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I. La colonisation de nouveaux milieux : un processus complexe

I.1. L’étape d’introduction dans le nouveau milieu

La phase d’introduction correspond au franchissement des barrières géographiques qui limitaient initialement l’aire de répartition d’une espèce (Richardson et al. 2000). Cette phase est décrite comme étant la plus importante car elle est difficile à réaliser et représente une très bonne cible pour les mesures de gestion (Mack 2000). De ce fait, l’étude des facteurs favorisant le succès d’introduction aux différentes étapes que sont le prélèvement, le transport puis le relâchement des individus dans le nouveau milieu est primordial. Entre autre, le transport d’une population depuis son aire d’origine vers un nouvel environnement requiert une stratégie de dispersion adaptée. La dispersion est un facteur clef du succès de l’invasion en permettant l’introduction d’individus dans de nouveaux environnements et en contribuant à la dynamique des populations installées (Kokko & López-Sepulcre 2006). Les espèces se dispersent en utilisant différents modes de dispersion : naturelle ou anthropique, et sur de courtes ou longues distances.

I.1.1. Les modèles de dispersion

Un des modèles de dispersion les plus simples est une diffusion graduelle par laquelle les individus se déplacent en continu à la limite de l’aire de distribution de l’espèce (Wilson et

al. 2009). Ce mode de dispersion nécessite le maintien d’une connexion physique étroite entre

le milieu d’origine et le milieu nouvellement colonisé. C’est ce type de dispersion que l’on observe dans la recolonisation des milieux après les périodes glaciaires (e.g. François et al. 2008; García-Marín et al. 1999). Les individus peuvent également atteindre et coloniser de nouveaux milieux en se déplaçant via des couloirs qui connectent physiquement l’aire native et le milieu colonisé (Wilson et al. 2009). On peut citer en exemple l’ouverture du canal de Suez qui a permis le passage de la crevette tigrée Marsupenaeus japonicus, originaire de la Mer rouge, vers la Méditerranée (Galil 2007).

Si un nouvel habitat potentiellement favorable à l’espèce est éloigné de l’aire de répartition native, une dispersion à longue distance est nécessaire. Wilson et al. (2009) ont décrit deux grandes catégories de dispersions à longue distance se différenciant par la présence ou l’absence de flux géniques entre l’aire native et colonisée. Les dispersions à longue distance sont considérées comme des évènements rares et stochastiques, dont il est difficile de quantifier la fréquence et les distances moyennes (Nathan et al. 2003, Nathan et

al. 2008).

I.1.2. Les déplacements naturels et ceux liés aux activités humaines

Si la dispersion naturelle active par la nage, la marche, ou le vol se fait le plus souvent sur de courtes distances, la dispersion passive via les vents ou les courants marins contribue au déplacement depuis les zones natives des espèces à la fois sur de courtes et sur de longues distances (Gillespie et al. 2012). La dispersion par le vent est un trait important pour un certain nombre d’insectes (Encadré 2). Les oiseaux constituent aussi un moyen de dispersion efficace pour les plantes et pour un certain nombre d’espèces d’arthropodes (Green & Figuerola 2005; Reynolds et al. 2015; Scott et al. 2001)

La dispersion en relation avec les activités humaines serait le principal vecteur d’introduction d’espèces non-natives dans de nouveaux milieux (Lockwood et al. 2013). En effet, en colonisant l’ensemble de la planète et en développant ses moyens de transports, les populations humaines ont contribué au transport de nombreuses espèces (Hulme et al. 2008;

Wilson et al. 2009). Ces dispersions à grande échelle spatiale peuvent être classées en introduction intentionnelle ou accidentelle.

L’introduction intentionnelle d’espèces non-natives, c’est-à-dire le déplacement d’organismes dans une nouvelle zone avec une finalité, est très ancienne et a largement accompagné le développement des civilisations (Wilson et al. 2009). Lors de ses migrations, les populations humaines ont prélevé de leur milieu d’origine des espèces animales ou végétales, notamment celles servant à l’alimentation, pour les amener avec elles. On peut citer le cas de la pomme de terre, Solanum tuberosum, originaire de la Cordillère des Andes aujourd’hui cultivée partout dans le monde (Spooner et al. 2005). Le développement de la lutte biologique contre des organismes nuisibles est également à l’origine d’introductions volontaires. Largement développée au cours du XXe siècle, elle consiste à introduire un ennemi naturel d’un nuisible ou d’un ravageur pour réduire ses effectifs et donc les dommages causés par celui-ci (Hoddle 2004). La coccinelle asiatique aphidiphage, Harmonia

axyridis, originaire de Chine a ainsi été importée en Amérique du Nord au début du 20ème

siècle puis en Europe dans les années 80 afin de lutter contre les pucerons (Berkvens et al. 2010).

Par opposition, l’introduction accidentelle est le déplacement d’espèces non-natives de manière involontaire, sans finalité, et en lien avec les activités humaines (Hulme et al. 2008). Ce type d’introduction date des premières migrations humaines transcontinentales comme l’illustre la dispersion du rat du Pacifique, Rattus exulans, qui a suivi les mouvements humains lors de la colonisation de la Polynésie (Matisoo-Smith et al. 1998). Ce phénomène a connu une augmentation significative au cours des deux derniers siècles suite à l’intensification des échanges commerciaux et l’amélioration des modes de transport (Tatem & Hay 2007). Des exemples existent d’organismes dispersés à l’échelle intercontinentale via les eaux de ballasts des navires (Ruiz et al. 2000) ou les soutes d’avions (Tatem & Hay 2007).

I.1.3. Les facteurs contribuant au succès de transport

Certaines caractéristiques peuvent augmenter ou nuire au succès d’introduction au moment du transport. Les disséminations peuvent être influencées par le degré d’affinité des espèces avec les populations humaines. Ainsi, les espèces adaptées aux milieux anthropisés sont plus enclines à être prélevées et dispersées hors de leur aire d’origine (Hufbauer et al. 2012). A titre d’exemple, la distribution cosmopolite de certains rongeurs tel que le rat noir

Rattus rattus, est liée à leur affinité avec les milieux anthropisés. Originaire de la péninsule

indienne, ce rongeur a profité des migrations humaines au cours des siècles pour coloniser l’ensemble des continents (Morand et al. 2015). Par ailleurs, l’abondance de l’espèce dans son aire d’origine (Hulme 2009), l’étendue de cette aire, et/ou sa localisation (par exemple, proche d’une plaque tournante de transport) (e.g. Tatem & Hay 2007) sont des facteurs contribuant au succès d’introduction. Enfin, une fois prélevées, toutes les espèces ne sont pas adaptées à un transport sur de longues distances ou de longue durée, dont les conditions abiotiques et biotiques (température, humidité, ressources alimentaires) sont souvent peu favorables. La capacité des œufs de certaines espèces de moustiques à supporter la dessiccation leurs permet de survivre pendant les phases de transport longues (Panov et al. 2004).

Une fois les barrières franchies et les migrants relâchés dans le nouvel environnement, les nouveaux arrivants doivent s’y acclimater et s’y installer.

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