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La théorie synthétique de l’évolution par sélection

La théorie de l’évolution, bien que conçue dans le cadre de la biologie, n’y est pas nécessairement limitée. Pour cela il suffit qu’une classe d’objets52

regroupe les trois caractères de copie, de 52. Le vocabulaire de la programmation est particulièrement adaptée pour cette définition : une classe donne la structure et la définition d’objets partageant certaines propriétés ; une instance désigne l’un de ces objets en particulier, c’est donc une réalisation de la classe. Je suis une instance de la classe des systèmes biologiques.

compétition et de variation, il s’en suivra naturellement une forme ou une autre d’évolution comme le fait remarquer la citation de Eigen au début de ce chapitre.

la Copie : qui permet de créer une nouvelle instance à partir de celles déjà existantes. Dans le cas où ces instances ont une durée de vie finie, ce mécanisme permet de plus d’assurer une certaine forme de mémoire non locale.

la Sélection : ou toute autre forme de compétition ou de comparai-son – entre les instances qui permet de retirer les propositions infructueuses et de se concentrer sur celles qui ont prouvées leur efficacité. Déterminer quel est l’objectif sous-jacent peut être très facile – dans un algorithme génétique ce dernier est défini par l’utilisateur – ou très complexe, comme c’est le cas en biologie. les Variations : par l’introduction de différences lors de la copie,

dif-férences qui doivent pouvoir jouer un rôle lors de la compétition. L’objectif étant d’explorer au mieux l’ensemble des solutions possibles, en l’absence de variation, on ne pourra au mieux que déterminer la meilleure des solutions proposées initialement. Deux points très importants méritent d’être signalés.

Premièrement, en l’absence de sélection, le système continuera à évoluer, c’est-à-dire à se modifier dans le temps, mais de ma-nière purement aléatoire. C’est le cas où bien quand la pression

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de sélection est si faible que même des individus très peu adap-tés peuvent survivre et se reproduire ou bien quand les variations introduite ne jouent aucun rôle vis à vis de la sélection. On par-lera alors d’évolution neutre, le rôle de cette dernière par rapport à l’évolution sélective étant d’un intérêt crucial et soumis à d’ardent débats. Contentons nous donc de garder à l’esprit que la sélection naturelle est l’une des forces principales de l’évolution naturelle mais que cette dernière ne se réduit pas à la sélection et que certaines caractéristiques complexes peuvent être le produit de l’évolution neutre53

. 53. Si vous êtes surpris, pensez à une

marche aléatoire sur un graphe non ré-gulier, les noeuds de haut degré seront naturellement visités plus souvent par ce processus ’neutre’.

Secondement, le mécanisme de sélection fonctionne avec un temps caractéristique donné. Si l’information se dégrade d’elle même plus rapidement, par exemple si les différentes copies se modifient ou si les copies disparaissent et que le mécanisme de copie génèrent trop de variation, le système est gouverné par la stochasticité, c’est le régime dit du seuil d’erreur (error threshold en anglais).

Nous l’avons signalé, la biologie n’est pas le seul domaine où se présente une forme de sélection et d’évolution. Même si c’est sur cette dernière que nous nous concentrerons par la suite, nous donnons ici brièvement quelques exemples de sélection différentes. Notez que chacun de ces domaines représente un cas particulier avec ses propres lois et dynamiques :

en Biologie les individus sont encodés dans l’ADN qui permet à la fois l’hérédité et une forme de variation et sont soumis à une lutte pour la survie et la reproduction induisant une sélection entre espèces partageant un même territoire au sens le plus large du terme.

en Économie les entreprises cherchent à établir des stratégies leur permettant d’être rentables et de s’agrandir. La copie et la va-riation proviennent principalement des agents humains qui composent ces "organismes".

en terme de Culture les innovations technologiques et les cultures évoluent au fil du temps, au fur et à mesure des découvertes et des modes. Certaines cultures progressent plus rapidement car elles permettent à ceux qui les partagent de se développer plus rapidement, ou bien car elles bénéficient d’un certain attrait amenant d’autre groupe à les intégrer. La question de savoir si ce domaine est effectivement une forme de sélection est ardemment débattue.

en Science les théories scientifiques suivent une évolution en cher-chant une meilleure description de la réalité, la compétition reposant généralement sur le pouvoir prédictif, la mémoire provenant aujourd’hui principalement d’outils technologiques (livres, serveurs, etc.) et une variation dirigée étant fourni par les scientifiques.

