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Le changement organisationnel a été l’objet de nombreux écrits. Des travaux ont permis de clarifier les multiples façons de concevoir le changement (Champagne, 2002; Demers, 2007; Poole & Van de Ven, 2004a; Van de Ven & Poole, 1995). Dans cette section, nous discutons du changement organisationnel en termes de nature, de processus et de contexte.

Nature du changement

La nature du changement peut être associée à l’écart entre le changement implanté et la situation initiale (Pettigrew, 1985a). Des travaux classiques différencient les changements radicaux des changements convergents (Greenwood & Hinings, 1996; Tushman & Romanelli, 1986). Les changements radicaux (épisodiques) font référence à des réorientations significatives qui affectent les activités pendant une période définie (Gersick, 1991; Greenwood et al., 1996). Les changements convergents sont plutôt associés

à des variations à la marge qui, en se combinant, influencent le fonctionnement des organisations (Tsoukas & Chia, 2002). Parce que les transformations incrémentales semblent plus faciles à réaliser dans les environnements pluralistes (Offe, 1996), certains ont proposé que le cumul de transformations incrémentales pouvait mener à des transformations importantes (Denis, 2004; Hutchison et al., 2001). Comme nous le verrons, l’appréciation de la nature du changement observée dépend du niveau d’analyse et de la période étudiée (Weick & Quinn, 1999).

Certains auteurs (Stensaker, Benedichte Meyer, Falkenberg, & Haueng, 2002) expliquent que l’importance et la multiplication des changements organisationnels peuvent les rendre excessifs. Pour eux, les changements excessifs peuvent être liés à la perception qu’ils ne sont pas pertinents compte tenu du contexte et que l’organisation ne dispose pas des ressources nécessaires pour assurer la transition.

Si la nature du changement permet d’apprécier ce qui a changé, la transition d’un stade à un autre fait référence au processus de changement (Poole, Van de Ven, Dooley, & Holmes, 2000).

Processus

Le processus de changement fait référence à une séquence d’actions et d’événements interdépendants permettant de mieux comprendre comment le changement prend forme (Pettigrew, 1985a). L’étude des processus de changement peut être réalisée en considérant le temps et les patterns caractérisant la série d’actions impliquées. La temporalité du changement peut être appréciée en identifiant le synchronisme (timing) des processus de changement ainsi que leur vitesse et leur durée (Poole & Van de Ven, 2004b; Weick et al., 1999).

Plusieurs auteurs considèrent que les perspectives sur le changement organisationnel peuvent être associées d’une part à une vision épisodique du changement ou d’autre part, à une vision incrémentale ou continue du changement (Demers, 1999; Weick et al., 1999).

19 Demers (2007) explique que ces perspectives sont souvent liées à la position à partir de laquelle le changement est étudié; à partir des dirigeants pour le changement épisodique et à partir des acteurs impliqués pour le changement continu. Weick et Quinn (1999: 362) expliquent que l’identification de changements épisodiques et continus peut dépendre du niveau d’analyse à partir duquel le changement est étudié :

From a distance (the macro level of analysis), when observers examine the flow of events that constitute organizing, they see what looks like repetitive action, routine, and inertia dotted with occasional episodes of revolutionary change. But a view from closer in (the micro level of analysis) suggests ongoing adaptation and adjustment.

Identifier la durée d’un changement implique de percevoir le moment où il prend fin. Un processus de changement prend fin quand la nouvelle façon de faire est maintenue dans le temps (Buchanan et al., 2005) et devient la norme (Greenhalgh et al., 2004). C’est en intégrant les nouvelles façons de faire dans les routines organisationnelles que l’on peut reconnaître l’intégration d’un changement (Pluye, Potvin, Denis, & Pelletier, 2004). La temporalité du changement peut être difficile à cerner lorsque des changements sont étudiés à plusieurs niveaux : « it is often the case that higher-level processes have longer duration and slower velocity than lower-level processes » (Poole et al., 2004b: 390).

Les différentes formes ou patterns que peuvent prendre les processus de changement ont été regroupées dans une typologie élaborée par Van de Ven et Poole (1995). Cette typologie regroupe les différentes conceptions utilisées pour analyser les processus de changement en quatre types : Cycle de vie, Évolutif, Dialectique et Téléologique. Le type Cycle de vie correspond à un changement qui prend forme selon une séquence prédéterminée. Les séquences peuvent être liées au contexte ou à une logique prescrite qui peut être associée à une vision planifiée du changement axée sur le contrôle, une vision qui trouve sa source dans les conceptions classiques du changement (Fayol, 1949). Malgré la reconnaissance des aspects émergents, la vision d’un changement en tant que prescription rationnelle de la gestion du changement est répandue et demeure populaire auprès des gestionnaires (Champagne, 2002).

