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La réticence à criminaliser des politiques d’assimilation

Chapitre I : Le débat juridique entourant l’exclusion du génocide culturel

Section 2 La réticence à criminaliser des politiques d’assimilation

Cette inquiétude transparait explicitement chez certaines délégations. Ainsi la délégation suédoise évoque la peur que les politiques d’assimilation et de christianisation des peuples Samis en Europe du Nord puissent être qualifiées de génocide culturel122. C’est la volonté de préserver l’identité culturelle anglo-saxonne et

française, qui constitue l’héritage culturel canadien, qui amène la délégation

118 RENAN, E., « Qu'est qu'une Nation? », Conférence à la Sorbonne, Paris, 11 mars 1881.

119 Voir ainsi les critiques de l’historien Jules Harmand en faveur du modèle de l’association, HARMAND,

J., « Domination et Colonisation », Flammarion, coll. Bibliothèque de philosophie scientifique, 1910, p 14-15.

120 HAJJAT, op. cit. note 108, p. 54-57.

121 FRIMIGACCI, J., « L'Etat colonial français, du discours mythique aux réalités (1880-1940) »,

Colonisations en Afrique, 1993, n°32, p. 27-35, p. 28.

122 Supra note 21, p. 129: "Les actes qui constitueraient, selon l’article III, le génocide culturel, pourraient

être d'une nature beaucoup moins grave que les actes visés par l'article II; par exemple, en ce qui concerne les mesures de politique scolaire, il serait délicat d'apprécier leur portée à l'égard de la situation culturelle d'une minorité. On peut se demander, par exemple, si le fait d'avoir converti les Lapons au christianisme pourrait exposer la Suède à l'accusation de génocide culturel. Voir sur ce point

le film « Sameblod ou Sami Blood», d’Amanda Kernell, 2016, qui dépeint la mise en œuvre de ces politiques dans les années 1930.

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canadienne à opposer son rejet total de l’article III, envisageant la répression du génocide culturel comme un risque d’atteindre cet héritage123.

La réponse des nations opposées à l’inclusion de l’article III de la Convention ne peut donc se comprendre qu’au travers du prisme colonial et du discours qui l’entretient. C’est en partie cette logique coloniale, au travers de l’argumentaire lié à l’assimilation, qui a empêché la criminalisation du génocide culturel. Il est également intéressant de noter qu’à aucun moment, durant toute la période des travaux préparatoires à la Convention, la question des peuples autochtones, ni même le terme ne va apparaitre. Toutes les puissances coloniales ont ainsi voté contre l’inclusion du génocide culturel dans la Convention ce qui ne peut être le fruit d’un simple hasard124. Car c’est bien la

volonté politique de certaines délégations de protéger leurs nations d’accusations de génocide culturel en raison de politiques d’assimilations violentes mises en œuvre, qui a mené à l’exclusion de l’article III de la Convention.

Conclusion. L’analyse de ces débats contradictoires permet d’arriver à une

conclusion : tous les arguments juridiquement invoqués pour légitimer la suppression de la Convention du génocide culturel, ont fait l’objet de contre-arguments par les nations favorables au génocide culturel, qui sans même affirmer qu’ils étaient entièrement satisfaisants, permettaient d’envisager l’inclusion du génocide culturel comme un objectif réalisable. C’est finalement l’argument exclusivement politique qui a mené à l‘exclusion de l’article III du génocide culturel : certaines nations ne voulaient en aucun cas qu’une incrimination puisse réprimer, d’une manière plus ou moins large, la mise en œuvre de politiques d’assimilation culturelle et d’intégration forcée de certains groupes de populations.

123 Ibid, note 21, p. 199-200: "Il (Le président de la délégation canadienne) est en désaccord avec lui

sur ce seul point fondamental du génocide culturel dont aucune modification rédactionnelle de l'article III ne pourrait faire admettre le principe à la délégation canadienne. Et pourtant, le Gouvernement et le peuple canadien considèrent le génocide culturel avec horreur et souhaitent qu'une action efficace soit entreprise pour le réprimer. Profondément attachés à leur héritage culturel constitué principalement par un alliage d'éléments anglo-saxon et français, ils s'opposeraient avec énergie à toute atteinte à l'influence de ces deux cultures au Canada. Ils s'élèveraient également contre toute tentative du même ordre hors de leurs frontières .

