• Aucun résultat trouvé

Les deux intercessions postérieures de Moïse avec les réponses de Yahvé (33,12-17) forment un tout littéraire, avec l’inclusion de la phrase : « Je te connais par ton nom et tu as trouvé grâce à mes yeux » dans les versets 12 et 1790. Cet ensemble possède la structure A-B- A´-B´, où A représente une prière de Moïse, et B une brève réponse de Yahvé. Dans la troisième intercession Moïse implore la grâce pour lui-même en tant que guide du peuple, et dans sa quatrième intercession la grâce pour le peuple. Ainsi les deux demandes se complètent.

88

Il est vrai que le v. 7b peut être interprété comme l’indication que la tente est accessible à quiconque veut consulter Yahvé. Pourtant le texte parle seulement de « sortir vers la tente » et non pas d’y entrer. Il semble que personne, outre Moïse et Josué, ne fût autorisé à pénétrer dans l’intérieur de cette tente.

89

La tente dont parle Ex 33,7-11 assurait provisoirement au peuple la communication avec Yahvé par l’intermédiaire de Moïse. Un autre mode de présence représente la Demeure dont parle Ex 35-40. Mais l’unité Ex 32-34 garde silence sur cette dernière et sur les prêtres qui y officiaient. Cela pose au lecteur du livre de l’Exode le problème de l’interprétation de la disparition de la tente provisoire. Pourtant les lecteurs du Pentateuque au temps du Deuxième Temple étaient assez avertis pour reconnaître dans la Demeure dont parle Ex 35-40 ; Lv ; Nb la description du sanctuaire construit à Jérusalem. En revanche, la fonction de la Tente du Rendez-vous dont parle Ex 33 pouvait, à leurs yeux, être associée au ministère de Moïse et de Josué pendant la route à partir du Sinaï jusqu’à la Terre promise. Effectivement, le passage Dt 31,14-16, qui représente probablement la même tradition concernant la tente que celle de Ex 33,7-11, semble indiquer que cette tente fonctionnât comme le moyen de communication avec Moïse jusqu’à sa mort.

90

7.1. Moïse muni de la connaissance de Yahvé pour accomplir la mission (33,12-14)

Quand Moïse s’adresse à Yahvé : « Tu ne me fais pas connaître qui tu enverras avec moi » (33,12), il est tout naturel qu’il veuille connaître déjà en chemin celui avec qui il partage la tâche de guider Israël. Moïse de toute évidence se rappelle la promesse de l’envoi de l’ange (Ex 23,20 ; 32,34 ; 33,2)91. Alors, ces paroles de Moïse se comprennent bien comme demande d’une connaissance approfondie du mystère de la présence accompagnatrice de l’ange. Ainsi 33,12-17 ne s’oppose pas à 32,33—33,2 et ne rend pas l’envoi de l’ange superflu.

Ex 33,12-17, avec 32,34—33,2, forme le récit de l’envoi en mission. Moïse est chargé de conduire le peuple, et pour accomplir sa vocation, il est assuré de la présence de l’ange (33,34 ; 33,2). Pourtant, tout comme dans d’autres récits du même type, l’homme veut être complètement certain qu’il obtiendra tout ce qui est nécessaire pour accomplir sa tâche, et pour cette raison il multiplie des demandes (cf. Ex 3,7—4,17 ; Jg 6,11-2492).

C’est dans cette logique de la supplication de la faveur divine que l’on doit sans doute interpréter toutes les intercessions de Moïse en Ex 32-34. Il n’est pas nécessaire de présupposer que Moïse réitère ses demandes parce que Yahvé, dans ses réponses, se montre toujours offensé par le péché d’Israël et ne se laisse réconcilier que partiellement avec lui93. Il s’agit plutôt d’une reconnaissance progressive par Moïse de la plénitude de la grâce que Yahvé veut accorder à Israël pécheur, mais qui ne se révèle qu’à travers une série d’intercessions, et ensuite, par les œuvres que Yahvé accomplira par l’intermédiaire de la mission confiée à Moïse.

