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3. V ERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA VIE PRIVÉE ?

3.2. La surveillance des métadonnées des communications électroniques au sein du contexte global 124

3.2.1. Les implications sociales de la surveillance électronique des métadonnées 125

3.2.1.1. L’équilibre entre le maintien de la sécurité nationale et la

Précisons, d’entrée de jeu, que la surveillance, quelle que soit sa nature et son intensité, soulève des questions d’une importance fondamentale sortant de la sphère juridique. Il existe

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toutefois plusieurs distinctions juridiques majeures entre la surveillance policière traditionnelle et la surveillance gouvernementale à des fins de sécurité nationale, à commencer par leur encadrement législatif. Alors que les enquêtes policières sont menées en vertu du régime prévu au Code criminel383, les activités de surveillance à des fins de sécurité nationale le sont généralement en vertu de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité384 et, en

ce qui concerne leur dimension électronique, en vertu de la Loi sur la défense nationale385. La distinction la plus importante entre ces régimes, en ce qui nous concerne, réside toutefois dans le caractère considérablement plus attentatoire de la surveillance électronique gouvernementale à grande échelle des métadonnées des communications électroniques, laquelle vise de virtuellement tout individu, par opposition aux enquêtes policières, dont la portée est beaucoup plus restreinte. Ainsi, le caractère systémique des activités de surveillance visant ces métadonnées décuple l’ampleur de l’atteinte étatique aux droits et libertés fondamentaux, à un point tel que ces activités sont susceptibles de rompre le fragile équilibre démocratique entre le maintien de la sécurité nationale et la protection des droits individuels386. À ce sujet, la très honorable Beverley McLachlin avançait, en 2009, que :

Le Canada a élaboré une approche qui lui est propre pour faire face aux défis créés par le terrorisme, une approche fondée sur la primauté des droits et sur le principe que l’État ne peut porter atteinte à ces droits que s’il est en mesure de justifier de telles restrictions. Nous reconnaissons la gravité de la menace que pose le terrorisme et la nécessité de le combattre avec vigilance. Mais nous reconnaissons

383 Code criminel, préc., note 97, partie VI.

384 Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, préc., note 125, art. 12 à 20. 385 Loi sur la défense nationale, préc., note 120, art. 273.61 à 273.7.

386 Certaines pratiques policières plus « traditionnelles » contribuent également très certainement à ce phénomène, mais il ne nous semble pas pertinent d’apporter ici plus de précisions sur ce point.

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également qu’il faut porter le moins possible atteinte aux droits fondamentaux et que les effets de telles atteintes doivent être proportionnés.387

Ainsi, la primauté du droit et le caractère démocratique du système juridique canadien impliquent que l’on doive chercher à préserver l’équilibre entre le maintien de la sécurité et la protection des droits et libertés fondamentaux. Cette dynamique d’équilibration, au cœur du mécanisme constitutionnel d’évaluation de toute atteinte à la vie privée en vertu de l’article 8 de la Charte canadienne388, caractérise également le processus politique canadien, dans le cadre duquel sont débattues et adoptées l’ensemble des mesures gouvernementales de sécurité nationale potentiellement attentatoires aux droits et libertés fondamentaux. Dans cet ordre d’idées, la juge en chef du Canada estime que :

Dans toute réponse au terrorisme, le pouvoir législatif doit être le premier à intervenir. Les députés dûment élus doivent établir clairement les règles selon lesquelles le terrorisme est combattu. Ils doivent fixer la délicate ligne de démarcation entre la lutte contre le terrorisme et la préservation des libertés d’une façon qui soit efficace, constitutionnelle et donnent des indications claires à ceux qui sont chargés de combattre le terrorisme sur le terrain.389

Il est crucial que l’emphase soit mise, dans le cadre de ce processus législatif, sur l’objectivité et la proportionnalité, faute de quoi il existe un risque bien réel de prioriser la sécurité nationale, au détriment des valeurs mêmes que son maintien vise, en premier lieu, à protéger. La Cour suprême du Canada a parfaitement synthétisé cette problématique, dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) :

D’un côté, il y a le fléau manifeste du terrorisme et le meurtre gratuit et arbitraire de personnes innocentes, situations qui nourrissent l’engrenage de la destruction

387 Beverley MCLACHLIN, Lutter contre le terrorisme tout en préservant nos libertés civiles, allocution prononcée devant le Ottawa Women’s Canadian Club, 22 septembre 2009, en ligne : <http://www.scc-csc.gc.ca/court- cour/judges-juges/spe-dis/bm-2009-09-22-fra.aspx> (dernière consultation le 18 février 2015).

388 Sur cette question, voir, en termes généraux, l’arrêt Hunter c. Southam Inc., préc., note 137. Voir également R. c. Genest, préc., note 163, 63 et S. PENNEY, préc., note 163, 101-104.

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et de la peur. Pour exprimer la volonté des citoyens, les gouvernements ont besoin des outils juridiques propres à leur permettre de relever efficacement ce défi. De l’autre côté, il y a la nécessité de veiller à ce que ces outils juridiques ne sapent pas les valeurs jugées fondamentales par notre société démocratique — liberté, primauté du droit et principes de justice fondamentale — et qui sont au cœur de l’ordre constitutionnel canadien et des instruments internationaux dont le Canada est signataire. En effet, ce serait une victoire à la Pyrrhus que de vaincre le terrorisme au prix de notre adhésion à ces valeurs. Le défi du Parlement consiste à rédiger des lois qui combattent efficacement le terrorisme tout en respectant les exigences de notre Constitution et nos engagements internationaux.390

Il en découle, à notre avis, une nécessité de concilier le maintien de la sécurité nationale et la protection des droits fondamentaux, à commencer par la vie privée. D’où également l’importance de passer outre la dichotomie traditionnelle opposant ces deux éléments391. Ainsi, rappelons que plutôt que de s’inscrire dans cette dynamique d’opposition, le principe de pondération, au cœur de l’article 8 de la Charte canadienne, implique l’appréciation simultanée des intérêts étatiques et individuels392. Nous sommes toutefois forcés de constater,

à la lumière du caractère profondément invasif des méthodes contemporaines de surveillance électronique, qu’un tel exercice s’avère relativement difficile.

3.2.1.2. Le caractère profondément invasif de l’infrastructure de surveillance contemporaine