124 Et ne laisse pas dupes certaines délégations, ainsi de la délégation pakistanaise : « si l'assimilation

n'est qu'un euphémisme pour dissimuler des mesures de coercition tendant à la suppression de certaines formes de culture, le Pakistan est formellement opposé à de tels processus fascistes, résultat de philosophies que l'on doit rejeter comme contraires à l'esprit et aux buts de la Charte des Nations unies », Ibid p 217

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Le 25 octobre 1948, lors de la 83ème séance, le président de la Sixième Commission a

mis aux voix l’exclusion du génocide culturel du champ d’application de la Convention. Avec vingt-cinq voix pour et seize voix contre ( quatre abstentions), la Commission a alors décidé de ne pas inclure de disposition relative au génocide culturel dans la Convention125.

Le débat semblait donc clos : le génocide culturel ne fait pas partie de l’infraction de génocide et ne fait pas l’objet d’une incrimination pénale par la Convention de 1948. Pourtant l’interprétation qui a été donnée de l’infraction de génocide par les juridictions internationales et certaines juridiction nationales, a réintroduit le concept de génocide culturel au sein du droit international pénal.

TITRE II : LA TENTATIVE D’APPREHENSION DE LA DIMENSION

CULTURELLE DU GENOCIDE PAR L’INTERPRETATION EXTENSIVE

DE L’INFRACTION

L’interprétation du génocide va faire l’objet d’un double mouvement jurisprudentiel qui a eu pour effet de réintroduire une dimension culturelle dans le génocide (Chapitre I), dimension que les rédacteurs de la Convention avaient souhaité occulter en excluant le génocide culturel. Cette tentative de recalibrer l’incrimination de génocide pour qu’elle prenne en compte la destruction culturelle d’un groupe a cependant échoué à s’imposer durablement (Chapitre II).

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Chapitre I : L’approche socio-culturelle du génocide, la résurgence

d’une dimension culturelle dans l’infraction de génocide

Longtemps considéré comme un « texte purement ornemental »126, la Convention de

1948 a fait l’objet, notamment depuis la création des tribunaux pénaux internationaux de nombreuses décisions qui ont façonné l’infraction127. Si le texte de la Convention

n’a pas évolué, il a fait l’objet d’une interprétation dynamique qui a radicalement transformé la manière d’envisager l’infraction128. Cette interprétation a fait ressurgir la

dimension culturelle du génocide.

Section 1 : L’interprétation de l’intention de détruire : approche physique- biologique ou approche socio-culturelle

Nous avons évoqué en introduction l’importance que revêt la mens rea dans le crime de génocide, l’intention génocidaire et plus particulièrement la notion de « destruction » constitue le cœur de l’incrimination et son interprétation conditionne l’étendue de l’infraction.

Paragraphe I : Approche physique et biologique de l’intention génocidaire

Une première conception « classique »129 interprète l’intention de manière restrictive,

limitant l’interprétation de la destruction à une approche physique ou biologique. En ce sens, pour qualifier l’intention génocidaire, l’auteur devrait avoir l’intention de détruire physiquement ou biologiquement le groupe visé. Cette approche se fonde sur l’exclusion volontaire du génocide culturel par les rédacteurs de la Convention qui amènerait logiquement à concevoir la destruction d’un groupe dans un sens physique ou biologique. Elle se fonde ensuite sur l’idée classique que le génocide en tant que « crime des crimes », doit être encadré très strictement et réservé aux actes de

126 LOMBOIS, C., « Droit Pénal International », 1ère éd, Précis Dalloz, 1971, p. 65.

127 ZAKR, N., « Analyse spécifique du crime de génocide dans le Tribunal pénal international pour le

Rwanda », RCS, 2001, n°2, p.261, p 263

128 SCHABAS, W., « The ‘‘Odious Scourge’’: Evolving Interpretations of the Crime of Genocide »,

Genocide Studies and Prevention: an International Journal, 2006, vol.1, n°3 ; p. 93-106, p. 97: "if the

definition of genocide has remained unchanged, in recent years its interpretation has undergone a process of considerable dynamism and radical evolution".

