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Chapitre 3 : Une étude qualitative en contexte transculturel

3.3 La Recherche dans un contexte transculturel

Notre recherche-action se déploie sur un terrain transculturel: elle nous invite donc à penser la différence culturelle en l'intégrant au cœur de notre démarche et du cadre méthodologique élaboré à cet effet.

En soi, la rencontre avec les jeunes isolés étrangers obéit à cet impératif, puisque la co-construction du lien suppose de placer les sujets de notre recherche dans une position d'expert:

nous leur indiquons dès l'entame du premier entretien que leur participation est susceptible de

nous aider à améliorer notre prise en charge des jeunes isolés étrangers et que nous leur serons redevables de ce qu'ils nous auront transmis à travers leur expérience. L'échange amorcé, rendu possible par l'efficacité symbolique de la culture (croyance, mythes, rites), se place donc comme le fondement même de ce qui se joue dans la relation sociale dans toutes les sociétés: il obéit à la contrainte de l'échange qu'est le Don (et le Contre-Don) théorisé par Marcel Mauss dans son célèbre Essai sur le don (Mauss, 1930).

La rigueur méthodologique nécessaire à l'établissement d'une telle relation, qui suppose

"l'utilisation de leviers culturels" comme "potentialisateurs de récits, de transfert ou d'affects"

(Baubet et Moro, 2013), nous amène à adopter une perspective complémentariste. A la suite de Georges Devereux, la rigueur complémentariste ne s'assujetti pas à une théorie en particulier, mais les coordonne (Devereux, 1972) entre l'anthropologie et la psychanalyse (l'ethnopsychanalyse).

La perspective complémentariste considère l'articulation entre:

- l'universalité psychique: une universalité "de fonctionnement, de processus", "structurelle et de fait" (Moro, 2011)

- le codage culturel: qui définit un "rapport au monde, à travers nos systèmes d'interprétation et de construction de sens" auquel n'échappe pas la maladie.

Autrement dit, le complémentarisme permet d'embrasser d'un même regard le statut et le sens de l'Homme face à l'expérience en développant "un double discours obligatoire et non simultané" (Devereux, 1972) en statuant que "si tout Homme tend vers l'universel, il y tend par le particulier de sa culture d'appartenance" (Baubet et Moro, 2013). Le chercheur et le clinicien doivent pour ce faire adopter une position de décentrage.

Par ailleurs, l'accès aux représentations du jeune isolé étranger nécessite, outre le décentrage, un accès à la langue et à la compréhension des aspects culturels qui les sous-tendent. Le dispositif accorde une place centrale au médiateur culturel, un interprète du même groupe culturel que le jeune isolé étranger (et qui a généralement suivi une formation en ce sens).

Fort d'une "connaissance culturelle partagée" (Baubet et Moro, 2013), l'interprète-médiateur est ainsi autorisé à interagir avec le jeune lorsqu'il estime nécessaire de reformuler ses questions, expliciter des implicites culturels. Il amène des éclairages aux chercheurs et à l'éducateur référent sur des aspects culturellement codés évoqués lors des entretiens. Enfin, étant lui-même porteur d'une expérience de migration et d'acculturation, il entre en

résonnance avec l'expérience du jeune qui se sent parfois même porté et soutenu lors de l'élaboration de son récit, et matérialise la prise en compte de la parole du jeune, instaurant une relation de relative confiance entre les différents intervenants du dispositif.

Au-delà du décentrage, le chercheur ne peut se départir d'un nécessaire caractère réflexif de sa position comme être culturel à part entière vis à vis des éléments culturels apportés par le jeune: il doit ménager une place à l'analyse de son contre-transfert culturel.

Devereux donne au contre-transfert une place centrale comme "donnée la plus cruciale de toute science du comportement" (Devereux, 1967), établissant que "ce n'est pas l'étude du sujet, mais celle de l'observateur, qui nous donne accès à l'essence même de la situation d'observation".

L'érigeant en tête de pont de la nécessaire prise en compte de la subjectivité du chercheur comme part intégrante de la recherche, il dévoile ainsi, avec le contre-transfert, une partie immergée par le chercheur lui-même par souci d'objectivation, bien qu'elle soit présente dans toutes les étapes de la recherche, et qu'il propose par conséquent d'utiliser comme un instrument.

Cette prise en compte du contre-transfert l'amène non seulement à analyser la dimension affective communément admise, mais aussi à laisser émerger une dimension culturelle, prônant la prise en compte de la somme des réaction conscientes ou inconscientes du chercheur par rapport à son objet de recherche.

Le contre-transfert culturel, dont l'étude a donc été rendue possible par Devereux, acquière une place primordiale dans toute situation interculturelle. Nathan (1989) le définit dans son sens large comme "l'ensemble des réactions d'un homme qui rencontre un autre homme d'une autre culture et entre en relation avec lui". Moro (1994) le précise dans son aspect clinique, estimant que celui-ci est la manière dont le thérapeute se positionne intérieurement par rapport aux "dires et aux faits codés par la culture du patient".

Dans le cadre de notre recherche-action, l'analyse du contre-transfert culturel se trouve donc intimement lié au cadre même de la recherche, que ce soit après chaque entretien de recherche (avec les autres chercheurs et le médiateur culturel) ou bien lors supervisions régulières. En effet, outre sa nature interculturelle, le contre-transfert se trouve impacté par le contexte dans lequel la recherche a fait sens, l'altérité "crue" et la fascination suscitées par l'objet de la recherche, le dispositif de la recherche qui met en relation non seulement le jeune avec le

chercheur, mais aussi le médiateur culturel et les chercheurs entre eux, ainsi que les différents temps de la recherche (trois entretiens qui scandent la rencontre: son inscription, sa matérialisation, son aboutissement).