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CHAPITRE 3 : RECENSION DES ÉCRITS

6.1. La variabilité dans la perception du danger

Les réflexions des participants permettent de soulever une aptitude très importante pour les travailleurs sociaux à domicile, celle de l’évaluation des risques. Pour certains, les dangers doivent être flagrants pour qu’ils les reconnaissent. Certains ne perçoivent que les aspects liés à l’humain, comme l’agressivité, alors que d’autres avait besoin que les dangers soient tangibles pour les percevoir. Une telle perception laisse donc la place à tous les dangers qui seraient moins tangibles ou moins visibles. L’analyse du discours des

importe la forme qu’il prend, le danger est bien présent dans l’exercice de leurs fonctions. De façon générale, ils sont plus sensibles aux dangers présents pour le client que pour eux, sans réaliser qu’ils sont tout autant à risque.

La perception du danger varie énormément d’un participant à l’autre tel que l’indique Przygodzki-Lionet (2008). L’expérience y est pour beaucoup. Ce n’est pas nécessairement le fait d’avoir beaucoup d’années d’expériences, mais plutôt le fait d’avoir été confronté ou non à des évènements dangereux qui compte. Le fait d’avoir déjà vécu des situations dangereuses rend les travailleurs sociaux plus alertes et conscients qu’elles peuvent se reproduire. Ils sont meilleurs pour en repérer les indices et agir rapidement avant qu’elles ne s’aggravent. Ils savent aussi mieux se défendre face aux exigences de leurs supérieurs et aller chercher le matériel nécessaire. L’attribution des dossiers pourrait donc être faite de façon plus judicieuse. Il est important que la complexité des dossiers soit en accord avec les capacités professionnelles des travailleurs sociaux. Il se dégage une préoccupation pour les nouveaux intervenants. Ceux-ci devraient pouvoir bâtir leur expérience progressivement et éviter d’être placés dans des situations traumatisantes trop tôt dans leur carrière. Les conditions de travail actuelles sont assez difficiles dans le réseau de la santé et les nouveaux intervenants ont un taux d’épuisement professionnel alarmant (Auclair, 2017). Il est donc important de leur fournir le soutien adéquat et de les amener progressivement vers les situations les plus complexes.

Comme il est son propre outil de travail, le travailleur social doit posséder le savoir-faire, les aptitudes et le jugement professionnel pour évaluer une situation, détecter les dangers et y faire face. Ses capacités se développent avec son expérience et ses

formations. Les participants rapportent avoir eu très peu de formations en lien avec la sécurité dans leur parcours universitaire. En revanche, ceux ayant passé par une technique semblent en avoir eu davantage. La possibilité d’avoir accès à des formations appropriées une fois à l’emploi devient donc primordiale pour développer ses aptitudes personnelles et professionnelles. Comme il n’est pas toujours possible ou souhaitable d’apprendre seulement par l’expérience en ce qui concerne la sécurité, il devient donc nécessaire de pouvoir avoir accès à celles des collègues. Les collègues et le partage de leur expérience deviennent donc des outils essentiels au développement des travailleurs sociaux, nouveaux comme anciens, notamment dans le contexte de la sécurité à domicile. Le partage avec les collègues semble se faire surtout de façon informelle.

Il y a aussi des différences dans les façons de décoder le danger et de l’interpréter. Cette interprétation est en accord avec ce que Ceyhan (1998) soulignait, comme quoi la notion de sécurité est subjective et interne à chaque personne. Il se peut effectivement qu’un coup de poing sur la table soit un signe d’agressivité, mais il peut aussi être une simple expression de sa colère envers sa situation de santé qui se détériore. L’agressivité n’est pas nécessairement dirigée contre l’intervenant et ne représente pas toujours un danger pour celui-ci. Donc, deux intervenants peuvent faire une lecture tout à fait différente d’une même situation. Il faut être en mesure de bien interpréter la situation et de porter un jugement professionnel adéquat en mobilisant toutes les connaissances et ressources à sa disposition.

Comme le travailleur social est seul à domicile, il a rarement quelqu’un pour corroborer son évaluation de la situation. Lorsqu’il la rapporte en supervision clinique, le superviseur doit se fier à son évaluation et ses recommandations iront dans le sens de ce

qui lui a été raconté. Donc parfois, il est possible que le superviseur ne soit pas nécessairement de mauvaise foi lorsqu’il incite un travailleur social à aller de l’avant malgré les risques. Pour dénouer les situations qui nous préoccupent, la mise sur pied de groupes d’analyse des pratiques professionnelles (APP) pourrait être intéressante. L’une des étapes de cette analyse consiste à demander au travailleur social qui amène la situation une quantité de questions permettant de préciser le plus possible tous les éléments nécessaires à la bonne prise de décision (Robo, 2005). De cette façon, les recommandations seront faites en ayant une meilleure idée de ce qui est en jeu réellement et aucun élément important ne devrait être oublié. Cependant, un tel groupe nécessite une confiance et une cohésion très forte. Selon ce que nous avons vu, ce n’est pas toujours le cas dans les équipes psychosociales rencontrées.

Pour permettre aux travailleurs sociaux de bien évaluer les dangers qui surviennent en intervention à domicile, ils doivent donc y être sensibilisés au moyen de leurs formations académiques et professionnelles, mais aussi via un partage des expériences des collègues. Il pourra donc y avoir une certaine prise de conscience qui les aidera à être plus vigilants pour leurs prochaines interventions, ou du moins être en meilleure position pour évaluer les dangers potentiels.