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La validité du christianisme parmi les religions

Dans l’ouvrage de 1902 sur L’absoluité du christianisme et l’histoire de la religion, puis dans la conférence rédigée en 1923 sur « La place du christianisme parmi les religions », Troeltsch a tenté de démontrer la validité du fait chrétien dans l’histoire des religions. Toutefois, alors qu’en 1902, il pense avoir établi la validité suprême du christianisme en tant que religion personnaliste de rédemption, il se montre plus prudent en 1923, préférant parler de la validité

5 C’est le titre de l’ouvrage de Sarah COAKLEY, Christ without Absolutes. A Study of the Christology of

relative du christianisme en tant que religion de la culture occidentale. La proximité

intellectuelle avec Max Weber pendant les années à Heidelberg, la crise de Γ historicisme, le choc de la Grande Guerre sur la culture européenne et l’enthousiasme de la République de Weimar, dans laquelle Troeltsch s’était politiquement engagé, figurent sans doute parmi les facteurs qui ont influé sur sa réflexion théologique, et qui l’invitent, en 1923, à reconsidérer la question de l’effectivité historique du christianisme et de sa spécificité au sein de l’histoire des religions.

1.1. De l’absoluité à la validité suprême (1902)

Après avoir entrepris une critique des théories apologétiques prétendant démontrer l’absoluité du christianisme, Troeltsch engage, dès le troisième chapitre de la conférence de Mühlacker, une tentative pour établir, sur le terrain de la science historique, la validité normative du christianisme dans l’histoire. Dans l’évolution du programme scientifique de Troeltsch, la prise en compte de cette question marque le passage d’un horizon hégélien, qui était encore celui de l’article contre Kaftan, «Histoire et métaphysique » en 1898, vers une position proche du néo-kantisme6 de Windelband et Rickert.7 La philosophie de l’histoire devient ainsi le lieu où peuvent être établis les fondements théoriques permettant de traiter la question de la validité du christianisme parmi les religions, à partir de l’édifice conceptuel construit par le néo-kantisme pour penser les conditions de validité d’un jugement concernant l’histoire et la culture.

Troeltsch dénonce le raisonnement qui conclut de la relativité de T historique au relativisme illimité (der unbegrenzte Relativismus) et qui déclare vaine toute recherche de normativité.8 6 Le mouvement de retour à Kant esquissé dès la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, entreprit de

reformuler la tâche de la philosophie, dans un contexte marqué par le déclin de l’idéalisme et le succès du positivisme. Hermann Cohen (1842-1918), Paul Natorp (1854-1924) et Ernst Cassirer (1874-1945) furent les principaux artisans de l’École de Marbourg, alors que Wilhem Windelband (1848-1915) et Heinrich Rickert (1863-1936) appartenaient à l’École de Bade. Cohen, proche du Kulturprotestantismus, avait participé, en 1910, au cinquième congrès pour le libre christianisme à Berlin, aux côtés de Troeltsch, Harnack, Rade, Bousset et bien d’autres. Toutefois, c’est avec la pensée de Rickert que Troeltsch entretient le plus d’échanges à cause de la fécondité qu’il lui reconnaît pour résoudre le problème de l’interprétation de l’histoire. En revanche, les travaux de Troeltsch stimulèrent ceux de Rickert sur le sujet de la compréhension historique. Sur le mouvement philosophique du néo-kantisme, cf. Jean-Marc TÉTAZ, « Kantisme (néo-) » dans : Pierre GISEL (éd.), Encyclopédie du protestantisme, op. cit., p. 821825־. 7 Cf. Hans-Georg DRESCHER, « Ernst Troeltsch’s Intellectual Development », art. cit., p.16. Troeltsch lui-

même évoque cette évolution dans une courte note : cf. Ernst TROELTSCH, « L’absoluité du christianisme et l’histoire de la religion », Œuvres HI, op. cit., p. 91.

8 Au demeurant, Troeltsch affirme que l’idée d’un relativisme illimité doit être nuancée pour trois raisons.

D’abord, parce que l’histoire de l’humanité ne compte finalement qu’un nombre restreint d’ensembles de

L’application des méthodes de la science historique permet en effet de repérer, à même le cours de l’histoire, un développement comportant des surgissements et des percées en direction d’un but. Une telle observation permet d’affirmer qu’il existe « quelque chose de

commun et à’universellement valable (Gemeinsames und Allgemeingültiges) qui leur est

immanent. »9 Ce « quelque chose de commun » n’est pas le concept universel au sens d’une production de la raison. Il s’agit d’un « but » (Ziel) situé au-delà de l’histoire et qui ne peut être qu’entrevu, à la faveur de la méthode historique de comparaison. Celle-ci laisse en effet apparaître des lignes de force qui, lorsqu’elles convergent, pointent vers ce but.

