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2. Contribution à l’élaboration du corpus de cas cliniques

2.3. Analyse

2.3.1 La langue clinique

Cet échantillon témoigne de l’importance de l’examen physique déjà au XVIIIe siècle. Il est mentionné ou suggéré dans plus de la moitié des cas (58,4 %, n=66), sans compter la palpation du pouls. La mention de l’examen augmente de façon significative dans le temps (Figure 5).

Dans 27 cas, la peau est examinée, donnant lieu à une description de l’éruption cutanée dans 16 cas, ou retrouvant une pâleur dans 9 cas, parfois des plaies. Le soignant fait ouvrir la bouche du malade dans 11 cas. Il palpe le ventre, les tumeurs, les fractures, les œdèmes. Le docteur Sauvages, cité par Tissot, montre une grande curiosité face au cas d’une jeune domestique hospitalisée pour catalepsie épilepsie :

« Quand cette fille se fut rendue à l’Hôpital, où elle demeura une année entière, je ne manquai pas d’y faire mes visites aux heures où ses attaques la prenaient le plus souvent. J’observai qu’elle avait le pouls naturellement fort petit, et si lent, qu’il battait à peine cinquante fois par minute ; son sang était si gluant, qu’il ne coulait que goutte-à-goutte par l’ouverture de la veine lorsqu’on la saignait (sans manquer à la mémoire d’un homme justement célèbre, que j’aimais tendrement, et dont je conserverai toujours le souvenir le plus cher, ne pourrait-on pas demander pourquoi on la saignait?) ; les purgatifs les plus forts ne la vidaient que peu et fort tard. Cette fille était dégoûtée, et fort triste de ce que cette incommodité l’empêchait de servir en ville ; elle était d’ailleurs réglée pour le temps, mais très-peu pour la quantité : elle ne pressentait ses attaques que par une chaleur au front et une pesanteur considérable à la tête, dont elle se sentait soulagée à la fin de son sommeil cataleptique.

Dans ces attaques, 1°. elle se trouvait prise tout-à-coup, tantôt dans son lit, tantôt montant les degrés ou faisant autre chose : si cela lui arrivait au lit, on ne pouvait s’en apercevoir qu’en ce qu’elle ne répondait plus, et que sa respiration semblait entièrement abolie ; le pouls devenait plus lent et plus petit qu’auparavant. 2°. Elle conservait la même attitude qu’elle avait à l’instant de l’attaque ; si elle était debout, elle y restait ; si elle montait les degrés, elle avait une jambe élevée pour monter, et durant tout le temps de la catalepsie elle conservait cette même attitude. 3°. Si dans cet état quelqu’un élevait un de ses bras, fléchissait sa tête, la mettait debout sur un pied, les bras tendus, ou en quelqu’autre posture, pourvu qu’on eût mis le corps en équilibre, elle conservait parfaitement,

Figure 5: Augmentation significative du % d’examen.

(X2 = 11.7, df=1, P < 0.001)

jusqu’à la fin, la dernière attitude qu’on lui avait donnée. 4°. Quand, l’ayant mise debout sur ses pieds, on venait à la pousser, elle ne marchait pas, comme FERNEL le rapporte d’un cataleptique, elle glissait comme si l’on eût poussé une statue. 5°. Elle n’avait aucun mouvement, ni volontaire ni naturel, qui fût sensible, pas même que celui que l’on fait en dormant pour avaler la salive ; le seul mouvement du cœur et des artères se faisait sentir, encore était-ce bien faiblement. 6°. Comme c’est par les gestes ou par la voix des personnes qui se plaignent, qu’on peut juger si elles ont quelque douleur ou autre sensation, cette fille, qui n’avait aucun mouvement, ne donnait non plus aucun signe de sentiment ; les cris, les piqûres, les chatouillements à la plante des pieds, des bougies portées sous ses yeux ouverts, rien n’était capable de lui faire donner des marques de sensation. »181

Cette description clinique est décomposable en trois parties. La première analyse les excrétas de la patiente rendues visibles grâce à la saignée, à la purge et aux menstrues. La seconde décrit les prodromes de la crise de catalepsie, il s’agit d’ailleurs de symptômes subjectifs. Enfin, la motricité, la sensibilité et certains réflexes sont minutieusement testés au cours de la crise de catalepsie. En ce qui concerne le vocabulaire, il n’interprète pas mais se contente de partager ce qui a été perçu par les sens de l’auteur. Ce n’est pas encore le vocabulaire sémiologique contemporain qui d’un mot donne à voir un tableau clinique mais ce n’est plus un vocabulaire explicatif comme au début du XVIIIe siècle.

En 1769, dans l’introduction du traité qu’il écrit sur la goutte, Paulmier déplore la cacophonie de la littérature médicale :

« Ils ont édifié une tour de Babel où chacun parle une langue différente de celle de son voisin qui ne l'entend pas. Voilà la source empoisonnée du peu de progrès de la Médecine pratique »182

Bien sûr, il porte attention par la suite au vocabulaire qu’il utilise. Il semblerait que la question du vocabulaire soit une préoccupation émergente dans la deuxième moitié du siècle.

Ainsi, en 1798, Swediauer se plaint lui-aussi de l’insuffisance des termes médicaux. Il commence son traité des maladies syphilitiques par une remise en cause du mot « gonorrhée » auquel il préfère « blenorrhée ». Vincent-Pierre Comiti, en historien, a étudié la médecine du XVIIIe siècle par le biais de la langue. Il associe, à ce propos, la multiplication des néologismes à partir du grec ou du latin à la nécessité de représenter des nouveaux concepts médicaux :

« L’inspection du malade, de ses excréta, visualise des éléments qui formeront un tableau, le tableau clinique, voire un ensemble d’idéogrammes dont la lecture ou la communication peuvent varier en fonction des autres éléments retenus. »183

Les mots utilisés pour dépeindre le tableau clinique se précisent donc ainsi que l’examen lui-même.

181 Samuel Auguste Tissot, Traité des nerfs et de leurs maladies (Paris : chez P. Fr. Didot, le jeune, 1780), T. III, vol. 2, pp. 42-44.

182 Paulmier, Traité méthodique et dogmatique de la goutte, pp. x-xi.

183 Comiti, « Les langues de la médecine au 18e siècle », p. 610.