L’élément clé en 33,12-17 est la phrase « connaître Yahvé et trouver grâce à ses yeux » (v. 12.13.16.17). Moïse tire la conclusion de ces deux intercessions précédentes (32,11-14. 30-34). Par son appel premier au Sinaï (Ex 3) et par les réponses à ces intercessions Moïse a appris que Yahvé le « connaît par son nom » et qu’il « a trouvé grâce à

91

Ainsi RASHI ; de même N. M. SARNA, Exodus, p. 213. Autrement CHILDS, Exodus, p. 594 et J. VAN SETERS, The Life of Moses, Kampen 1994, p. 337-339.

92

Dans ces deux cas, Yahvé est apparu comme l’Ange devant Moïse et Gédéon. Prenant en considération ce contexte large, il semble que pour le lecteur du Pentateuque il n’y a aucune contradiction entre la présence de Yahvé en personne et l’envoi de l’ange assurant à l’homme choisi et au peuple la protection divine. L’envoi de l’ange de Yahvé ne concurrence pas la mission de l’homme mais la renforce. Ainsi l’ange de Yahvé envoie à son tour l’homme pour l’assurer de la force du Seigneur (cf. Ex 3,10-12 ; Jg 6,12-16).

93

Autrement dit, que des concessions partielles successives de la part de Yahvé forment le processus de reconstruction par étapes des liens brisés par le péché du veau d’or. Pourtant, c’est la ligne d’interprétation adoptée par RASHI ; de même CHILDS, Exodus, p. 594 et MOBERLY, At the Mountain of God, p. 68-76.

ses yeux »94. La formule « connaître par son nom » laisse supposer que Moïse entre dans une intimité unique avec Yahvé, et « trouver la grâce aux yeux de Yahvé » implique dans ce contexte une élection spéciale95.

La connaissance entre les intimes est réciproque. Dans sa troisième demande, Moïse implore Yahvé de lui accorder personnellement la grâce d’une connaissance approfondie de Lui-même. Cette connaissance découle de sa mission. Puisque Yahvé l’a chargé de la mission de guider le peuple, il a fallu que Moïse ait aussi connu Yahvé de manière exceptionnelle. En effet, pour être un guide légitime aux yeux du peuple, Moïse a dû leur montrer qu’il connaissait « les voies du Seigneur » et par conséquent, le Seigneur lui-même96. Pour en terminer, il s’agit de l’assurance personnelle du guide : Moïse veut être sûr que le peuple appartient toujours au Seigneur (v. 13)97.

7.2. La face de Yahvé (33,14)

La réponse de Yahvé dans le v. 14 est assez difficile à comprendre. Nul ne s’accorde pour dire que la phrase : « Ma face ira et je te donnerai le repos » est affirmative, évasive ou bien interrogative98. Il semble par ailleurs que de bonnes raisons existent pour la considérer comme une promesse99.

La « face » (

~ynIP'

) de Yahvé est sans doute la présence de Yahvé en personne100. Mais remplace-t-elle la présence de l’ange ? Plusieurs commentateurs le comprennent ainsi101. Pourtant la face du Seigneur et l’ange du Seigneur ne s’excluent pas l’une l’autre. Le Seigneur peut communiquer avec son peuple de multiples façons. Comme en 23,20 l’envoi de l’ange

94

Lu dans son contexte actuel, où v. 12 fait suite au v. 11, le récit suggère également que Moïse ait fait connaissance de cette grâce dans la Tente du Rendez-vous. Le rédacteur qui a glissé Ex 33,3-11 dans ce contexte, l’a fait ingénieusement.

95

Cf. MOBERLY, At the Mountain of God, p. 70-71.

96

« Connaître les voies de Yahvé » peut signifier « connaître la manière d’agir de Yahvé » et en même temps connaître les chemins pour guider le peuple là où Yahvé le veut.

97

Le v. 13 se termine par l’impératif : « Et vois que cette nation est ton peuple ». LXX y lit autrement : « pour que je voie... ». En tout cas, c’est Moïse qui veut être assuré par le Seigneur de sa grâce, qui à ses yeux est inséparable de sa mission. Celle-ci n’est valable que si le peuple appartient au Seigneur. La Septante rend alors bien le sens de la phrase.

