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La structure polyvalente du cégep

Dans le document Le processus de "warming up" (Page 149-163)

Chapitre 5: Les intentions

5.4 La structure polyvalente du cégep

Dans la problématique, nous avions émis l’hypothèse que le cégep permettait de corriger les erreurs de choix prématurés que le secondaire impose aux jeunes en bas âge et que la cohabitation des secteurs général et professionnel était un atout important dans la poursuite d’études universitaires pour des étudiants, qui intialement, envisageaient leurs études professionnelles comme des études terminales. Dans ce chapitre, nous essaierons de vérifier cette proposition. A partir de l'analyse de contenu des entrevues, nous analyserons certaines données qui devraient nous permettre de conclure, qu'effectivement, la structure du cégep, est une condition nécessaire mais non essentielle, au processus de "warming up".

Avant d'aborder l'analyse des résulats sur la contribution du cégep dans le processus de "warming up", des aspirations scolaires et professionnelles des jeunes inscrits au secteur professionnel, nous aimerions rappeler au lecteur les considérations suivantes.

Dans la problématique alors que nous comparions la fonction de "cooling out" attribuée par Clark au "junior college" américain, et la fonction de "warming up" des cégeps, nous avons insisté sur le fait que le processus de refroidissement des aspirations est un mécanisme de sélection institutionnalisé alors que le processus de "warming up" est un processus individuel. Dans le premier cas, c'est l'institution qui prend en charge les étudiants qui éprouvent des difficultés scolaires, alors que dans le second cas, tel que nous l'avons démontré jusqu’à présent , c’est l'acteur social, qui suite à certains facteurs décide de se réorienter vers une formation générale conduisant à l'université. Les résultats qui vont suivre s'insèrent dans cette dynamique. Cette thèse n'a pas comme objectif principal de démontrer de quelle façon la structure polyvalente contribue au processus de "warming up". Ceci dit, la structure polyvalente, comme nous le verrons à l'instant favorise jusqu’à un certain point le processus de "warming up", cependant, c'est l’étudiant qui est à la base de sa décision.

Aussi, nous tenterons de répondre à la question suivante: comment le cégep favorise-t-il le processus de "warming up"? Nous avons identifié trois caractéristiques ou objectifs du cégep qui contribuent positivement à la réorientation d'un étudiant: le rôle

attribué à l’aide pédagogique, l'organisation pédagogique comme telle et la souplesse de la structure.

5.4.2 L’aide pédagogique

Tout collégien qui désire apporter des changements dans son programme initial, qui désire changer d'orientation ou se faire créditer un ou plusieurs cours, doit aller rencontrer un aide pédagogique. C'est à l'aide pédagogique que revient le pouvoir de modifier un horaire de cours, de remplacer un cours par un autre, de créditer certains cours et ainsi de suite. Bien entendu son pouvoir est limité par des contraintes structurelles. Au début de cette recherche, nous pensions que l’aide pédagogique jouait un rôle important dans le déroulement du processus de "warming up". Force nous est de constater qu'il ne joue qu'un rôle secondaire puisque les étudiants vont le rencontrer une fois prise leur décision de poursuivre leurs études à l'université. Cependant, même si l'aide pédagogique n’apparaît que très tard dans le processus, nous pouvons dire qu'il favorise jusqu’à un certain point la réorientation de l’étudiant puisqu'il accepte de modifier son horaire et de lui faciliter la tâche en lui donnant quelques trucs. De plus, et cela est au moins aussi essentiel, il n’a pas essayé de dissuader les jeunes qui sont allés le rencontrer. Les citations qui suivent parlent d'elles-mêmes:

"Oui ben, c'est l'aide pédagogique surtout là Paul-André. Ca été surtout de savoir quels cours qui s'donnaient à quel temps, faire créditer la majorité de mon cours de physique (René)".

"J'suis allé voir l'aide pédagogique pour qu'y puisse m'aider à finir le plus vite possible ma technique pis mes sciences. Là y m'conseillait de prendre des cours faciles l'été pis rajouter des cours aux sessions pis lesquels prendre (François)".

Bien entendu, l'aide pédagogique peut modifier des cours ou un horaire parce que la structure le permet d’une quelconque façon. Un étudiant inscrit au secteur professionnel ne pourrait pas suivre un cours de la concentration du secteur général si le cégep n'offrait pas les deux formations dans le même établissement scolaire. La notion même de polyvalence est inscrite au coeur des structures pédagogiques du réseau collégial et par le fait même constitue un concept clé pour saisir la dynamique du processus à l'étude ici. Dans la prochaine partie, nous verrons donc comment l'organisation pédagogique qui découle du principe de la polyvalence contribue au processus de "warming up".

