• Aucun résultat trouvé

I. La colonisation de nouveaux milieux : un processus complexe

I.2. La survie et l’installation dans le nouveau milieu

L’établissement correspond à l’étape pendant laquelle la population nouvellement arrivée doit franchir une série de barrières écologiques et reproductives pour survivre et s’établir durablement dans son nouvel environnement (Lockwood et al. 2013; Richardson et

al. 2000). La densité de la population, les caractéristiques environnementales et le potentiel

adaptatif de la population auront un rôle primordial dans le succès ou l’échec de l’invasion.

I.2.1. La pression de propagule

Durant la phase d’introduction, seul un faible pourcentage des individus prélevés dans l’aire d’origine survivront aux conditions de transport et seront relâchés dans le nouvel habitat. De nombreux auteurs estiment que la « pression de propagule », c’est-à-dire le nombre d’introductions (nombre de propagules) et le nombre d’individus par arrivée (taille de propagule) est le principal facteur influençant le succès global de l’invasion (Blackburn et al. 2015; Lockwood et al. 2005). La probabilité d’établissement d’une espèce dans un nouveau milieu est plus importante si elle est fondée par un grand nombre d’individus et si ces individus sont relâchés à plusieurs endroits différents et à plusieurs reprises (Blackburn et al. 2015).

Encadré 2. Dispersion des insectes par le vent

La capacité de dispersion active des petits insectes est généralement limitée par leur petite taille (de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres). La dispersion par les vents peut constituer un moyen de dispersion à longue distance efficace, à la condition que ceux-ci présentent des caractéristiques favorables à la survie des organismes (température, vitesse) (Reynolds et al. 2006).

Si l’insecte qui se disperse par les vents est aussi vecteur de pathogènes, il peut alors disséminer le pathogène en même temps qu’il étend son aire de distribution (Reynolds et al. 2006). Les espèces du genre Culicoides, moucherons de la famille des Ceratopogonidés, peuvent ainsi être transportées passivement par les vents sur des distances allant jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres au-dessus des masses d’eau, leurs permettant de franchir des barrières géographiques aussi larges que la Méditerranée (Braverman 1991; Sellers et al. 1977; Sellers et al. 1978).

La dispersion par le vent est souvent vue comme un évènement rare, avec des expansions géographiques qui se limiteraient à l’échelle régionale. Cependant, des auteurs montrent aussi que ces phénomènes pourraient survenir plus régulièrement, avec des fréquences variant fortement en fonction des saisons et des années (Parry et al. 2015). Pour certaines espèces d’insectes, ce mode de dispersion n’est pas entièrement passif et peut être initié ou entretenu par des phases de vol actif (Reynolds et al. 2006). Tous les types de vents ne sont pas favorables à la dispersion des organismes. Les vents à grandes vitesse (> 100 km/h) comme lors des cyclones ou des tempêtes sont plus à même de transporter des organismes de taille moyenne à grande, tandis que les vents et courants chauds à faible vitesse (20-30 km/h) seront plus favorables au transport des organismes de petite taille (Parry et al. 2015).

Ces phénomènes de dispersion atmosphérique risquent de s’accentuer en raison des changements intervenant dans le régime des vents suite aux variations climatiques (Chen et

al. 2011). Les évènements de dispersion à des altitudes plus élevées seront probablement plus

Cependant, au cours de leurs transports et de leurs installations, les populations peuvent être soumises à des goulots d’étranglement, conduisant à une réduction drastique de leurs tailles (Nei et al. 1975). Ces populations de petite taille seront plus vulnérables aux processus génétiques et démographiques, ce qui peut considérablement influencer la suite du processus d’invasion. Si la population subsiste sous ce faible effectif pendant plusieurs générations, la diversité génétique sera réduite par l’effet de la dérive génétique2. Par conséquent, la population introduite sera caractérisée par une diversité plus faible et des fréquences alléliques différentes de celles de l’aire native. La variance génétique additive3 sera aussi plus faible (Lee 2002). Cette réduction de la diversité génétique et/ou les changements induits par la dérive vont avoir un effet négatif sur l’évolution adaptative et le succès d’établissement de l’espèce (Bock et al. 2015). D’un point de vue démographique, le nombre limité d’individus fondateurs peut impacter leur survie, une population de faible densité étant soumise à de plus grands risques d’extinction en raison de l’effet Allee4 (Courchamp et al. 1999).

