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L’affirmation des opérateurs dans la gestion de l’accueil accentue les dissensions au sein du monde associatif : à la différenciation des discours au cours des années 1990 succède une différenciation des fonctions des associations au sein du Dispositif National d’Accueil, qui consomme la rupture du monde associatif.

1. L’éclatement des structures inter-associatives

En 1999, la Coordination réfugiés est dissoute : cela visait dans un premier temps à refonder la représentativité du monde associatif en intégrant les associations de défense des étrangers non-opératrices. Cette période correspond également à la différenciation des structures, comme on vient de le voir, qui fait littéralement « exploser »139 l’action inter-associative, signe de la rupture entre associations dites « contestataires » et opérateurs. La répartition des rôles des associations gestionnaires au sein de la Coordination réfugiés se trouve en effet troublée par l’affirmation des opérateurs. Ainsi « ce partage a été remis en cause, surtout par une politique un peu agressive de France Terre d’Asile qui voulait faire des cours de français dans les CADA, sans demander son avis à la Cimade »140. Pour France Terre d’Asile, c’est bien, là aussi, la différenciation des fonctions au sein du DNA qui a généré cette division : « à partir du moment où la Coordination a fait rentrer un certain nombre d’associations qui ont certes un intérêt à défendre le droit d’asile, mais qui ne gèrent pas de structures, évidemment vous avez eu des postures extrêmement différentes qui

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Entretiens 3 et 4.

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ont été prises à l’intérieur, et du coup ça a amené beaucoup de distanciation dans ce secteur »141. En revanche, la remise en cause de la participation à des collectifs inter- associatifs ne repose pas seulement sur les liens de conventionnement qui associent l’Etat et les associations. Lors de la création de la CFDA, FTDA et Forum réfugiés, mais aussi le SSAE et la Cimade ont exercé une mission de service public.

Plus largement, la remise en cause de la coordination inter-associative reflète les postures idéologiques qui sont prises en son sein, et certaines associations cherchent à s’éloigner de discours qui pourraient compromettre leurs relations avec les pouvoirs publics : « quand vous avez la responsabilité chaque jour de 5 000 personnes qui sont dans vos structures vous ne dites pas la même chose, ou vous ne le dites pas de la même manière que si vous n’avez que votre propre parole à gérer, et donc évidemment cette gestion là a été rendue très difficile »142.

Ces différences de point de vue aboutissent à la mise en retrait de France Terre d’Asile et de Forum Réfugiés dès la création de la Coordination pour le Droit d’Asile (CDA) puis de la Coordination Française pour le Droit d’Asile, malgré leur adhésion initiale, qui y pratiquent aujourd’hui la politique de la « chaise vide ».

2. Des pratiques contestées

La participation de certaines associations à la mise en œuvre de la politique d’accueil participe toutefois à l’affaiblissement de la mission qu’elle s’est donnée, comme Forum Réfugiés, d’entreprise contestataire. Il devient plus difficile de dénoncer un dispositif qu’elles contribuent elles-mêmes à mettre en œuvre. Comme le relève Pierre Lascoumes, « s’il s’agit de développer la participation et la concertation avec ces groupements, c’est moins pour reconnaître leur capacité de réflexion et d’innovation que pour éviter les difficultés et les affrontements régulièrement suscités par les décisions publiques »143.

Au-delà d’un affaiblissement de la parole contestataire relevé par de la part des associations opératrices relevé par Jérôme Valluy144, c’est bien leur participation inconditionnelle à la politique publique que mettent en cause les associations 141 Entretien n°4. 142 Ibidem. 143

Pierre Lascoumes, 1994, L’éco-pouvoir, environnements et politiques, La Découverte, Paris, 324 p.

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militantes. « Les associations de défense des droits des étrangers remettent en cause la gestion de la population accueillie par Forum Réfugiés […] qui n’hésite pas à expulser des centres les déboutés de l’asile »145. Là où la Cimade n’hésite pas à refuser de coopérer avec les pouvoirs publics pour la gestion de son CPH, d’autres feraient preuve d’une certaine passivité à l’égard des directives qui leur sont données. « On rencontre [Coallia] pour essayer de comprendre cette logique, en leur demandant "comment ça se fait que vous êtes signataires de positions critiques, et sur le terrain vos positions de principes sont complètement démenties par vos pratiques ?" […]. Je pense qu’il y a un peu aussi une absence de volonté »146

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3. l’épisode de la rétention, un climat de tensions extrêmes

Un autre événement clivant dans les relations entre associations a été le passage de l’attribution du marché de la rétention de l’appel à projet à l’appel d’offre. Depuis 1985, la Cimade exerce seule une présence dans les centres de rétention administrative. A partir de 2002, sous l’effet de la construction européenne, l’attribution des financements doit relever d’un appel d’offre, qui reste au bénéfice de la Cimade jusqu’en 2008. Le nombre de places en centres de rétention augmente brusquement, et la Cimade peine à anticiper notamment avec la construction du CRA du Mesnil-Amelot. L’activité de la Cimade en rétention est remise en cause et soumise en 2008 à un marché public, auquel candidatent notamment France Terre d’Asile et Forum Réfugiés « avec en plus une certaine agressivité de Forum, et de FTDA qui manifestait sa solidarité avec la Cimade avant de postuler […]. Donc il y avait beaucoup d’agressivité avec eux, le Collectif Respect,… Il y a eu plusieurs phases, beaucoup de contentieux »147. « j’ai pensé que la Cimade faisait une erreur en se comportant comme elle l’a fait, en choisissant ses partenaires »148, « on a été très attaqués »149,… Tous constatent la dégradation des relations entre les associations à cette période, même si le conflit semble s’être résorbé depuis.

145 M. Santamaria, 2002, op.cit., p. 93. 146 Entretien n°1. 147 Entretien n°3. 148 Entretien n°4. 149 Entretien n°2.