5.4.3 L'organisation pédagogique

En premier lieu, nous constatons que l'organisation pédagogique collégiale rend possible la rencontre d'étudiants de secteurs différents puisqu'il est prévu des cours communs obligatoires pour les cégépiens du secteur professionnel et du secteur général. Ces cours obligatoires pour tous sont les cours de philosophie, français et éducation physique. Ce ne sont pas les seuls cours à regrouper dans une même classe les étudiants des diverses formations. En effet, certains cours comme les mathématiques sont communs à plusieurs disciplines, quelles soient générales ou professionnelles. Cette

cohabitation des deux secteurs a entre autre déclenché, comme nous l'avons mentionné dans la section précédente, chez certains interviewés, une remise en question de leurs aspirations scolaire et professionnelle. Le fait de suivre des cours avec des futurs universitaires leur a permis de se comparer à ces étudiants et de réaliser qu'ils avaient autant de potentiel que ces derniers et qu'eux aussi pourraient bien aller à l’université. De plus, chez certaines personnes s’est développé le sentiment d'appartenir à des sections dont les chances de vie sont différentes de même que leur composition sociale. Les paragraphes qui suivent porteront sur ces deux constatations.

Pour certains étudiants, la prise de conscience de leurs capacités scolaires s'est développée à travers la comparaison avec des étudiants inscrits au secteur général. Les citations suivantes illustrent bien ce phénomène.

"Pis là j'Ies voyais du monde de sciences pures. J'avais des notes plus hautes qu'eux autres, j'sus pas plus fou qu'eux autres (François)".

"Par exemple, en maths, j'ai toujours été bonne là-dedans, je dépannais les gens en calcul intégral pis c'était des gens qui étaient en sciences pis moi j'étais en technique. Y disaient: comment ça se fait que tu t'en viens pas en sciences, t'es meilleure que nous autres en maths, pis tu nous dépannes (Louise)".

Dans certains cas, des jeunes se sont découverts un goût pour les disciplines plus académiques grâce aux cours obligatoires en formation fondamentale. Pour Marie qui étudiait en techniques

infirmières, ces cours axés sur la formation générale et plus particulièrement la philosophie, ont été une révélation:

"J’étais bien dans les cours de philo, français où j'étais avec des gens du secteur général. Ce qui m'tannait c'était l'attitude des étudiants de technique vis-à-vis ces cours-là. Moi ça m'intéressait pis eux autres y disaient qu'est-ce que tu veux que j'aille faire là en philo, une mentalité...Moi j'avais la mentalité des gens au général (Marie)".

Inspirée du rapport Parent, la mise sur pied de l'enseignement professionnel avait comme objectif non seulement de favoriser le contact entre les étudiants des secteurs professionnel et général, mais aussi d'assurer le développement global des étudiants des programmes professionnels en les exposant à un univers moins étroit que celui de leur seule spécialité professionnelle. Les citations qui précèdent nous porte à croire que cet objectif visé par la réforme de l’éducation a été en quelque sorte atteint.

Le sentiment des jeunes face au fait d'appartenir à une section dont les chances de vie et la composition sociale sont différentes apparaît aussi très clairement dans les propos de quelques interviewés. C'est du moins, ce que nous a permis de trouver l’analyse de contenu de leurs réponses.

"Ceux là qui étaient en sciences ont toujours été à part des techniques. On dirait que ceux qui faisaient les techniques c'étaient les plus pauvres. Ceux-là que c'étaient eux autres qui payaient leurs études en fin de compte ... On dirait qu'y sont

parce qui vont être longtemps à l'école. Ceux en techniques y'ont déjà le marché du travail en tête (Danielle)".

"Là j'ai des cours avec du monde de sciences pures présentement pis moi en génie civil ça toujours été le fun là- dedans, mais on a tout le temps travaillé, on était coopératifs. On dirait qu'on venait tout le temps du même milieu, on avait pas de snobs. Tout le monde était habillé ordinaire. J'trouve qu'y a une nette démarcation. Pis j'trouve que le monde est pas sociable (Stéphane)".

La commission Parent, tel que nous l'avons mentionné dans la problématique désirait briser le cloisonnement des institutions tel qu’il existait alors et éviter de consacrer physiquement les distinctions sociales qui inévitablement s'instaurent entre les clientèles des différents programmes. Comme nous avons pu le constater dans les entretiens, la seule cohabitation n’a apparamment pas suffit à régler tous les problèmes de distinction sociale puisque les jeunes perçoivent des différences entre les étudiants inscrits au secteur professionnel et au secteur général. Elle n'a pas non plus comme effet de décourager ou de démotiver les étudiants désirant poursuivre des études universitaires. A la limite, nous pourrions même dire que les étudiants inscrits au secteur professionnel qui proviennent d'un milieu économique désavantagé sont stimulés par les étudiants du secteur général qu'ils côtoient en ce sens qu’ils se comparent à eux au niveau scolaire et par conséquent prennent conscience qu'ils ont autant, sinon plus de potentiel que les étudiants inscrits en formation générale. Ils réalisent tout à coup qu'ils peuvent

