré envers un mouvement artistique nie à la fois ses racines et ses dépendances plastiques et esthétiques et fait place à la naissance de nouvelles racines où la « forme pure »33 devient le reflet de l’esthétique. Alors il est indispensable de connaître la ou les raisons de ce rejet incontournable de l’esthétique dans les discours et les projets des constructivistes, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un simple refus d’une mode décorative ancienne. « Là pourtant où va s’affirmer la véritable nouveauté du constructivisme, c’est dans

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La citation qui suit de Mark Wigley est explicite autant pour le mouvement déconstructiviste que constructiviste, puisque le constructivisme attaque aussi la pureté de la forme en négligeant l’esthétique et structuralise la procédure conceptuelle et les priorités humanistes : « Architecture has always been a central cultural institution, valued for its stability and order. These qualities seem to arise from the geometric purity of its formal composition. The architect has always dreamed of pure form, producing objects from which all instability and disorder have been excluded… I believe the projects in the Deconstructivist Architecture exhibition at MOMA mark a different sensibility, one in which the dream of pure form has been disturbed. Form is no longer simply pure, it has become contaminated. The dream has become a kind of nightmare. It is this ability to disturb our thinking that markes these projects Deconstructivist.» Mark Wigley, « Deconstructivist Architecture », DECONSTRUCTION Omnibus Volume, 1989, p.132.

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le dépassement des clivages entre les différents domaines de l’expression artistique, dans l’émergence de la notion de structure. Il ne s’agit plus alors seulement d’interférences fécondes, mais de lois communes d’organisation, de composition, de construction à retrouver derrière la disparité des apparences. »34. La notion de « structure » pourrait pourtant définir la vraie signification du constructivisme, tandis que la plupart des discours s’intéresse au développement de ce mouvement par rapport aux autres mouvements artistiques qui ont émergés à l’époque de l'avant-garde russe, tels que les discours portant sur une analyse chronologique de ce mouvement, du « suprématisme au constructivisme », du « productivisme au constructivisme », etc. Autrement dit, toutes les œuvres de ce mouvement représentent une nouvelle structure de la procédure de la conception architecturale, c'est-à-dire une structure qui met en avant la fonction, la circulation et les critères techniques dans une construction architecturale. Cela se vérifie autant dans les travaux des artistes et des architectes constructivistes que chez les artistes suprématistes ou chez ceux d’autres courants artistiques datant de l’avant-garde russe. L’art représente une « structure » comme étant le moteur dans la procédure de la conception, autrement dit, nous sommes face à une nouvelle composition artistique qui pourrait être interprétée comme une conception rationnelle. Comme nous pouvons le constater dans les projets de Chernikov, nous ne sommes plus, ni face à une architecture décorative, ni face à une architecture purement formelle, car la forme architecturale est devenue le résultat de la combinaison rationnelle d’une série de formes primaires (pures) et d'exigences à la fois fonctionnelles35 et programmatiques (Fig.18). L’enveloppe de l’œuvre architecturale est le résultat d’une démarche compositionnelle qui mettra en avant une structure plastique à la place d’une forme initiale. Même si

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Conio Gérard, Le constructivisme russe, op. cit., p.13

35 « Le bâtiment s’engagea dans une politique architecturale résolument fonctionnelle […]. Il est indispensable d’aborder la construction d’un bâtiment selon ses fonctions, son économie, ses conditions locales, et il convient de le définir également en fonction de ses caractéristiques typologiques, sections de l’alimentation, des transports, de la santé publique par exemple. De nos jours, tout ce qui concourt à faciliter l’analyse et la classification de la réalité revêt une importance particulière. » : Marcadé Jean-Claude,

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dans certains cas, la forme initiale est visible, l’œuvre architecturale est construite autour d’une structure qui, dans la conception architecturale, ne la mettra plus en valeur (Fig.19).

La forme de l’œuvre architecturale ne correspond plus un raisonnement purement artistique dans la composition de l’œuvre, ce qui est incontestablement visible dans les peintures des suprématistes. C’est de la relation entre les formes que résulte une composition qui est conçue non pas pour répondre à des exigences artistiques, mais plutôt pour satisfaire des exigences fonctionnelles et programmatiques (Fig. 20). Même dans les « compostions non-objectives » des peintres suprématistes et constructivistes, il y a une structure qui guide le développement de la création artistique, alors que dans les compositions non-objectives, la structure ne se développe pas dans des intérêts plastiques ou fonctionnels. En art (peinture), la structure peut se développer de façon arbitraire ou en suivant une structure graphique, tandis qu’en architecture, la structure est le raisonnement rationnel d’une conception architecturale.

Cette structure, qui se substitue à l’instinct artistique, fut aussi une référence pour le structuralisme, qui invoquait particulièrement la structure linguistique de Ferdinand de Saussure. Le mouvement du constructivisme semble donc également suivre les modèles structuraux développés par les systèmes linguistiques des structuralistes.

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Figure 18. En haut: Chernikov, The Construction of Architectural and Machine Forms, 1930. En bas : Chernikhov, hammer & sickle,1933

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Figure 19. En haut : K. Malevitch, architecture verticale Gota 2a, 1923-1927. En bas : K. Malevitch, architecture alpha, 1923.

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Figure 20. En haut : Kazimir Malevitch, suprématisme, 1915-1916. En bas : Vladimir Tatline, composition non-objective 1916

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1.1.3 - Le Constructivisme et le Déconstructivisme dans une