Pour autant l’évolution biologique, c’est-à-dire la modification dans le temps des organismes vivants, présente certaines proprié-tés rendant son étude d’autant plus complexe et plus intéressante. Commençons par examiner comment les trois caractères fondamen-taux y sont représentés. Puis nous passerons en revue certaines de ses particularités.

La copie est assurée au niveau d’une population par la reproduc-tion de ses différents individus. Le principal support de l’hérédité est évidemment l’ADN qui est hérité entre les organismes vivants, généralement du parent vers le descendant, mais pas seulement54

. 54. Les Transferts de Gènes Horizontaux (HGT) présents chez de nombreuses bactéries, permettent des passages de matériel génétique entre deux indivi-dus quelconques, y compris entre des espèces distinctes.

Le mécanisme de copie de l’ADN est remarquablement fidèle avec un taux d’erreur (c’est-à-dire le ratio d’erreurs d’une génération à la suivante) variable selon les organismes allant de 10−4chez les virus à 10−11chez les bactéries55

. D’autre part, de nombreuses

ca-55. À titre de comparaison, ce taux est de 1012sur un disque dur actuel, avant l’utilisation de codes correcteurs.

ractéristiques en dehors de l’ADN peuvent favoriser un individu par rapport à un autre : sa position géographique, la culture dans laquelle il est né, les molécules transmises par ses aïeuls, etc. Tous ces facteurs sont regroupés sous la notion d’épigénétique et forment aujourd’hui un champ de recherche particulièrement actif tant du point de vue théorique que pratique.

La sélection est assurée par la capacité d’un individu à se repro-duire de façon efficace, c’est-à-dire à permettre à son patrimoine génétique d’être présent au sein des populations futures, que ce soit en ayant davantage de descendants, en s’assurant que ces derniers survivent jusqu’à l’âge adulte ou tout autre méthode favorisant directement ou indirectement ses propres gènes. Notez que "mes gènes" ne signifient pas toujours forcément "moi-même" : il suffit d’avoir à l’esprit les insectes sociaux comme les fourmis qui pos-sèdent des gènes très semblables au sein d’une même colonie pour comprendre cette différence.

Cette capacité à passer ses gènes dans la génération suivante est souvent désignée par le terme de "fitness", mais sa définition est sujette à d’interminables débats dans lesquels nous préférerons ne pas entrer dans le corps de cet ouvrage, préférant lui consacrer un appendice (p.113).

La variation enfin dépend de l’organisme dont il est question. Chez les bactéries il s’agit principalement d’erreur de copie lors de la réplication de l’ADN mais aussi de transport d’un gène d’une partie du génome à une autre et de transferts horizontaux. Chez les espèces sexuées, la variation provient aussi de l’arrangement des gènes entre paires et des nombreux cross-over ainsi que des transposons56

, la mutation d’un seul site n’étant plus la principale 56. Les transposons sont des séquences d’ADN capable de se déplacer – mais pas de se répliquer – de manière autonome dans un génome.

source de variation.

Ces variations ne sont donc pas uniquement aléatoires comme on le croit bien souvent. Les bactéries peuvent jouer avec leur taux de mutation57

et échanger "volontairement" des groupes de gènes 57. Ivana Bjedov, Olivier Tenaillon, Be-nedicte Gerard, Valeria Souza, Erick Denamur, Miroslav Radman, François Taddei, and Ivan Matic. Stress-induced mutagenesis in bacteria. Science, 300(5624):1404–1409, 2003

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De plus, les organismes vivants sont des entités auto-répliquantes, ce qui implique que les mécanismes par lesquelles une espèce évo-lue sont eux-mêmes soumis à la contrainte de l’évolution58

. Cette 58. O Rivoire and S Leibler. A model for the generation and transmission of variations in evolution. PNAS, 111(19):E1940–E1949, May 2014

particularité est loin d’être anecdotique, elle implique que la ma-tière biologique ne suit pas des règles fixes – hormis les lois de la physique – mais fait évoluer ses propres règles. Le taux de muta-tion, le code génetique59

ou encore les mécanismes de réarrange- 59. Kalin Vetsigian, Carl Woese, and Nigel Goldenfeld. Collective evolution and the genetic code. arXiv, q-bio.PE, May 2006

ment devraient donc pouvoir être étudiés, du moins en partie, à l’aide à la théorie de l’évolution.

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