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Le génocide culturel dans le Droit international pénal : un concept en marge

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Academic year: 2021

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Master 2 Mention Droit pénal et sciences criminelles, Programme franco-québécois

Année Universitaire 2019-2020

Le génocide culturel dans le Droit international

pénal : Un concept en marge

Antoine Ramognino

Sous la direction de :

Geneviève Motard, co-directrice de recherche de l’Université Laval

Amane Gogorza, co-directrice de recherche de l’Université Toulouse I

Capitole

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RESUME

Ce mémoire a pour objet de proposer une réflexion juridique et contemporaine sur le concept ancien mais pleinement d’actualité qu’est le génocide culturel. Le génocide culturel, qui décrit le phénomène de destruction culturelle d’un groupe d’êtres humains, avait été pensé dès la naissance du terme comme une composante intrinsèque du génocide. Pourtant lors de la criminalisation du génocide , le génocide culturel a été exclu du champ d’application du texte d’incrimination. Cette exclusion historique, pour un certain nombre de raisons qui seront étudiées, a eu des incidences majeures, puisqu’il sera démontré que le phénomène de génocide culturel n’est pas pris en compte de manière parfaitement satisfaisante par le droit et plus particulièrement par le droit international pénal.

Dès lors, cela invite à proposer de nouvelles réflexions sur les instruments juridiques qui pourraient permettre d’appréhender de manière cohérente, réaliste et efficace un tel processus de destruction, et en particulier la reconnaissance d’une infraction spécifique de génocide culturel. Cette réflexion s’appuiera sur l’analyse du traitement historique des peuples autochtones au Canada et en particulier les politiques de pensionnats qui illustrent parfaitement les enjeux et les contours d’un tel débat.

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TABLE DES MATIERES

RESUME II

LISTE DES ABREVIATIONS IV

REMERCIEMENTS VI

INTRODUCTION 1

PREMIEREPARTIE : 16

L’INFRACTION DE GENOCIDE, UN CADRE JURIDIQUE TROP ETROIT POUR

ENGLOBERLEGENOCIDECULTUREL 16

TITRE 1 : L’EXCLUSION HISTORIQUE DU GÉNOCIDE CULTUREL AU TRAVERS D’UNE DÉFINITION

RESTRICTIVE DU GÉNOCIDE 16

CHAPITRE I :LE DEBAT JURIDIQUE ENTOURANT L’EXCLUSION DU GENOCIDE CULTUREL 19 CHAPITRE II :LA RAISON POLITIQUE : LA LEGITIMATION DES POLITIQUES D’ASSIMILATION ET

D’HOMOGENEISATION 26

TITRE II : LA TENTATIVE D’APPREHENSION DE LA DIMENSION CULTURELLE DU GENOCIDE PAR

L’INTERPRETATION EXTENSIVE DE L’INFRACTION 31

CHAPITRE I : L’APPROCHE SOCIO-CULTURELLE DU GENOCIDE, LA RESURGENCE D’UNE

DIMENSION CULTURELLE DANS L’INFRACTION DE GENOCIDE 32

CHAPITRE II : LA REMISE EN CAUSE DE L’APPROCHE SOCIO-CULTURELLE, UN RETOUR A

L’INTERPRETATION RESTRICTIVE DU GENOCIDE 48

DEUXIEMEPARTIE : 53

L’APPREHENSION DU CONCEPT PAR D’AUTRES INSTRUMENTS JURIDIQUES

53

TITRE I : LES INSTRUMENTS JURIDIQUES DU DROIT POSITIF 53

CHAPITRE I :LA PROHIBITION DU GENOCIDE CULTUREL PAR LES DROITS HUMAINS 53 CHAPITRE II :L’APPREHENSION PAR LE BIAIS DU CRIME CONTRE L’HUMANITE : LE CRIME DE PERSECUTION, UNE INCRIMINATION ENGLOBANT LE GENOCIDE CULTUREL ? 64

TITRE II : ELEMENTS PROSPECTIFS : L’HYPOTHESE D’UNE INCRIMINATION NOUVELLE DE GENOCIDE

CULTUREL, UNE SOLUTION ENVISAGEABLE ? 75

CHAPITRE I :LA CONSTRUCTION D’UNE INFRACTION DE GENOCIDE CULTUREL 75 CHAPITRE II :LES DIFFICULTES RELATIVES A LA RECONNAISSANCE DU GENOCIDE CULTUREL 86

