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L'outil principal qui nous permet d'appréhender la représentation du temps du jeune est le Circle Test.

Le Circle Test

Le Circle test (CT) traite de la relation entre le passé, le présent et le futur telle qu'elle est subjectivement perçue par le sujet (Cottle, 1976). Il s'agit d'une technique projective permettant de mettre en évidence l'expérience subjective du sujet au temps. Conçue par Cottle (1967), elle permet de décrire la conceptualisation spatiale du temps à travers deux variables majeures:

- Le temps dominant qui permet de caractériser l'importance de chacune des "sphères" du temps

- Le temps apparenté qui permet d'étudier les rapports existants ou les interconnexions entre les différents temps

Ce test permet de mesurer la perspective du temps selon une technique graphique et projective de type circulaire. Elle s'apparente à une procédure à réponse contrainte, donc elle se situe à l'intermédiaire (entre les réponses ouvertes et fermées), permettant des réponses libres mais dont les dimensions sont déterminées à priori. Le circle test utilisé lors de la recherche est quant à lui soucieux de donner au sujet la possibilité de commenter son dessin, donc d'ajouter une réponse ouverte au circle test réalisé.

Le circle test se situe ainsi dans une perspective de changement possible de la perception du temps par le sujet, ainsi que d'une meilleur compréhension de cette perception par son éducateur référent. Un changement rendu possible par l'évolution supposée de la situation du sujet au cours de l'étude.

Passation du Circle Test:

On demande au sujet de dessiner 3 cercles de tailles variables, représentant le passé, le présent et le futur selon la consigne énoncée par Cottle. Les cercles doivent être agencés dans l’espace d’une feuille blanche de sorte à ce que leur disposition soit représentative au mieux du lien que fait le jeune entre les 3 temps. Il doit marquer sur chaque cercle quel temps celui-ci correspond. Il lui est par ailleurs demandé de commenter, s'il le souhaite, le test réalisé. Le participant reçoit la consigne suivante :

"Représentez-vous le passé, le présent et le futur sous la forme de cercles. Dessinez trois cercles en utilisant l'espace de la feuille blanche, afin de représenter le passé, le présent et le futur. Placez-les de manière à ce qu'elles représentent au mieux comment vous ressentez les relations entre le passé, le présent et le futur. Vous pouvez utiliser des cercles de différentes

tailles. Quand vous aurez fini, inscrivez pour chacun des cercles lequel représente le passé, lequel représente le présent, et lequel représente le futur"

Un cercle test a été réalisé par le jeune au début du premier entretien, puis au cours du troisième entretien, afin non seulement d'avoir une mesure instantanée de sa représentation du temps au début et à la fin des entretiens de recherche, mais aussi d'analyser les changements de la représentation du temps par le jeune induits au cours de la recherche.

Validité du Circle Test:

Ce test a été choisi pour sa simplicité d'exécution et de compréhension par le jeune, pour la validité de son contenu dans le cadre de l'étude de la perspective du temps chez les adolescents (Haldeman, 1992) ainsi que dans un contexte transculturel (Beiser, 1987). Il a été utilisé à de nombreuses reprises dans la littérature : afin de caractériser le lien existant entre la perspective du temps et la santé mentale chez les réfugiés de l'Asie du Sud-Est (Beiser et Hyman, 1997) ou auprès d'adolescents déplacés suite à de violents conflits en Indonésie (Turnip, 2010).

Ce test peut se décliner de deux manières: en montrant des planches préalablement dessinées de différents agencements de cercles en demandant au jeune de choisir lequel lui correspond le mieux, ou bien en demandant au jeune de dessiner lui-même les cercles (Beiser, 2006). La méthode choisie a été la méthode libre, qui est aussi celle qui a été développée par Cottle initialement. Ce choix a été effectué selon les constatations d'une étude dont la population se rapprochait de la nôtre en plusieurs points: la recherche auprès d'adolescents déplacés suite à de violents conflits en Indonésie. Lors de leur étude préliminaire, ceux-ci démontraient en effet que la méthode libre de Cottle était plus "facile" à exécuter ainsi que plus "pratique" - et pour le chercheur, et pour le sujet (Turnip, 2010). Par ailleurs, ce choix de méthode correspondait au design de l'étude, qui combinait le recours à un entretien semi-structuré et à une mise en récit du jeune soutenue par différents objets, dont le circle test a fait partie.

Le circle test conçu par Cottle (1967) est donc susceptible de mesurer les différences culturelles quant à cette perception subjective du temps, ainsi que le sens attribué culturellement au passé, présent et futur. L’idée du circle test est de représenter ces trois temps en trois cercles qui entretiendraient différentes relations les uns avec les autres. Pour Cottle, la perception du temps est influencée par différents facteurs : l’âge, le sexe, l’origine,

la « classe » sociale et les valeurs des sujets. Beiser (1997) montre que la culture apporte une autre interprétation de la perception du temps et que les besoins psychiques peuvent influencer cette perception, de la même manière que les différents événements de vie ou les diktats culturels.

Analyse du Circle Test:

L’examinateur observe l’arrangement de ces cercles et la manière dont ils sont mis en lien.

L’enregistrement des placements des cercles se fait par le tracé des contours des cercles disposés par le sujet sur la feuille.

Les résultats sont ensuite côtés selon la méthode décrite par Cottle (1967, 1976), puis rapportés à l'analyse du discours du jeune concernant son rapport au temps.