avoir accès au même niveau de vie s'ils poursuivent des études universitaires et occuper un poste de professionnel. Tout se passe comme si le fait de voir et de parler à des futurs universitaires démystifie l’université chez quelques jeunes inscrits en formation professionnelle. Leur univers se modifie et l'université apparaît comme un possible alors que, comme nous l'avons démontré dans le chapitre sur les facteurs expliquant le choix du secteur professionnel, l’étudiant ne possédait aucune information sur l'université et ne connaissait même personne qui étudiait à l’université.

Dans la problématique, nous avons développé l'idée qu'au Québec le système scolaire n'est pas étanche et qu'un jeune orienté dans une filière qui ne correspond pas à ses goûts et à ses intérêts peut changer d’idée et se réorienter dans un autre programme. Bien entendu il existe des contraintes et des limites à cette liberté. Nous avions alors émis l’hypothèse selon laquelle le cégep permettait de corriger les erreurs de choix prématurés que le secondaire impose aux jeunes en bas âge. La souplesse de la structure scolaire au niveau collégial et la non-étanchéité entre les différents programmes et secteurs rend possible le "warming up". Plusieurs études qui ont porté sur ce niveau d'enseignement ont effectivement démontré que les jeunes cégépiens changeaient beaucoup d’orientation, surtout après une session. Cette possibilité de transférer d'un secteur à l'autre est inscrite dans la structure du cégep, même que la cohabitation prévoyait les transferts. Conscients que des jeunes de 17 ans ne sont pas tout à fait convaincus de leur orientation scolaire et professionnelle, les concepteurs de la réforme ont conçu un

programme qui permet une réorientation. A cet effet, on peut lire dans le rapport Parent: "pour que soit réussie cette phase d'orientation, il faut que le programme d’étude s'y prête. C’est là une autre raison pour éviter les sectionnements rigides et donner à ce niveau d'études toute la souplesse requise par un large système d’options (Rapport Parent, 1960 tome 2, para.272)". Des données inédites de la DGEC montrent que pour la cohorte des étudiants de 1980 seulement 45% ont obtenu leur diplôme dans le programme où ils étaient initialement inscrits. Ces transferts de secteur diminuent ce qui auraient été autrement des abandons.

5.4.4 Souplesse de la structure

Plusieurs indices nous permettent de constater la souplesse de la structure et sa contribution au processus de "Warming up": le fait qu'un étudiant puisse carrément changer d’orientation soit en transférant d’un secteur à l’autre , soit en se réorientant vers un autre programme; le fait qu'un étudiant impliqué dans le processus de "warming up" puisse simultanément suivre des cours de sa concentration professionnelle et les cours supplémentaires qu'il doit suivre pour être admissible à l'université; la possibilité d’aménager son horaire en tenant compte de la difficulté des cours, par exemple, certains étudiants décident souvent de suivre plus de cours prévus dans une session en s’inscrivant à plusieurs cours faciles afin d'être en mesure de se concentrer sur les cours plus difficiles en en prenant moins et le centre de documentation scolaire et professionnelle qui

contient beaucoup d'information sur les programmes offerts à l’université alors que nous pouvons facilement imaginer qu'un centre d'information scolaire d'un institut qui n'offrirait que la formation professionnelle contiendrait surtout de l'information sur les métiers techniques. Enfin, une bonne proportion des interviewés estime qu’elle n’aurait pas investi d’effort dans la récupération en vue d'études universitaires si les facilités énumérées précédemment n'avaient pas existé.

Il ressort de cette analyse que la notion même de polyvalence est inscrite au coeur des structures pédagogiques du niveau collégial et constitue un concept important pour saisir la dynamique du processus de "warming up". Ne serait-ce que par la polyvalence, le cégep a ainsi permis aux interviewés de poursuivre des études post­ secondaires. Ceux qui au cours de leurs études secondaires, comme nous l'avons vu pouvaient continuer mais ne voulaient pas ou ne pouvaient pas poursuivre des études universitaires que ce soit par manque de ressources économiques et/ou culturelles, par manque de confiance en soi, par manque d'intérêt pour une formation trop académique etc.

Dans ce second chapitre de l’analyse des résultats, nous avons répondu à la question suivante: comment expliquer qu'une personne engagée dans la trajectoire professionnelle devant la conduire directement sur le marché du travail change d'idée et décide de modifier ses aspirations scolaires et professionnelles en se

réorientant vers des études universitaires. Pour ce faire, nous avons regroupés en quatre catégories les facteurs qui expliquent le processus de "warming up" soient: 1) les considérations professionnelles; 2) les considérations académiques; 3) l’influence du groupe primaire; 4) la structure polyvalente du cégep.

