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La transitionnalité à l’épreuve des logiques institutionnelles

DES RENCONTRES ET DES RECITS POUR COMPRENDRE LE LIEN

Chapitre 2. 2 : Le discours des professionnelles

2.2.4. La transitionnalité à l’épreuve des logiques institutionnelles

L’analyse du discours des professionnelles fait apparaître le cadre comme un élément essentiel dans la construction d’un espace sécurisant pour elles et pour les usagers.

La fonction asilaire et l’espace transitionnel, tels qu’ils sont décrit par P. Declerck, aident à comprendre comment le cadre dans lequel se rencontrent professionnels et usagers, agit comme un support essentiel dans la mise en place du lien. La « relation thérapeutique 1», avec le lien comme objet transitionnel, est essentielle dans la prise en charge des personnes.

L’espace transitionnel comme espace d’accueil permettant cette relation, doit donner la possibilité de créer et d’inventer un mode de relation à soi, alimenté par les « expériences

1 P. DECLERCK. Op. cit. p.365.

de la vie1 ». L’objectif premier d’un tel espace est la « persistance du lien thérapeutique et le caractère inconditionnel et indestructible de l’intérêt que lui porte son soignant2 ».

Pour que le lien se mette en place et qu’il soit de bonne qualité, P. Declerck en rappelle les éléments essentiels3 : l’espace d’accueil doit offrir un cadre qui limite la relation et l’omnipotence de chacun des acteurs, l’objet doit être indestructible et ne jamais faire défaut, il est autonome, il a son existence propre hors de la relation. Dans cet espace, les acteurs sont soumis au principe de réalité et à des contraintes adaptées, dans le respect des logiques institutionnelles. Lorsqu’elles parlent de l’accueil de jour et de l’accompagnement, les professionnelles citent ces éléments, notamment lorsqu’elles décrivent un cadre souple et adapté avec des limites infranchissables.

Les éléments de transitionnalité repris par P. Declerck, correspondent à la zone intermédiaire décrite par D. W. Winnicott, qui vient s’ajouter à celles de la réalité interne et de la réalité extérieure. Un « lieu de repos4 », suffisant en tant que tel, où le sujet apprend à séparer le subjectif de l’objectif, sans appréhension. Cela convoque l’idée d’un accueil de jour fonctionnant comme une matrice, où la personne apprend ou réapprend la sécurité et la confiance en soi et en l’autre. Ce qui se passe dans ce lieu permet de reprendre une place sur la scène sociale où les contraintes de la réalité deviennent supportables. La relation transforme une « souffrance qui empêche de vivre5 » en une « souffrance qui aide à vivre6» lorsque « l’anticipation de la perte permet un avenir incertain mais ouvert7 ».

Au delà du sentiment de sécurité et de la possibilité d’être créatif donnés par le cadre, il y a transitionnalité lorsque la permission est « accordée à l’autre de continuer à exister au long cours dans ses disfonctionnements bizarres (…) (de) trouver protection et abri sans contrepartie 8». Dans les accueils de jour, les personnes sont accueillies dans le respect de leur souffrance et de leur identité. Ce sont des lieux où, dans un premier temps, il est possible de ne pas exprimer de désir ou de projets. Demander c’est admettre le manque et le besoin de l’autre, élément bien trop souffrant pour des personnes qui sont dans l’incapacité psychique de métaboliser l’idée du manque. Cette « demande impossible doit

1 D. W. WINNICOTT. Jeu et réalité. Op. cit. p. 150.

2 P. DECLERCK. Op. cit. p.367.

3 Ibid. pp.361-374.

4 D. W. WINNICOTT. De la pédiatrie à la psychanalyse. Op. cit. p.111.

5 J. FURTOS in J. FURTOS, C. LAVAL. Op. cit. p.18.

6 Ibid. p. 18

7 Ibid. p.18.

8 P. DECLERCK. Op. cit. p.362.

alors être portée par des tiers sous peine d’abandon à personnes en danger (…) chemin faisant, des solutions de dégagement peuvent permettre d’avoir moins besoin d’autrui1 ».

Pour arriver à créer un tel espace, les professionnels et les institutions doivent accepter leur impuissance et ne pas attendre, en échange de ce qui est donné, que l’autre change. La difficulté de tenir cette position apparaît dans le discours des professionnelles, qui à la fois acceptent l’autre tel qu’il est, simplement en demande d’une présence, et à la fois, parce qu’elles ont besoin de se sentir utiles, risquent de projeter leurs propres idéaux de vie sur les personnes accueillies. Elles décrivent leurs difficultés à trouver la bonne place, à maintenir « une attitude mentale de neutralité et de bienveillance, c’est à dire une distance viable entre les intérêts et investissements structurellement divergents des soignés et des soignants (…) la neutralité bienveillante, pour le soignant, consiste, in fine, à s’en remettre tranquillement au processus thérapeutique et à la dynamique inconsciente du soigné, pour ce qui est de la détermination de ce « bien » futur2 ».

Trouver et réussir à conserver cette position neutre et bienveillante ne bloque pas le partage de la souffrance de l’autre. Les professionnelles ont évoqué cette émotion comme un élément incontournable dans leur travail. P. Decleck reprend cet aspect de la relation comme un élément permettant de comprendre, par un fantasme d’identification à l’autre, le fonctionnement psychique de l’usager : « c’est cette identification qui conduit justement à la mobilisation des investissements psychiques du soignant. Elle est la condition de possibilité de la pitié (…). Celle-ci permet d’éprouver, par écho, une forme amoindrie et hallucinatoire de la souffrance de l’autre. Ce ressenti hallucinatoire se trouvera ensuite projeté sur celui dont on a pitié et cette identification projective vient à son tour confirmer, par une boucle rétroactive, la compréhension qu’on peut avoir de l’intériorité de l’autre 3».

Lorsque la souffrance et le désespoir sont indicibles « toute possibilité de plainte, de demande, de témoignage et même de révolte sont suspendue. C’est pourquoi, aussi, la partie souffrante des personnes, mises à l’extérieur de soi, est portée par les aidants, qu’ils le sachent ou pas, et c’est l’une des explications de leur malaise en clinique psychosociale.

Ils peuvent alors eux aussi se blinder, se cliver, et entrer dans une forme d’auto-exclusion, si les intervenants acceptent d’être affectés par une souffrance qui en partie n’est pas la

1 J. FURTOS in J. FURTOS, C. LAVAL. Op. cit. p. 27.

2 P. DECLERCK. Op. cit. p.371.

3 Ibid. p.297.

leur, ils peuvent en faire quelque chose1 ». Cette « souffrance portée2 » est un indicateur de vie, en ce sens que ressentir la souffrance de l’autre, c’est rester vivant face à celui qui est enfermé dans une « agonie psychique3 ».

1 J. FURTOS. Op. cit. p30.

2 Ibid. p. 31

3 R. ROUSSILLON in ORSPERE. Op. cit. p.84.