Conformément à la méthode de Cottle (1967,1976), les investigateurs mesurent donc deux différents scores qui correspondent aux deux variables de la représentation spatiale du temps:

- le temps dominant est déterminé en mesurant le choix des tailles respectives des trois cercles d'un même enregistrement. Le cercle de plus grande taille sera coté 4, le cercle intermédiaire 2 et le plus petit cercle 0. Ainsi, si le cercle du passé est de plus grande taille que ceux du présent et du futur, le passé sera considéré comme le temps dominant. En d'autres termes, plus le score sera élevé, plus la dominance sera forte. Enfin, si tous les cercles sont équivalents, il n'y aura pas de dominance d'un temps sur un autre. Cela nous permet ensuite d'envisager une orientation temporelle marquée par l'espoir (orientée vers le futur), le pragmatisme (orientée vers le présent) ou la nostalgie (orientée vers le passé). Les temps pouvant par ailleurs être égaux (Turnip, 2010).

Fig 1: passé= 0 présent = 4 futur = 2 donc présent >𝑓𝑓𝑓𝑓𝑓𝑓𝑓𝑓𝑓𝑓> passé

- l'appareillement des temps est déterminé quant à lui en mesurant, sur un même enregistrement, la distance entre les cercles de deux temps successifs. Ainsi, si les cercles sont séparés l'un de l'autre, leur relation sera cotée 0, si les cercles se touchent sans s'enchevêtrer on la cotera 2, s'ils s'enchevêtrent sans s'inclure l'un l'autre on cotera celle-ci 4, et si un cercle inclue totalement l'autre cercle on la cotera 6. La somme des trois cotations, correspondant aux trois relations entre les différents cercles d'un même enregistrement, nous permettra ainsi de déterminer si leur appareillement est atomisé (somme égale à 0), continu (des cercles se touchant avec une somme égale à 2 ou 4), ou bien intégrés (somme comprise entre 8 et 18).

Fig 2: temps atomisé= 0 + 0 = 0

Fig 3: temps continu = 2 + 2 = 4

Fig 4: temps intégré entre le passé et le présent = 4 et temps atomisé entre le présent et le futur

= 0 donc appareillement des temps = 4

Pour chacun des jeunes, une analyse du circle test du premier entretien et du troisième entretien a été réalisée en prenant en compte non seulement de ces deux dimensions du temps, mais aussi en tenant compte d'un certain nombre d'autres éléments caractéristiques de la réalisation du test. En effet, il s'est avéré au cours de la recherche que les spécificités des différents tests réalisés débordaient largement une simple analyse bidimensionnelle, les propos des jeunes venant avaliser une utilisation des circle tests qui débordait largement sa fonction première d'instrument de mesure. Nous avons donc établi au cours de la recherche, puis au début de l'analyse, un certain nombre d'autres critères pointés par les jeunes afin de rendre au mieux compte de la diversité des circle tests réalisés.

Par ailleurs, dans un contexte transculturel, il s'avérait primordial d'interroger l'appréhension de l'objet de mesure par le jeune, et sa capacité à s'en saisir.

Ainsi, l'analyse des circle test a pris en compte (en sus des deux dimensions mesurés):

- la position des cercles les uns par rapport aux autres - les contours des différents cercles

- l'ordre avec lequel les différents cercles ont été dessinés - la faisabilité du test

- les particularités du circle test dessiné

- les commentaires du jeune lors de sa réalisation

Analyse narrative du récit:

Dans un second temps, afin d'apprécier la relation au temps du jeune rapporté à son discours, on effectue une analyse narrative (Murray, 2008) du contenu du discours qui accompagne la réalisation du circle test au premier puis au troisième entretien. Cette méthode d'analyse considère que la narration est le principe organisateur de la vie humaine (Sarbin, 1986), et que toute expérience humaine a un sens qui peut être compris et interprété en relation avec le récit qui en est fait. Ce récit est une suite symbolique d'actions qui ont leur dimension temporelle.

Ainsi, Carr (1986) considère que la structure des expériences sous-tend des actions qui ont une finalité et sont soumis à une structure historique qui suppose un début, un milieu et une

fin "commune à l'art et à la vie". Lorsque s'élaborent les représentations que nous avons de ces actions et de la vie, nous "consultons explicitement les expériences passées, nous envisageons le futur et nous voyons le présent comme un passage entre les deux". Cette conception du temps inscrite dans le récit rejoint l'identité narrative développée par Paul Ricoeur, qui note que l’identité personnelle "ne peut précisément s’articuler que dans la dimension temporelle de l’existence humaine", l’identité narrative étant la seule qui puisse

"inclure le changement, la mutabilité, dans la cohésion d’une vie". Le temps est donc "facteur de dissemblance, d'écart, de différence" et le récit intervient afin de le penser en le racontant.

Ricoeur explique ainsi que "le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé sur un mode narratif, et [...] le récit atteint sa signification plénière quand il devient une condition de l’existence temporelle" (Ricoeur, 1985).

Nous avons par conséquent réalisé une analyse narrative du discours accompagnant le circle test au premier et au troisième entretien, en dégageant des caractéristiques relatives à la structure du récit, en nous focalisant plus particulièrement sur le rapport du récit avec le temps, l'identité, les symboles (images et thèmes), et les différents niveaux de relations.

Dans cette perspective, nous avons élaboré une grille comprenant:

- la structure narrative: le schème temporel ou qualité temporelle du récit (Gergen et Gergen, 1984), le ton du récit (Crossley, 2000), la structure poétique du récit (vers, rythme, répétitions, champ lexical, symbolique, métaphores culturelles)

- les images

- les thèmes majeurs

- les valeurs soulignées par le contenu

- le contexte et l'articulation personnels, interpersonnels, groupaux et sociétaux (prenant ainsi en compte la part de l'interlocuteur, du chercheur ou du professionnel présent dans la co-construction du récit avec et par le jeune) (Murray, 2000)