Les directions convergentes de ces lignes de force indiquent un but (Ziel) normatif, universellement valable, entrevu (vorschwebenden) par l’ensemble ; un but dont l’essence peut être reconnue malgré toutes les différences spécifiquement individuelles des voies y préparant ; un but qui, par le biais de son Idée (Idee) partout reconnaissable, autorise que l’on juge de la force ou de la faiblesse d’une réalisation

(Verwirklichung) ; un but qui, en tant que totalité achevée, est au-delà de l’histoire et

ne peut jamais être saisi en son sein que d’une manière à chaque fois conditionnée et individuellement spécifique.10

Parce que ce but ne peut être entrevu que sous des formes individuelles et conditionnées, la philosophie idéaliste de l’histoire est vouée à l’échec. Cependant, pour traiter de la question de la validité, une philosophie de l’histoire est requise, travaillant sur la base des résultats de la science historique. La question de la validité du christianisme ne pourra être abordée qu’après avoir posé, philosophiquement, le problème de la normativité dans l’histoire.

extrêmement rares »). Concernant l’histoire de la religion, après avoir éliminé « la masse des religions des peuples non civilisés et les polythéismes » ainsi que les religions rationnelles, qui ne sont jamais que « des dérivés des religions historiques primitives », on peut s’en tenir, estime Troeltsch, à deux grands blocs : « l’univers idéel prophétique-chrétien-platonicien-stoïcien et l’univers idéel bouddhiste oriental. » La

deuxième raison invoquée par Troeltsch peut s’énoncer ainsi : ce qui est relatif n’est pas nécessairement

éphémère. Les formes culturelles peuvent en effet constituer des acquis durables : « la seule restriction est que, puisque ces acquis sont nés dans des constellations déterminées, ils revêtiront des formes toujours à nouveau individuelles. » Enfin (troisième facteur), ce qui est relatif ne se soustrait pas à la possibilité d’être appréhendé selon un critère de valeur ni d’être subordonné à l’idée d’un but commun. Celui-ci transcende le cours de l’histoire, mais peut aussi s’y révéler, de telle sorte qu’il soit possible de mesurer et de comparer entre elles ces différentes révélations (Offenbarungen). Cf. Ernst TROELTSCH, « L’absoluité du christianisme et l’histoire de la religion », Œuvres III, op. cit., p. 122-123.

9 Ibid., p. 125. Ibid., p. 125.

Le problème de la normativité dans l’histoire

La recherche d’une normativité oblige, en effet, à franchir les limites d’une science historique purement descriptive, en direction d’une philosophie de l’histoire.11 Selon Troeltsch, ce déplacement épistémologique est indispensable puisqu’aucun exposé historique ne peut se soustraire à un acte axiologique. Cependant, c’est à partir des faits que doivent être établies les normes, et non à partir de normes posées a priori que devraient être interprétés les faits.12 Entre, d’une part, une science historique purement empirique et relativiste, et, d’autre part, une philosophie idéaliste de l’histoire, basée sur une métaphysique de l’absolu, Troeltsch cherche à développer une nouvelle philosophie de l’histoire13, refusant, certes, d’absolutiser un quelconque phénomène de l’histoire, fût-ce ce qui se présente comme révélation divine, mais sans renoncer, pour autant, à interpréter le sens de ces multiples percées vers l’absolu qui apparaissent à même le flux historique. Aux yeux de Troeltsch, une telle visée se trouve justifiée non seulement par la foi, mais aussi par l’histoire.