CONCLUSIONGENERALE 91

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LISTE DES ABREVIATIONS

Art………..………Article(s) AGNU………..Assemblée générale des Nations Unies C/………..Contre CDI………Commission du droit international des Nations Unies CEE………..Conseil économique et social des Nations Unies CIJ………....………Cour internationale de Justice Coll………..Collection CourEDH………...………Cour européenne des droits de l’Homme ConventionEDH………...Convention européenne des droits de l’Homme CPI……….Cour pénale internationale CVR………...Commission Vérité et Réconciliation du Canada DIDH………....Droit international des droits humains Ed……….Édition(s) Ibid………..Au même endroit Idem……….Identique ONU………..………Organisation des Nations Unies Op. cit………..Opere citado (œuvre précitée) P………..Page(s) Supra………..…Ci-dessus TMI………Tribunaux militaires internationaux (Nuremberg et Tokyo) TPIR……….Tribunal pénal international pour le Rwanda TPIY………...Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie UE………Union Européenne Vol………...Volume

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« L’université n’entend ni approuver ni désapprouver les opinions particulières de l’auteur.»

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REMERCIEMENTS

Mes premiers remerciements vont tout d’abord à mes directrices de mémoire, Madame la professeure GOGORZA et Madame la professeure MOTARD, pour leur précieux soutien et leur accompagnement dans la réalisation de ce mémoire. Je souhaite ensuite adresser mes sincères remerciements à Monsieur le Professeur DE LAMY pour son investissement, qui a permis, malgré la situation sanitaire que l’on connait tous, la réalisation de cette année de master dans les meilleures conditions possibles.

J’adresse également mes remerciements au service de documentation juridique de l’Université Laval, et particulièrement à Madame Karine LANGEVIN et madame Mélanie PERRON, qui m’ont grandement aidé dans mes recherches.

Je remercie enfin celles et ceux qui ont contribué à la finalisation de ce mémoire, par leurs conseils, leurs relectures et leur présence, à commencer par mon père Pierre RAMOGNINO, ma mère Claire BÉNA, ma sœur Marie RAMOGNINO, mon frère Valentin RAMOGNINO, mais aussi Louisa LAMOUR, Janine RANNOU, Leïla LOUCIF.

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INTRODUCTION

1. Paradoxe

Dans son rapport final en 2015, la Commission Vérité et Réconciliation canadienne, a qualifié la politique du Canada envers les peuples autochtones et notamment le fonctionnement des pensionnats où ont été placés de force plus de 150000 enfants autochtones entre le XIXe et le XXe siècle de génocide culturel1. Cette déclaration

inédite au Canada et hautement symbolique a réintroduit le concept de génocide culturel sur la scène juridique internationale tout en rappelant le paradoxe dont il fait l’objet. En effet ce concept qui a émergé comme un puissant outil de revendication politique2 en particulier pour les peuples autochtones3, ne fait pas l’objet d’une

définition légale ni d’une reconnaissance juridique dans les textes et traités internationaux relatifs au génocide. Autrement dit, il n’existe pas d’incrimination de génocide culturel en droit international pénal qui permettrait de réprimer des actes qualifiés de la sorte. La déclaration de la CVR au-delà de son aspect symbolique n’a donc pas eu de véritables conséquences pénales.

L’exclusion du génocide culturel de l’infraction de génocide telle que définie par la Convention pour la prévention et la répression du génocide adoptée en 1948 ne peut qu’interroger au regard de l’utilisation croissante de ce terme, qui pourrait potentiellement s’appliquer à un nombre important de faits historiques, passés ou actuels4. Le terme a ainsi été utilisé par le Dalaï Lama pour évoquer les politiques

1 Rapport « Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir: Sommaire du rapport final de la Commission de

vérité et réconciliation du Canada », Commission Vérité et Réconciliation, 2015, p 1

2 ANAYIOTOS, D., « The cultural genocide debate: should the UN genocide Convention include a

provision on cultural genocide or shoud the phenomenon be encompassed in a separate international treaty? », New York International Law Review, 2009, vol. 22, n°2, p 1 : «Only in a figurative or metaphorical sense can the word “genocide” be used in relation to the uprooting of a culture»