98

Pour la discussion du problème, voir HOUTMAN, Exodus, p. 698.

99

Ainsi, LXX ; CASSUTO, Exodus, p. 434 ; CHILDS, Exodus, p. 594 ; MOBERLY, At the Mountain of God, p. 74 ; HOUTMAN, Exodus, p. 698 ; J. I. DURHAM, Exodus, p. 444 ; N. M. SARNA, Exodus, p. 213.

100

Ainsi, en 33,14, LXX traduit : « Moi-même j’irai devant toi » ; les Targums rendent « ma Face » par « ma Shekhina ». Cf. aussi A. S. VAN DER WOUDE, « pānîm face », TLOT, II, p. 1004.

101

Ainsi : CASSUTO, Exodus, p. 434 ; MOBERLY, At the Mountain of God, p. 63 et 75 ; HOUTMAN, Exodus, p. 699 ; RENAUD, L’Alliance, p. 164. Cependant autrement HYATT, Exodus, p. 316, selon qui dans la tradition E et dans la rédaction deutéronomiste représentée en Ex 14,19a ; 23,20 ; 32,34 ; 33,2 la présence du Seigneur est représentée par l’ange, et dans la tradition J, par la colonne de nuée et de feu (Ex 13,21-22 ; 14,19b ; Nb 14,14).

n’est pas le substitut de la présence de Yahvé en personne ; ainsi on peut comprendre qu’en 33,14 Yahvé répète qu’Il ira sûrement avec le peuple sans retirer d’ailleurs la promesse concernant l’ange. En effet, le peuple a besoin de l’ange qui va les introduire dans la Terre promise.

Comment comprendre alors la réponse de Yahvé : « Ma face ira » ? Il semble que le plus facile, et conforme au texte, est de l’interpréter comme réponse directe à la plainte de Moïse : « Tu ne me fais pas connaître qui tu enverras avec moi » (v. 12). Alors, Yahvé annonce maintenant que celui qui accompagnera Moïse, c’est Lui-même, sa face. Cela ne signifie pas que la face remplace l’ange mais au contraire, que la face et l’ange ne représentent qu’un seul et même Seigneur102.

Ces deux facettes de la présence de Dieu se complètent. Il semble que les deux promesses, celle de l’ange et celle de la face, jouent un rôle théologique dans le contexte du péché du veau d’or. L’accompagnement divin pendant la route sous une forme double —celle de l’ange et de la face, qui ne font néanmoins qu’un—, contraste avec la tentative humaine de se procurer un faux guide divin et en même temps l’objet d’un culte perverti. En effet, l’ange de Yahvé est le vrai guide, et la face de Yahvé se laisse chercher et adorer. La présence de Yahvé promise à Moïse était alors ce que la communauté voulait que soit le veau. L’ange de Yahvé enseigne aux hommes « les voies du Seigneur ». La face, dans le cas où Israël s’écarterait de cette voie, donne la possibilité de la chercher, d’implorer le pardon et de rendre grâce à Dieu103.

Dans cette ligne d’interprétation, on comprendrait mieux la phrase clé en 33,12-17 : « connaître Dieu et trouver grâce à ses yeux ». Or, d’un côté, « connaître Yahvé », signifie, dans le contexte du v. 13, connaître ses voies, et cela correspond au rôle de l’ange. De l’autre côté, celui à qui Dieu montre favorablement sa face, « trouve grâce aux yeux de Yahvé ». Ainsi la promesse de la face au v. 14 ne remplace pas mais confirme et augmente celle de l’ange en Ex 33,1-2.

La promesse de la face en 33,14 ne concerne pas le refus de la part de Yahvé de monter au milieu du peuple en 33,3.5. Il semble que 33,12-17 ne résout pas le problème soulevé par 33,3-6. Or, Ex 33,12-17 passe sous silence le problème crucial pour 33,3-6, celui du caractère du peuple « à la nuque raide ». Il s’agit sans doute de traditions différentes qui

102

Cf. A. COLE, Exodus, London 1973, p. 225, d’après qui « la Face » signifie « la Présence » et l’Ange promis à Moïse sera désormais « l’Ange de la Présence » (cf. Is 63,9), c’est-à-dire, une manifestation de Dieu tout entière, comme en Ex 23,20.