C’est une chose qu’exige la croyance en Dieu, vivante en chaque religion supérieure. Mais c’est aussi quelque chose qui se trouve dans l’essence de la pensée historique (in

dem Wesen des historischen Denkens) et que suggère l’expérience. Car la pensée

hypothétique s’accomplissant dans l’empathie hypothétique (in der hypothetischen

Anempfindung) ne serait pas capable de cette empathie si, dans toutes les figures (Gestaltungen) historiques, ne s’exprimait pas quelque chose des idéaux que nous

pourrions ressentir nous-mêmes ou que nous pourrions apprendre à découvrir comme étant nôtres au gré même de l’empathie.14

11 De façon analogue, Troeltsch signale la nécessité de ce passage de la science historique à la philosophie de Γhistoire, pour la détermination de l’essence du christianisme : « la détermination de l’essence est une tâche qui, bien qu’ancrée dans la science historico-empirique, n’en relève pas moins tout autant du travail principiel de la philosophie de l’histoire » (Ernst TROELTSCH, « Que signifie “Essence du christianisme” ? », Œuvres ΠΙ, op. cit., p. 215).

12 Dans l’édition de 1912, Troeltsch a ajouté ce paragraphe : « La compréhension de l’histoire doit être tirée non des sciences de la nature, mais de l’histoire elle-même, et dans la mesure où il faut la dépasser, de la théorie de la connaissance, ainsi que de la philosophie de la culture et de la métaphysique construites sur la base de cette dernière » (Ernst TROELTSCH, « L’absoluité du christianisme et !’histoire de la religion »,

Œuvres ΓΠ, op. cit., p. 118).

13 Cf. Hartmut RUDDIES, « La vérité au courant de l’histoire. Réflexions sur la philosophie de l’histoire de Ernst Troeltsch » dans : Pierre GISEL (éd.), Histoire et théologie chez Ernst Troeltsch, op. cit., p. 19. Ruddies fait référence au débat ouvert au sujet de la position méthodologique de Γ historien Karl Lamprecht (1856-1915) sur !’histoire de la culture (doit-on établir les lois du devenir historique selon le modèle des lois de la nature [position positiviste revendiquée par Lamprecht contre les présupposés métaphysiques de Γhistoricisme] ou bien doit-on favoriser une méthodologie propre aux sciences de l’esprit, dans lesquelles figure !’historiographie ?). Voir les indications données par Jean-Marc Tétaz dans : Ernst TROELTSCH,

Œuvres m, op. cit., p. 442 et p. 383-386.

Ernst TROELTSCH, « L’absoluité du christianisme et l’histoire de la religion », Œuvres ΙΠ, op. cit., p.

123.

Pour comparer ces diverses émergences de l’idée du but commun, un critère d’évaluation s’avère cependant nécessaire. Ce critère ne peut être ni immédiatement divin, car ce serait revenir au supranaturalisme orthodoxe, ni rationnel a priori, puisque ce serait reproduire l’erreur de l’idéalisme évolutionniste. Comme il l’avait déjà suggéré lors de la controverse avec Kaftan et Niebergall, Troeltsch estime que le critère lui-même naît de l’histoire. Il ne se forge en réalité qu’au sein d’un travail de comparaison, pour lequel l’empathie joue un rôle déterminant : « c’est en revivant (im Mitleben) les grands combats humains et en participant par empathie hypothétique aux différentes formations (Gestaltungen) en lutte que, pratiquement et personnellement, il faut l’acquérir et en faire l’expérience vécue d’une façon toujours nouvelle. »15 Toutefois, un tel critère n’est pas l’effet du hasard ni une opinion flottant de manière générale et abstraite16 ; il est enraciné dans une situation historique concrète :

De même que nous comprenons aujourd’hui l’univers avant tout comme un mouvement vital inépuisable, de même comprenons-nous aussi le critère (Maßstab) comme une attitude naissant dans le mouvement même de la vie et s’orientant sur les grandes directions de l’histoire au gré d’une vue d’ensemble et d’une participation [à celles-ci]. Il n’est lui-même que le produit de la situation historique particulière et le moyen de sa formation ultérieure (Weiterbildung), non l’idée immobile et achevée selon les règles de laquelle se déroulerait le procès (.Prozeß),17

C’est la raison pour laquelle ce critère, permettant de viser l’absolu à l’intérieur même de la sphère du contingent, reste irrémédiablement subjectif : « il est précisément lui-même la conviction (Überzeugung) personnelle, morale et religieuse, acquise par comparaison et confrontation. »18 Ce qui est normatif et universellement valable n’est qu’un but entrevu au- delà de l’histoire. Un tel but ne peut jamais être identifié avec une réalité historique existante qui prétendrait en être la réalisation achevée. Bien qu’il soit « commun », ce but n’est pourtant saisissable que de manière chaque fois individuelle-historique19, n’étant lui-même ni une loi ni un concept universel.20 En introduisant, avec cette question du critère de comparaison, l’idée

^ me p. 123.