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destruction les plus graves. Enfin cette conception serait respectueuse du principe d’interprétation stricte de la loi pénale nullum crimen sin lege130. C’est l’approche qui

sera notamment revendiquée dans le rapport de 1996 relatif au projet de code des cimes contre la paix et la sécurité de l'humanité qui indique que la destruction doit être entendue comme « la destruction matérielle d'un groupe déterminé par des moyens

soit physiques, soit biologiques, et non pas la destruction de l'identité nationale, linguistique, religieuse, culturelle ou autre de ce groupe »131.

Cette approche a été critiquée et remise en cause à partir des années 90 à la suite des crimes perpétrés en Ex-Yougoslavie. Ces événements tragiques ont donné lieu à une importante jurisprudence à la fois nationale ( par le biais de juridictions allemandes), régionale ( par l’intervention de la CourEDH) et internationale (par l’action du TPIY puis de la CIJ dans les années 2000), ce qui a réactivé le débat entourant le génocide culturel en proposant une nouvelle interprétation du génocide et de l’intention génocidaire. Sans être moins respectueuse du principe de légalité, celle-ci permet d’appréhender de manière plus cohérente mais également de manière plus extensive l’infraction de génocide.

Paragraphe 2 : Le développement d’une approche socio-culturelle de l’intention génocidaire

Le développement d’une approche socio-culturelle de l’intention. C’est par le

biais des juridiction nationales allemandes qu’une nouvelle approche concernant l’interprétation de l’intention génocidaire et la notion de destruction va connaitre un développement important. Ce mouvement est amorcé dans l’affaire Nikola Jorgic, qui met en cause un serbo-bosniaque réfugié en Allemagne et accusé d’avoir commis plusieurs crimes durant la guerre en Yougoslavie. Dans son jugement en 1997, la Cour d’Appel de Düsseldorf a déclaré l’accusé coupable de génocide pour ces actes. La qualification du génocide a été rendue possible en raison de l’interprétation particulière de l’intention de détruire faite par la Cour, qui a estimé que le terme « détruire » s’entendait de « la destruction du groupe en tant qu’unité sociale dans son caractère

130 SCHABAS, W., « Genocide in International Law: The Crime of Crimes », 2ème éd, Cambridge

University Press, 2009, p. 271.

131 Projet de code des cimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, Cinquante et unième session,

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distinctif, sa particularité et son sentiment d'appartenance commune »132. Cette

interprétation a été confirmée par la Cour constitutionnelle allemande qui a affirmé de la même manière que « la définition juridique du génocide défend l’idée d’une

protection juridique qui, par-delà l’individu, s’étend à l’existence sociale du groupe et que l’intention de détruire le groupe [...] va au-delà de l’extermination physique et biologique [...]. Partant, le texte de loi n’implique pas que l’intention du coupable soit d’exterminer physiquement au moins une partie importante des membres du groupe »133. En considérant que l’intention génocidaire pouvait être interprétée comme

incluant la destruction du groupe en tant qu’« unité sociale », les cours allemandes ouvrent la voie à une approche élargie du génocide, intégrant une dimension sociale et culturelle dans la notion de destruction. Dans cette approche que nous qualifierons d’approche socio-culturelle en opposition à l’approche physique et biologique, la destruction d’un groupe peut intervenir par la destruction des liens sociaux et culturels de ce groupe, et pas nécessairement par l’extermination physique ou biologique de celui-ci.

La validité de cette interprétation a été confirmée par la CourEDH qui statue sur cette affaire dans l’arrêt Jorgic c/ Allemagne du 12 juillet 2007134. Dans sa requête, M. Jorgic

invoquait que la condamnation pour génocide emportait violation de l’article 7 paragraphe 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui consacre le principe de légalité des délits et des peines et qui condamne les interprétations extensives et imprévisibles de la loi qui seraient défavorables à l’accusé. Pour le requérant, l’interprétation large de la notion du crime de génocide adoptée par les juridictions allemandes ne trouve aucun appui dans le libellé des dispositions du droit allemand et du droit international public relatives à cette infraction. La Cour devait donc déterminer si l’interprétation de la notion de génocide en droit allemand, et notamment de l’« intention de détruire » qu’elle comporte était conforme à l’article 7 paragraphe 1 de la Convention135. Après avoir rappelé l’étendue et l’importance du principe de

