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2. L A PROTECTION DU DROIT À LA VIE PRIVÉE AU C ANADA 50

2.1. Le cadre normatif établi par le droit canadien 51

2.1.1. La protection constitutionnelle de la vie privée 52

2.1.1.2. L’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés 58

2.1.1.2.2. Le caractère raisonnable d’une fouille, perquisition ou

Alors que nous nous sommes précédemment intéressés aux principes jurisprudentiels applicables à l’objet de la protection conférée à la vie privée par l’article 8 de la Charte

canadienne, nous présenterons désormais les modalités applicables à la détermination du

caractère raisonnable d’une fouille, d’une perquisition ou saisie.

D’entrée de jeu, la détermination de ce caractère raisonnable présuppose l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée, faute de quoi les actes reprochés à l’État ne constitueront pas une « fouille, une perquisition ou une saisie » au sens de l’article 8 de la

Charte canadienne209. La Cour suprême a jugé, dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., que la détermination du caractère raisonnable d’une fouille, perquisition ou saisie, ou encore d’une loi l’autorisant, permettait d’en apprécier la constitutionnalité en fonction de leur effet « raisonnable » ou « abusif » relativement à l’objet de la fouille, perquisition ou saisie contestée210. Toujours selon la cour, cet exercice doit s’effectuer conformément au principe de

prépondérance des droits au cœur de l’article 8, lequel vise à prévenir les fouilles, perquisitions ou saisies abusives avant qu’elles ne surviennent, grâce à « un système d’autorisation préalable et non de validation subséquente »211 (soulignement original). Qui plus est, ce critère d’évaluation du caractère raisonnable doit être flexible, dans la mesure où il doit tenir compte non seulement du droit individuel à la vie privée et à la jouissance paisible de ses biens, mais également des considérations gouvernementales pratiques relatives à

209 B. MCISAAC, R. SHIELDS et K. KLEIN, préc., note 158, p. 2-13; M. POWER, préc., note 149, p. 248. 210 Hunter c. Southam Inc., préc., note 137, 157.

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l’application de la loi212. C’est dans cette perspective que nous étudierons d’abord la détermination du caractère raisonnable d’une fouille, perquisition ou saisie (1.2.1.2.2.1), avant de traiter de l’exclusion des éléments de preuves recueillis en violation de l’article 8 (1.2.1.2.2.2).

2.1.1.2.2.1. La détermination du caractère raisonnable d’une fouille, perquisition ou saisie

La détermination du caractère raisonnable, donc non abusif, d’une fouille, perquisition ou saisie au regard de l’article 8 de la Charte canadienne s’effectue à la lumière de la méthode d’analyse développée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Collins :

Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive.213

Cette méthode d’analyse – ou test – prévoit donc trois étapes. Le respect de chacune d’elles est nécessaire pour conclure au caractère raisonnable d’une fouille, perquisition ou saisie. Ainsi, on devra tout d’abord déterminer si la fouille, perquisition ou saisie est autorisée par une loi ou par la common law214. Le non-respect de cette exigence aura pour conséquence de rendre la fouille, perquisition ou saisie illégale, ce qui suffit à la déclarer abusive215.

On devra, par la suite, déterminer si la loi qui autorise la fouille, perquisition ou saisie n’a rien d’abusif, donc si elle est raisonnable. Pour ce faire, la loi devra respecter les exigences

212 P. HOGG, préc., note 165, p. 48-4.

213 R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, par. 23. 214 Voir R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51, par. 12.

215 La Cour suprême a précisé, au paragraphe 43 de l’arrêt R. c. Dyment, préc., note 134, que «  [l]e fait que la saisie [soit] illégale […] répond à la question de savoir si la fouille était abusive  ».

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constitutionnelles établies dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc.216, soit prévoir un mécanisme d’autorisation préalable217, dont l’appréciation est effectuée par une personne neutre et impartiale agissant judiciairement218 et se fondant sur « l’existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, de croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à l’endroit de la [fouille, perquisition ou saisie] »219.

Finalement, on devra déterminer si la fouille, la perquisition ou la saisie a été menée de manière raisonnable. Encore une fois, l’ensemble des circonstances sera déterminant, notamment le caractère plus ou moins intrusif de la fouille, la méthode de surveillance employée et l’expectative plus ou moins grande entretenue par l’individu visé en matière de vie privée220. Précisons également que la surveillance électronique peut constituer une fouille, une perquisition ou une saisie aux fins de l’article 8221. Nous consacrerons désormais quelques mots à ce qu’il advient, concrètement, dans l’éventualité où une fouille, perquisition ou saisie ne remplit pas les trois conditions du test de l’arrêt Collins, dont nous venons de traiter.

2.1.1.2.2.2. La recevabilité des éléments de preuve

Précisons tout d’abord qu’une fouille déraisonnable – ou abusive – portant atteinte aux droits fondamentaux prévus à la Charte canadienne, en l’occurrence à l’article 8, ne sera pas

216 Martin VAUCLAIR, « Fouilles et perquisitions: en saisir l’ampleur », dans S.F.P.B.Q., Congrès annuel du Barreau du Québec (2003), Cowansville, Yvon Blais, 2003, p. 27, à la page 38.

217 Hunter c. Southam Inc., préc., note 137, 160. 218 Id., 162.

219 Id., 168.

220 M. VAUCLAIR, préc., note 216, à la page 38.

221 R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, 42-43; P. HOGG, préc., note 165, p. 48-20.3; B. MCISAAC, R. SHIELDS et K. KLEIN, préc., note 158, p. 2-44.3; M. POWER, préc., note 149, p. 250. Nous reviendrons plus longuement sur la surveillance électronique au cœur de notre réflexion, dans la partie III.

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forcément invalide. Elle ne le sera que si elle ne respecte pas les exigences du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne, qui prévoit que des éléments de preuve « obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la [Charte canadienne] » seront écartés « s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».

Les facteurs entrant dans l’appréciation du test établi par ce paragraphe furent précisés par la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Grant222. Selon la cour, une demande d’exclusion fondée sur le paragraphe 24(2) doit permettre d’« évaluer et [de] mettre en balance l’effet que l’utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice », en tenant compte de trois éléments, à savoir « (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État [,] (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la

Charte [et] (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond »223.

Au final, il s’avère que le caractère raisonnable d’une fouille, perquisition ou saisie sera évalué à la lumière d’un ensemble de principes constitutionnels ayant pour objectif de prévenir les abus étatiques, conformément à la dynamique de pondération inhérente à la conception même de l’article 8. Cette dynamique vise à assurer la prise en compte des intérêts opposés au cœur du processus de fouilles, perquisitions et saisies, au sommet desquels se trouvent la protection des droits et libertés fondamentaux, ainsi que l’application de la loi et la punition de

222 R. c. Grant, [2009] 2 R.C.S. 353. La méthode d’analyse de cet arrêt quant au test du paragraphe 24(2) remplace celle précédemment énoncée dans les arrêts R. c. Collins, préc., note 213; et R. c. Stillman, préc., note 194.

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la criminalité. Bref, la détermination de l’existence d’une protection constitutionnelle de la vie privée en vertu de l’article 8 sera effectuée en deux temps, tout d’abord de par l’étude du critère de l’attente raisonnable, puis ensuite à travers l’analyse du caractère raisonnable d’une fouille, perquisition ou saisie. Néanmoins, dans les situations n’impliquant pas d’actes gouvernementaux de cette nature, le niveau de vie privée dont bénéficiera un individu sera directement déterminé au niveau législatif, hors du contexte constitutionnel.