16 « Considérer que, puisque toutes les solutions apportées jusqu’à présent au problème de la vie s’avèrent être erronées, tout un chacun aurait à découvrir à nouveaux irais la valeur à accorder aux choses, et ce dans les formes les plus extravagantes et contradictoires, est une mécompréhension maladive et exagérément individualiste de la grande idée de l’autonomie » (ibid., p. 125).

17 Ibid., p. 123-124. 18 Ibid., p, 124.

19 « Un tel but peut tout à la fois être commun et ne jamais pouvoir être réellement saisi d’une manière autre qu’individuelle-historique » (ibid., p. 126).

20 De l’aveu de Troeltsch lui-même (dans une note, ibid., p. 131), c’est sur ce point précis que, par rapport à ses essais précédents (« Die Selbständigkeit der Religion » et « Geschichte und Metaphysik »), il rompt « encore plus clairement que ce n’était parfois le cas avec l’idéal d’un concept de la religion ». Dans une

d’un but situé au-delà de l’histoire, Troeltsch en appelle non seulement à une philosophie, mais aussi à une métaphysique de l’histoire.

Il est certes possible de trouver dans l’histoire un phénomène historique au sein duquel convergent les diverses tendances vers ce but commun. On ne saurait cependant identifier le but entrevu au-delà de l’histoire, avec ce phénomène situé dans l’histoire, évoluant sans cesse en de nouvelles configurations selon des stratégies d’adaptation. À supposer qu’il existe, un tel phénomène historique doit être considéré comme une percée (.Durchbruch) vers le but entrevu, percée que rien ne permet a priori de considérer comme unique ni définitive.

Il [le but entrevu en commun] peut trouver dans un phénomène historique sa préparation {Anbahnung) la plus forte, rassemblant toutes les lignes convergentes ; même là, il ne s’y épuise pourtant pas définitivement, mais y a seulement trouvé l’accès à sa clarté principielle, exigeant constamment une nouvelle configuration (ןGestaltung). Il reste un but commun, et non une loi ou un concept universel [régissant] les phénomènes. Il exige une percée (.Durchbruch) définitive de son orientation fondamentale principielle, mais non une réalisation {Realisation) absolue. Et cette percée n’est pas limitée à un point unique par quelque nécessité conceptuelle, même si les forces nées de ces différentes percées tendent à se rejoindre.21

Une telle solution relève en définitive d’une métaphysique de l’histoire. Prenant appui sur la philosophie néo-kantienne des valeurs22, Troeltsch envisage le but entrevu comme « une réalité d’un ordre supérieur, une réalité personnelle et spirituelle, surgissant de la simple vie psychique {aus dem bloßen Seelenleben), une réalité fondée donc sur des valeurs inconditionnées de l’homme intérieur. »23 À la différence de la position qu’il avait défendue

note précédente, Troeltsch avait précisé le sens de ce changement : « Le point de vue fortement hégélien que je soutenais alors est devenu criticiste sous l’influence de Rickert » {ibid., p. 91).

21 Ai¿., p. 126.

22 Rappelons qu’il faut distinguer entre le jugement positif que Troeltsch porte sur les philosophes néo- kantiens, notamment Rickert et Windelband, et le jugement négatif qu’il profère à l’encontre de ceux qu’il nomme les « théologiens néo-kantiens », qui sont souvent les héritiers de Ritschl, ainsi que le laisse entendre un passage de la préface à la première édition, passage dans lequel pointe déjà la question christologique : « En tout état de cause, je considère qu’il est inévitable de fonder l’appréciation scientifique de la religion sur la large base que fournit un tel principe ontologique [kantien] et de répondre à la question de la configuration normative de la religion à partir d’une élaboration conceptuelle des types de cette vie supérieure de l’esprit apparaissant dans le champ historique. Les théologiens néo-kantiens, qui combattent avec tant d’énergie ce dernier point, sont en tous cas bien incapables de concilier leur propre doctrine, qui fait reposer la validité absolue du christianisme historique sur l’impression qui émane du Christ historique, avec les principes néo-kantiens selon lesquels toute réalité individuelle [Einzelnes] de l’histoire, y compris donc la personne de Jésus et le christianisme, relève de la poussée [Geschiebe] causale et mécanique des phénomènes, la seule chose qui surplombe le champ historique étant un jugement moral universellement valable et rationnellement nécessaire » (ibid., p. 76).

