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II. L’inégalité médiatique des handicap(é)s

1) L’espace des handicap(é)s à la télévision

1.3 La visibilité historique des athlètes handisport

La visibilité des personnes en situation de handicap moteur (et dans une moindre mesure des malvoyants) doit beaucoup à leur présence quasi exclusive dans les sujets et les émissions centrés sur le handisport. Les personnes handicapées motrices et sensorielles représentent respectivement 82,5% et 15,3% des sportifs handicapés interviewés dans les JT (Tableau 52). L’écart de représentation des différentes catégories de handicapés s’explique donc en partie par le fait que certains ne participent pas aux Jeux paralympiques, créés en 1960. La faible visibilité des sourds est ainsi liée au fait que des épreuves leur sont exclusivement réservées sur le modèle des Paralympiques tous les quatre ans. Ces compétitions existent depuis 1924 dans le cadre des « Deaflypics » (anciennement appelés « The silent games ») en raison de leurs difficultés à communiquer. Le sport adapté concerne les déficients intellectuels ayant

réalisé les Jeux paralympiques jusqu’à leur exclusion en 2000, après que certains participants ont simulé une déficience mentale pour dénoncer le manque de rigueur des contrôles.

Dans les JT, c’est au sein de l’information catégorisée comme sportive que les personnes handicapées sont les plus présentes dans les « sonores », soit 59,1% des individus interrogés (Tableau 53). La rubrique Sport est en effet celle qui, après les faits divers (19,2%) et l’information de société (20,8%), participe le plus à la médiatisation du handicap (12,3%). C’est dans ce type de sujets que les prises de parole de personnes handicapées sont les plus fréquentes (19,2%) comme dans les reportages de société (25%) (Tableau 54). Parmi les 137 athlètes handisports interviewés, 113 relèvent d’une situation de handicap moteur et 21 d’une situation de handicap sensoriel. L’expression des individus handicapés est probablement aussi forte plus généralement dans les programmes sportifs qui regroupent 9% des séquences sur le handicap.

Si les sportifs handicapés forment une catégorie d’individus en situation de handicap qui fait tout particulièrement sens pour les journalistes, leur visibilité reste toutefois assez fluctuante. Elle dépend en fait de leurs performances aux Jeux paralympiques d’été et d’hiver, qui fournissent l’occasion de portraits sous forme d’interviews des sportifs médaillés. La médiatisation de la française Béatrice Hess, qui a remporté une vingtaine de médailles d’or en natation aux Jeux paralympiques entre 1984 et 2004, est un cas exemplaire. La diffusion d’un reportage sur le sport handicapé amateur au JT paraît, en effet, difficilement pensable. Au-delà de leurs performances sportives, la sélection des athlètes renvoie aussi aux possibilités « d’identification et de projection possibles des téléspectateurs » (Paillette et al, 2002 :192), c’est-à-dire aux anticipations réelles ou supposées des réactions du « grand public » par les rédacteurs en chef soucieux d’attirer une audience très large.

Mais l’accès des sportifs handicapés à la télévision est surtout subordonné à la valeur journalistique du handisport. Bien qu’elle renvoie à une obligation pour les chaînes publiques, celle-ci doit aussi, pour beaucoup, au volontarisme et au poids important de certains journalistes de l’émission Stade 2 (diffusée sur France 2) pour peser sur les décisions éditoriales, comme l’indique l’un d’entre eux : « Même à l’époque, il fallait se battre pour passer des sujets parce que les rédacteurs en chef nous disaient : ‘voilà tu vas nous faire pleurer’, je l’ai entendu 50 fois avec la misère du monde. » Les rédacteurs en chef n’ont jamais été spontanément intéressés par le handisport, comme le résume un ancien responsable du service des sports d’une chaîne : « Le service public, ils sont obligés de faire les Paralympiques et ça les emmerde profondément… Sur TF1, ils ne sont pas obligés donc ils ne le font pas. ». Même sur France 2, le handisport est un sujet rare dans le JT, l’écart n’étant que de 1,6 point avec celui de TF1, 13,2% contre 11,6% (Tableau 29).

Dans un contexte général d’érosion de l’audience des journaux télévisés de 20 h et des émissions sportives des grandes chaînes généralistes (comme Stade 2), la médiatisation des athlètes handicapés est entravée par le manque d’audience du handisport, telle qu’elle est mesurée en France : « Les parts de marché, les courbes minute par minute, ils étudient tout. Si vous mettez un résumé des jeux paralympiques à 22h30 sur TF1, ils feront beaucoup moins que s’ils mettent n’importe quelle série », rappelle un spécialiste des sports de France 2.

Ainsi, les athlètes du handisport sont-ils globalement peu visibles alors que l’offre de programmes sportifs s’est pourtant considérablement développée au tournant des années 2000 (Marchetti, 2000). Mais c’est précisément cette multiplication de l’offre qui renforce les logiques économiques dans le champ journalistique. Aux yeux des

journalistes sportifs non spécialisés, les performances des athlètes du handisport ne semblent pas valoir celles des valides. Cette comparaison provient sans doute de la proximité apparente des principales disciplines olympiques et paralympiques. Par exemple, sur les 22 disciplines présentes aux Jeux paralympiques de Sydney en 2000, 14 concernent également les « valides » (Paillette et al. 2002 :185).

La couverture du handisport, et a fortiori celle des Jeux paralympiques souffre, en outre, de la multiplication des catégories d’athlètes handicapés et des fédérations concernées en France. La configuration ne facilite pas la lisibilité des disciplines et de leur organisation pour les rédacteurs en chef des JT, comme l’indique un journaliste sportif de France 2 en charge de cette actualité : « En gros il n'y a pas assez de mecs qui sont double amputés pour faire une catégorie sportive, donc on les regroupe, donc il y a des différences, ça devient compliqué à expliquer, pourquoi un mec court avec une jambe alors que l'autre il n'en n'a pas ».

Enfin, si les disciplines du handisport sont peu accessibles aux non-initiés, c’est aussi parce qu’elles reposent sur des classifications médicales pouvant être déclinées quasiment à l’infini, du fait de la différenciation des déficiences (Marcellini, 2005, p. 50). Autrement dit, les athlètes du handisport restent peu visibles à la télévision, mais ils favorisent dans les comptages une surreprésentation des personnes en situation de handicap moteur.