Les changements évolutifs prennent forme par la répétition de cycles de variation, sélection et rétention entrainés par la compétition entre acteurs dans un environnement où les ressources sont limitées (Poole et al., 2000). La perspective écologique (Hannan & Freeman, 1977) qui s’intéresse au changement à travers la survie des organisations présente de tels processus.

Les processus dialectiques expliquent le changement à travers les conflits desquels ils émergent. Les approches qui expliquent le changement par les luttes de pouvoir (Crozier & Friedberg, 1977; Pettigrew, 1975) et les interdépendances (Hardy, Phillips, & Thomas, 2003; Pfeffer & Salancik, 2003) proposent des analyses qui peuvent être associées au processus dialectiques décrits par Van de Ven et Poole (1995).

Les processus téléologiques font référence à des changements construits intentionnellement par des cycles initiés par la formulation des objectifs, l’implantation, l’évaluation et la modification des objectifs en fonction des apprentissages permis par l’expérience (Van de Ven et al., 1995). Les perspectives organisationnelles axées sur les apprentissages (March & Olsen, 1977) et les ajustements entre acteurs (Lindblom, 1965) ont mis en lumière de tels processus construits.

Cette typologie peut être utile pour étudier des changements de façon empirique car elle permet d’associer le phénomène à l’étude aux différents types de patterns et de reconnaître l’interaction entre plusieurs processus (Poole et al., 2004b). Évidemment, cette analyse des processus doit être effectuée à la lumière de leur progression temporelle discutée plus haut (Weick et al., 1999; Poole et al., 2004b).

Contexte du changement

L’analyse des contextes interne et externe permet d’expliquer la nature du changement et les processus observés. Le contexte interne fait référence aux structures, à la culture et aux dynamiques politiques de l’organisation impliquée alors que le contexte

21 externe est lié aux enjeux économiques, politiques et sociaux du milieu dans lequel évolue l’organisation (Pettigrew, 1987).

Plusieurs ont expliqué que le pluralisme du contexte est déterminant pour l’implantation de changements, et ce tant au niveau organisationnel (Greenwood et al., 1996; Hinings, Brown, & Greenwood, 1991; McNulty & Ferlie, 2004) qu’à celui des systèmes (Klijn & Koppenjan, 2000). Le pluralisme fait référence à la présence de plusieurs acteurs poursuivant des objectifs variés, des relations de pouvoir ambigües et la présence de travailleurs qualifiés (Denis, Lamothe, Langley, & Vallette, 1999; Denis, Langley, & Rouleau, 2007; Mintzberg & McHugh, 1985a). Dans les organisations qualifiées de pluralistes, la régulation est réalisée davantage de façon autonome et moins de façon prescrite par l’externe (Reynaud, 1988). La coordination et le contrôle s’exercent donc davantage par la négociation d’ajustements mutuels (Mintzberg, 1982), la standardisation des compétences et le maintien d’une culture professionnelle plutôt que par la supervision et des systèmes formels (Brock, 2006). Les professionnels comme les médecins sont un exemple type de ces environnements car leur expertise les protège des formes traditionnelles de contrôle (Hinings et al., 1991; Mintzberg, 1982).

L’autonomie des professionnels leur permet d’être particulièrement résilients aux pressions externes (Randall & Williams, 2009). Les professionnels sont souvent en mesure de s’assurer que les changements implantés sont cohérents avec leurs préférences (Powell, Brock, & Hinings, 1999). En effet, ils disposent d’une expertise cognitive et d’habiletés spécialisées leur permettant de fournir une justification rationnelle de leurs pratiques (Champagne, 2002). Les changements imposés sont perçus comment étant souvent inefficaces (Denis et al., 1999), pratiquement impossibles à implanter (Hinings et al., 1991) et risquant de miner le potentiel de collaborations futures (Langley & Denis, 2006). La participation des professionnels dans le développement et l’implantation de changements est perçue comme un élément essentiel pour favoriser la création de consensus et l’acceptation du changement (Powell et al., 1999; Denis et al., 1999).

La recherche d’une plus grande efficience par les gestionnaires (Ackroyd & Muzio, 2008) et les gouvernements (Brock, 2006) ont provoqué certaines transformations mais avec des résultats variables. Ces transformations prennent souvent la forme d’un accroissement de la taille des organisations et de la multidisciplinarité (Brock, 2006) ou de l’ajout de structures administratives superposées aux fonctionnement traditionnel des organisations professionnelles (Cooper, Hinings, Greenwood, & Brown, 1996).

La perspective du changement organisationnel a permis de développer un cadre conceptuel qui est présenté à la section suivante. Les difficultés liées à l’implantation volontaire de changements dans les environnements pluralistes nous amènent à aborder le thème de la gouvernance.

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