légalité des délits et des peines, la Cour évoque le caractère inéluctable de

132 Le ministère public c/ Nikola Jorgić, Jugement, Oberlandesgericht Düsseldorf, 2 StE 8/96, 26

septembre 1997, p. 94 et 95

133 Le ministère public c/ Nikola Jorgić, Décision, Cour constitutionnelle fédérale, 2 BvR 1290/99, 12

décembre 2000, p. 13

134 Affaire Jorgic c/ Allemagne, 2007, Cour européenne des droits de l’Homme. 135 Ibid, para 103.

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l’interprétation judicaire qu’elle exprime ainsi : « il existe immanquablement un élément

d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. D’ailleurs il est solidement établi dans la tradition des Etats parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal »136. Pour la Cour

l’interprétation judiciaire est parfaitement compatible avec l’article 7, un texte d’incrimination n’est pas figé dans le marbre, et il peut faire l’objet d’interprétation pour préciser et faire évoluer son sens. Elle conditionne néanmoins la compatibilité de l’interprétation judicaire avec l’article 7 à deux conditions cumulatives : l’interprétation doit être « cohérente avec la substance de cette infraction » mais également «raisonnablement prévisible au moment des faits »137.

En l’espèce la Cour constate que l’interprétation faite par les cours allemandes respecte les deux conditions évoquées précédemment. Concernant la première condition, la Cour constate que l'intention génocidaire interprétée comme incluant la destruction d'un groupe en tant qu’unité sociale, n’était pas déraisonnable : la lecture de l’article 220a du code pénal allemand -qui incrimine le génocide dans le code pénal allemand- et de l’article 2 de la Convention de 1948, la position de l’assemblée des Nations Unies138 mais aussi l’état de la doctrine139 permettent d’appuyer cette

interprétation et donc de conclure qu’elle est cohérente avec l’infraction de génocide140. Concernant la seconde condition, la Cour affirme de la même manière

que les controverses doctrinales et jurisprudentielles sur l’intention génocidaire qui existaient déjà au moment des faits permettaient de prévoir que cette interprétation puisse être retenue par les juridictions allemandes pour entraîner une condamnation au titre du génocide141. La Cour conclut donc qu’« en conséquence, on peut raisonnablement considérer que l’interprétation faite par les juridictions nationales de la notion de génocide est cohérente avec la substance de cette infraction et était

136 Ibid para 101. 137 Ibid para 102.

138 L’AGNU, en 1992, lors d’une résolution relative à la situation en Bosnie-Herzégovine avait déclaré

que le nettoyage ethnique était constitutif d’un acte de génocide invitant à un interprétation large du génocide. Voir la résolution 47/121 (A/RES/47/121) du 18 décembre 1992.

139 Elle détaille l'état de la doctrine au paragraphe 47. 140 Ibid para 104-108.

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raisonnablement prévisible au moment des faits »142, excluant par la même toute

violation de l’article 7 paragraphe 1 de la ConventionEDH.

L’interprétation extensive proposée par les juridictions allemandes semble donc conforme au principe de légalité criminelle et au libellé de l’infraction de génocide, du moins pour la CourEDH. Pourtant cette interprétation n’a pas recueilli l’unanimité et a été rejetée par une partie de la jurisprudence des tribunaux had hoc.

Deux approches opposées. Ainsi peu de temps après les jugements des cours

allemandes, le TPIY s’est prononcé à cet égard dans l’arrêt Krstic où la Chambre de première instance revient à une interprétation physique et biologique de l’intention de détruire. La chambre affirme ainsi « La Chambre de première instance se sait toutefois

tenue d’interpréter la Convention en tenant dûment compte du principe nullum crimen sine lege. Elle reconnaît donc qu’en dépit de ses développements récents, le droit international coutumier limite la définition du génocide aux actes visant à la destruction physique ou biologique de tout ou partie du groupe. N’entrerait donc pas dans le cadre de la définition du génocide une entreprise qui s’en prendrait exclusivement, en vue de les annihiler, aux traits culturels et sociologiques d’un groupe humain, fondements de son identité »143. En évoquant les développements récents, doctrinaux et

jurisprudentiels, la chambre du TPIY semble souhaiter mettre un terme au débat entourant l’interprétation de l’intention génocidaire et exclure définitivement l’approche socio-culturelle. Le jugement d’appel de cette décision, s’il a maintenu la position prise par la chambre de première instance est cependant moins catégorique.