Ibid., p. 127.

lors de la controverse avec Kaftan et Niebergall, Troeltsch considère maintenant que le critère d’évaluation du développement historique ne provient pas seulement du processus historique lui-même, mais des valeurs qui apparaissent comme structurantes du comportement de l’homme dans l’histoire.24

Le problème de la normativité dans l’histoire trouve donc sa résolution dans une singulière conjugaison entre l’absolu et le contingent. Le but visé est absolu, situé hors de la relativité de l’histoire, tout en étant commun, donc susceptible d’être entrevu à partir de différents réseaux contingents de l’histoire. Telle est l’amorce de la solution recherchée : « nous serions ainsi arrivés au concept du normatif et de 1 ’ universellement valable (.Allgemeingültigen) que nous cherchions, et qui est en même temps le concept de [quelque chose de] commun (eines

Gemeinsamen) et [de quelque chose] d’absolu. »25 Troeltsch invite alors à prendre ce qu’il

appelle le « virage métaphysique (die metaphysische Wendung) »26 :

Toutes ces finalités et ces forces doivent être reconduites à une réalité suprasensible (übersinnliche Realität) qui fait avancer et qui est en rapport avec le noyau spirituel de la réalité. Les diverses élévations (Erhebungen), percées (.Durchbrüche) et révélations (Offenbarungen) de la vie supérieure de l’esprit sont fondées dans une orientation ascendante (aufstrebenden Zielrichtung) de cette force qui, s’opposant à la simple nature, s’élève en divers points, ici plus claire et profonde, là plus faible et confuse, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé son expression intégratrice ; à partir de là, elle continue alors à œuvrer vers les buts qui se soustraient à tout savoir et à toute imagination. C’est là le noyau (Kern) inamissible de Γidée de développement

(Entwicklungsgedanke), qui, pris en ce sens, n’est pas simplement un postulat de toute

croyance à la vie de l’esprit, mais aussi un fait (Erfahrungstatsache) dont, pour partie, l’expérience témoigne avec clarté.27

Une telle métaphysique de l’histoire rompt avec le caractère contraignant de la dialectique hégélienne28, sans renoncer pour autant à toute idée de développement. Il est donc possible, quoi qu’en pensent les relativistes, de discerner, dans la réalité individuelle et singulière, quelque chose qui s’y révèle comme étant en rapport avec 1 ’universellement valable.

24 Sur l’importance de la philosophie néo-kantienne dans la recherche troeltschienne d’un critère d’évaluation du développement historique, voir : Hans Georg DRESCHER, « Ernst Troeltsch’s Intellectual Development », art. cit., p. 3-32, notamment p. 16.

25 Ernst TROELTSCH, « L’absoluité du christianisme et l’histoire de la religion », Œuvres ΙΠ, op. cit., p. 126.

^ Aid., p. 127. 27 Aid., p. 127.

28 « Il faut abandonner la doctrine selon laquelle les degrés du développement seraient calculables conformément à une loi les régissant, c’est-à-dire la dialectique » (ibid., p. 127).

C’est ce que ne voient pas les relativistes et les individualistes modernes, qui croient qu’après qu’on a démasqué comme une grande tromperie la religion ayant existé jusqu’à présent, le temps des religions des livres et des brochures est arrivé, où chacun peut en appeler au relativisme historique enfin découvert et l’enrichir de ses propres trouvailles religieuses. Mais ce sont eux qui n’ont pas compris les leçons de l’histoire (die Lehren der Geschichte),29

Renonçant à la manière dont l’idéalisme a cherché à réduire la diversité des faits historiques par une théorie métaphysique du développement, Troeltsch invite à revenir à l’intuition de

ΓAufklärung30, intuition selon laquelle il est possible de discerner, à même le cours de

l’histoire, ce qui est universel et normatif. Toutefois, pour mettre en pratique, dans la situation présente, cette orientation fondamentale de ΓAufklärung, il convient de se situer sur le terrain infiniment plus riche, plus varié et plus vivant des phénomènes historiques eux-mêmes, tels que les progrès de la science permettent aujourd’hui de les appréhender :

La seule issue reste donc une enquête scientifique qui s’efforce d’embrasser l’entier

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