Une très forte proportion des interviewés ont invoqué des considérations professionnelles pour motiver leur décision de poursuivre des études universitaires. Les personnes qui composent ce groupe, qu'elles aient ou non une expérience du marché du travail ont exprimé les aspirations professionnelles suivantes: un bon revenu, des responsabilités et de l'autonomie, de bonnes conditions de travail et un meilleur statut social. Pour une bonne part des interviewés, leurs attentes à l'égard de l'emploi dépassent toujours le strict cadre de l’embauche et du revenu puisqu'en évoquant l'emploi, ils parlent en même temps de qualité de vie. L'aspect crédibilité est aussi revenu dans les entrevues. Plusieurs ont exprimé les problèmes qu'ils rencontraient auprès de leur employeur ou de leurs confrères de travail parce qu'ils ne détenaient pas de diplôme universitaire.

En ce qui concerne les considérations psycho-académiques, nous avons vérifié une de nos propositions de départ selon laquelle de très bons résultats scolaires au cégep permettent aux interviewés de rehausser leurs aspirations scolaires et professionnelles. Dans le premier chapitre consacré à la présentation des résultats, nous avons

constaté que plusieurs étudiants avaient d'abord opté pour le secteur professionnel collégial parce qu'ils s'évaluaient incapable de réussir un cours universitaire. Au même titre que leurs résultats scolaires et la confiance en soi qui en découle ont motivé leur décision de s'orienter vers une formation professionnelle, les très bons résultats scolaires obtenus au collégial leur ont redonné confiance en eux- mêmes et en leurs capacités d'entreprendre des études universitaires. Comme nous l'avions alors fait remarquer, les multiples travaux effectués dans le domaine de l'estime de soi s’accordent sur un schéma général: la réussite dans une tâche proposée élève le niveau d’aspiration et par le fait même la confiance en soi. Ce changement de situation qui est de passer de faible à moyen à très fort est une circonstance qui contribue à leur faire entrevoir l’université à leur portée. Les jeunes qui composent ce groupe constatent que lorsqu'ils sont motivés et qu’ils ont de l'intérêt pour une matière, ils performent très bien.

Un autre groupe est composé d'étudiants qui avaient choisi le secteur professionnel parce qu'ils désiraient avoir un emploi manuel ont soudain pris conscience de leurs intérêts pour une formation plus théorique. Cette prise de conscience s'est souvent produite à l'intérieur d'un stage ou dans le cadre d'un cours.

Dans les entretiens, on constate également une motivation très forte face à l’école, motivation qui était souvent absente au niveau secondaire alors que pour plusieurs l'école était perçue comme déconnectée de la réalité et du marché du travail qu’ils désiraient

intégrer le plus vite possible. Pour la moitié environ des personnes de l’échantillon, cette motivation face à l’école explique en partie, leur décision de prolonger leurs études ou d’abandonner un travail régulier pour se diriger vers des études universitaires. Bien plus que leur motivation pour l'école, plusieurs jeunes perçoivent que les universitaires sont des gens plus ouverts, ouverture d’esprit à laquelle ils disent aspirer.

Pour une forte proportion d'interviewés, l'influence d’une personne a été déterminante dans leur décision de poursuivre des études universitaires. Cette personne comme nous l'avons démontré dans le chapitre précédent est soit: un membre de la famille, un ami, un conjoint, un professeur et/ou un employeur. Aux dires de plusieurs interviewés, l'idée de faire une demande d’admission à l’université ne les aurait jamais effleurée si un membre de leur entourage ne leur avait pas conseillé. Cette constatation confirme une de nos propositions de départ à l'effet que c’est souvent par contacts que les personnes décident de rehausser leurs aspirations scolaires et professionnelles.

Nous avons également constater que quelques étudiants ont été incités à se réorienter vers un programme universitaire par des professeurs. Dans quelques cas cet encouragement professoral a été déterminant. Il est intéressant de noter ici que les professeurs qui encouragent les étudiants du secteur technique à poursuivre leur formation à l'université ont suivi la même trajectoire étant jeune:

une formation technique doublée d'une formation universitaire. Dans une recherche ultérieure, il serait intéressant d’interviewer les professeurs.

Notre proposition de départ selon laquelle le cégep permet de corriger les erreurs de choix prématurés que le secondaire impose aux jeunes en bas âge et que la cohabitation des secteurs général et professionnel est un atout important dans la poursuite d'études universitaires pour des étudiants, qui initialement, envisageaient leurs études professionnelles comme des études terminales n'a été confirmée qu'en partie. Lors du processus de 'Warming up", c'est l'étudiant, en tant qu'acteur social, qui suite à certains facteurs psycho-sociologiques décident de se réorienter. La structure

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