Toutefois, les conséquences associées au faible effectif des populations introduites peuvent être contrebalancées par le nombre d’introductions. En effet, la probabilité qu’une population s’établisse peut augmenter avec le nombre de fois et/ou le nombre d’endroits où les individus sont relâchés (Lockwood et al. 2009; Simberloff 2009). L’effet des introductions multiples dépend à la fois des caractéristiques temporelles de l’invasion, c’est-à-dire l’accumulation de matériel génétique au cours du temps par la population envahissante (Dlugosch & Parker 2008), mais aussi spatiale, l’introduction multiple à des endroits différents pouvant augmenter les chances que les individus relâchés rencontrent un environnement favorable (Duncan et al. 2014). D’un point de vue génétique, les introductions multiples peuvent avoir un effet de « secours génétique » (Carlson et al. 2014) enrichissant la diversité génétique particulièrement lorsqu’elles impliquent des populations sources différentes (Sakai et al. 2001). En effet, les individus issus de croisements entre les individus installés et les immigrants peuvent présenter un avantage sélectif. De plus, de nouvelles combinaisons génétiques absentes de l’aire native peuvent apparaitre suite à l’introduction récurrente d’allèles provenant de sources génétiquement différenciées et compenser la perte

2

Variation aléatoire, d’une génération à l’autre des fréquences alléliques dans une population. 3

Partie de la variance phénotypique pour un phénotype quantitatif qui est due aux effets additifs de tous les allèles en tous les loci.

4

Diminution de la valeur sélective (définie ici comme le nombre moyen des descendants laissés à la génération suivante par un individu) d’un individu ou du taux de croissance d’une population suite à une réduction d’effectif ou de densité.

de variance génétique additive survenue lors des évènements fondateurs (Anderson & Stebbins 1954; Bock et al. 2015).

I.2.2. Les effets de l’environnement sur le succès de l’établissement

Les caractéristiques environnementales du milieu colonisé sont un facteur déterminant du succès de l’établissement. Pour s’établir, une espèce doit parvenir à survivre aux conditions abiotiques et biotiques de son nouveau milieu.

Des environnements spatialement éloignés peuvent posséder des conditions environnementales similaires (biomes). Dans ce cas, certaines espèces sont pré-adaptées à des milieux auxquels elles n’ont pas géographiquement accès, un changement dans leur régime de migration suffit alors pour qu’elles deviennent envahissantes (Facon et al. 2006). Cette pré- adaptation au nouveau milieu peut conférer un avantage leur permettant de s’établir à partir d’un nombre réduit d’individus fondateurs et en limitant les conséquences de l’effet Allee.

A l’inverse, un régime de migration peut permettre à une espèce d’être régulièrement introduite dans des environnements dont les conditions lui sont hostiles et dans lesquels elle ne parviendra pas à s’installer. Un changement des conditions environnementales dans le milieu de destination pourra alors permettre à l’espèce de s’établir et proliférer (Facon et al. 2006). Les changements environnementaux associés aux activités anthropiques comme la modification des écosystèmes conduisant souvent à une homogénéisation des territoires ainsi que le réchauffement climatique sont d’excellents exemples de modifications de l’environnement ayant permis l’établissement d’espèces envahissantes (e.g. Gray et al. 2009).

I.2.3. L’adaptation à l’environnement colonisé

Le succès des invasions repose également sur la capacité des espèces envahissantes à s’adapter aux pressions de sélection exercées par le nouvel environnement. Une augmentation du taux de croissance et de la capacité reproductive est fréquemment observée sur le terrain notamment chez les plantes (Pandit et al. 2014). Cette amélioration de la fécondité peut contribuer à une expansion démographique et géographique rapide dans le milieu colonisé (Bock et al. 2015).

Le succès de l’établissement peut également dépendre des nouvelles interactions biologiques. Ainsi, le relâchement de la pression de bioagresseurs («enemy release») peut permettre à la population introduite de réallouer les ressources utilisées pour sa défense vers

des capacités compétitrices, ses parasites et prédateurs habituels étant absents de l’aire colonisée (Keane & Crawley 2002). L’hybridation interspécifique dans le nouvel milieu peut elle aussi agir comme un stimulus évolutif (Abbott et al. 2003; Bock et al. 2015). Lorsque cette hybridation se produit entre une espèce introduite et une espèce locale (e.g. Ayres et al. 1999; Blair & Hufbauer 2010), elle peut fournir une base génétique grâce à laquelle certains gènes de l’espèce introduite s’exprimeront plus facilement (Lee 2002; Wares et al. 2005). Enfin, la plasticité phénotypique5 peut également aider à surmonter les nouvelles conditions environnementales (Knop & Reusser 2012). Elle permet aux individus d’ajuster leurs traits d’histoire de vie aux nouvelles pressions du milieu. Les individus introduits peuvent posséder cette plasticité avant l’introduction, mais ce caractère peut également être sélectionné au sein de la population introduite au cours de l’établissement (Richards et al. 2006).

Documents relatifs