103

Le mot

~ynp

ou

hwhy hnp

a un emploi caractéristique pour rendre la présence de Yahvé dans le culte, cf. A. S. VAN DER WOUDE, « pānîm face », TLOT, II, p. 1009-1010.

abordent le problème de la présence de Yahvé sous deux aspects distincts. Tandis que Ex 33,3-5 prévoit que Israël en route vers la terre promise ne bénéficiera pas du sanctuaire au milieu du peuple, 33,14-15 ne parle sans doute pas du même sanctuaire104. Car la face de Yahvé qui marche avec le peuple105 peut lui donner une autre possibilité du culte de Dieu que le sanctuaire au milieu d’Israël. Cette face du Seigneur, accompagnant le peuple tout entier (v. 15), ne remplace non plus la communication face à face de Yahvé avec Moïse dans la Tente du Rendez-vous (v. 11).

7.3. Un peuple appelé à être distinct de tous les peuples (33,15-17)

Moïse a déjà demandé la grâce de connaître les voies de Yahvé en tant que guide du peuple106. Dans sa quatrième intercession (Ex 33,15-17), Moïse implore une grâce pareille pour tout Israël. Moïse lui-même se présente maintenant en tant que membre du peuple, un parmi les guidés. Il implore Yahvé de faire connaître à tout Israël sa présence : « Si ce n’est pas ta face qui vient, ne nous fais pas monter d’ici ; comment saura-t-on alors que j’ai trouvé grâce à tes yeux, moi et ton peuple ? N’est-ce pas à ce que tu iras avec nous ? » (v. 15-16a). La formule : « J’ai trouvé grâce à tes yeux, moi et ton peuple » implique que tout le peuple profite de la grâce accordée personnellement à Moïse.

Dans le contexte de 33,1-2.12-17, le caractère distinct (

hlp

niphal, v. 16b) sera donné au peuple grâce à l’assistance en route par la face de Yahvé et l’ange de Yahvé, et à l’avenir, par la possession de la Terre promise. En 33,15, Moïse implore Yahvé qu’Il aille « avec nous » (

WnM'[i

), comme en Ex 3,12, où Yahvé l’a appelé et lui a promis : « Je serai avec toi » (

%M'[i

). Ainsi Ex 33,15-17 revêt un caractère de récit de la vocation d’Israël. Ce récit sera complété par Ex 34,9-10.

Les réponses de Yahvé en 33,14.17 sont formulées au futur, sans préciser le moment de sa réalisation : « Je te donnerai le repos » ; « Cette chose que tu as dite, je la ferai encore » (v. 17). Dans le contexte actuel de l’ensemble Ex 32-34, il est possible de les interpréter comme promesses concernant l’avenir du peuple. Moïse a déjà trouvé la grâce de Yahvé ; le

104

Pourtant ainsi : CASSUTO, Exodus, p. 434 ; MOBERLY, At the Mountain of God, p. 74-75.

105

La phrase en v. 16 : « aller avec nous » (

WnM'[i ^T.k.l,B.

), n’est pas la même que celle en v. 3.5 : « monter au milieu de toi » (

^B.r>qiB. hl'['

).

106

C’est probablement en tant que guide d’Israël qu’il obtient la promesse du réconfort en 33,14 : « Je te donnerai le repos ».

peuple aussi, par l’intermédiaire de Moïse. Mais ce peuple, pour accomplir sa vocation de peuple « distinct » de tous les peuples sur la terre, ce qui correspond à une grâce exceptionnelle, doit encore fait un pèlerinage à travers le désert vers « la terre qui ruisselle de lait et de miel » pour apprendre « les voies du Seigneur » en se laissant guider par Lui.

8. La cinquième intercession (Ex 33,18-23) : L’homme peut-il voir