La décision fait ainsi l’objet d’une opinion partiellement dissidente importante de la part du juge Shahabuddeen qui déclare : « L’intention de détruire le groupe en tant que tel

peut être établie par la preuve de l’existence d’une volonté de le détruire, en tout ou en partie, autrement que physiquement à moins que la destruction physique du groupe ne soit exigée par le Statut»144. Le juge fait ici état de la confusion qui règne dans

l’approche physique et biologique de l’intention de détruire. Dans cette approche, puisque le génocide a été limité à des actes de destruction matérielle et biologique, alors l’auteur devrait nécessairement avoir l’intention de vouloir détruire physiquement

142 Ibid, para 116.

143Le Procureur c/ Radislav Krstić, TPIY, Jugement de première instance, IT-98-33-T, 2001, para 580. 144Le Procureur c/ Radislav Krstić, TPIY, Jugement d’appel, 2004, para 48 et 54.

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ou biologiquement le groupe. Pour le juge Shahabuddeen, il faut établir une «

distinction entre la nature des “actes” -de génocide- énumérés et “l’intention” avec laquelle ils sont commis »145. Il reprend ici finalement la position des cours allemandes,

en apportant des éléments de précision. Si effectivement les actes de génocide doivent être des actes de destruction matérielle ou biologique, rien n’impose, ni dans la Convention de 1948, ni dans les Statuts des tribunaux ad hoc, que l’auteur des actes doive nécessairement avoir l’intention de détruire physiquement ou biologiquement le groupe. Il peut parfaitement être porté par l’intention de détruire les liens sociaux et culturels du groupe sans que cela enlève à la qualification de génocide : «C’est le

groupe qui est protégé. Ce qui crée le groupe, ce sont les traits – souvent intangibles – qui fondent un ensemble d’individus en une unité sociale. Si, comme c’était l’intention, ces traits viennent à disparaître en conséquence de l’un des actes énumérés de nature physique ou biologique, il n’est pas convaincant de dire que la disparition de ces traits, même si elle s’accompagne dans les faits d’une dissolution du groupe, ne constitue pas un génocide car il s’agit d’une destruction qui n’est ni physique ni biologique146. Il conclut ainsi comme l’avait fait les juridictions allemandes:

« Il est certain que l’intention doit être de détruire mais, réserve faite des actes

énumérés, il n’y a pas de raison que la destruction soit nécessairement physique ou biologique »147.

Ce raisonnement a été confirmé dans l’affaire Krajisnik, La Chambre de première instance du TPIY affirmant que « la « destruction », composante de l’élément moral

du génocide, ne s’entend pas exclusivement de la destruction physique ou biologique des membres du groupe puisque celui-ci (ou une partie de celui-ci) peut être détruit par d’autres moyens, par exemple par la séparation des enfants du groupe (ou d’une partie du groupe) ou par la rupture des liens qui unissent ses membres »148. En

réaffirmant que la destruction d’un groupe peut intervenir par la destruction des « liens

145 Ibid, para 48. 146 Ibid para 50. 147 Ibid para 51.

148 Le Procureur c/ Momsilo Krajisnik, TPIY, Jugement de première instance, IT-00-39-T, 2006, para

854. Ce paragraphe fait l’objet d’importantes précisions par la Chambre elle-même dans la note de bas de page qui lui est attitré : « Ses membres sont bien entendu des êtres physiques ou biologiques, mais

les liens qui les unissent, de même que leur culture et leurs croyances par exemple, ne sont ni physiques ni biologiques. Par conséquent, on ne saurait raisonnablement ramener « l’intention de détruire » le groupe visée dans la Convention sur le génocide à l’intention de le détruire physiquement ou biologiquement, comme on a pu parfois le faire »

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qui unissent ces membres », et pas nécessairement par l’extermination physique des membres du groupe il est donc tout à fait possible que les auteurs de ces actes soient animés par la seule volonté de détruire ces liens socio-culturels et pas nécessairement par la volonté de détruire physiquement le groupe.