3 MAKO, S., « Cultural Genocide and Key International Instruments: Framing the Indigenous experience

», International Journal on Minority and Group Rights, 2012, vol. 19, n°2, p 185

4 NOVIC, E., Thèse : « The concept of cultural genocide : an international law perspective », thèse de

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2

menés par la Chine au Tibet5, ou encore par la délégation afghane aux Nations Unies

pour caractériser les destructions d’œuvres culturelles par les Talibans6. 2. Le « besoin d’un mot nouveau »7

Le concept de génocide culturel est indissociablement lié à l’infraction internationale de génocide, issue de la pensée du juriste polonais Raphaël Lemkin8, et du contexte

de l’Holocauste et des horreurs commises par les nazis à l’encontre des juifs d’Europe9. En août 1943, Winston Churchill dans un discours radiodiffusé déclare :

«Nous sommes en présence d’un crime sans nom.10 » Quelques mois plus tard,

Lemkin forge le mot « génocide » dans un ouvrage intitulé Axis Rule in Occupied Europe. Il consacre un chapitre entier à la construction d’un terme nouveau permettant de représenter et de nommer la destruction d’une population dans son ensemble. Lemkin déclare ainsi : « De nouvelles conceptions supposent l’adoption de nouveaux

termes. Par «génocide», nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. Ce nouveau mot, forgé par l’auteur pour signifier une vieille pratique dans

5 PHILIP, B., « Le dalaï-lama dénonce la répression "inimaginable » de Pékin au Tibet », Le Monde, 11

mars 2018

6 Communiqué de presse suite à l'Assemblée Générale des Nations Unies, « Projet de résolution relatif

à la destruction de reliques et de monuments en Afghanistan », Assemblée Générale des Nations Unies,

AG/1141, 2001

7 BEAUVALLET, O., « Lemkin face au génocide », Michalon, Le Bien Commun, 2011, p 32

8 Né le 24 juin 1900 dans une famille juive en Pologne, Lemkin est un juriste polonais, professeur à

Varsovie puis à l’Université de Yale, qui exerça également comme consultant pour les affaires étrangères américaines et auprès du Secrétariat général des Nations Unies en matière de droit international pénal. Toute sa vie il sera directement touché et sensibilisé aux discriminations et persécutions qui vont imprégner sa pensée et son œuvre : né dans une « zone de résidence », une zone à législation discriminatoire envers les juifs, il verra se propager l’hostilité croissante envers les juifs à travers les pogroms politique et antijuifs en Pologne dans les années précédant la Première Guerre Mondiale. Des évènements tel que le Génocide Arménien ou encore les famines de masses en Ukraine entre 1932 et 1933 issues de la collectivisation soviétique, vont le déterminer à s’engager dans un combat visant à proposer des instruments juridiques de droit international pour réprimer les crimes de masse. Contraint de s’exiler aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale pour fuir les persécutions, il s’attèlera à un travail d’analyse du droit nazi, rassemblé dans l’ouvrage intitulé Axis Rule in Occupied Europe: Laws of Occupation, dans lequel apparait pour la première fois le néologisme génocide. Il consacrera ensuite le reste de son existence à inclure le génocide dans une Convention et ainsi consacrer la criminalisation du phénomène qu’il a lui-même nommé. Voir ainsi PANNE, J-L., « Raphaël Lemkin ou le pouvoir d'un sans-pouvoir », préface de l’ouvrage « Qu'est-ce qu'un génocide » de Raphaël Lemkin, éditions du Rocher, 2008.

9 RABINBACH, A., « Raphaël Lemkin et le concept de génocide », Revue d’Histoire de la Shoah, 2008,

vol. 2, n°189, p 511-554

10 Churchill, informé des massacres perpétrés par les Einsatzgruppen en URSS, prononce ces mots à

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son évolution moderne, est composé du mot grec genos (race, tribu), et du mot latin cide (tuer) »11.

Le terme inventé par Lemkin n’est pourtant pas le premier ayant été utilisé pour traduire la destruction d’un groupe de population. Le néologisme « populicide » avait été créé en 1794 par le révolutionnaire Gracchus Babeuf, à partir de deux mots latins (populus et caedere), pour désigner les massacres de populations civiles vendéennes perpétrés sur l'ordre de la Convention nationale. Mais Lemkin au-delà de donner une terminologie nouvelle à ce « crime sans précédent »12, insiste sur le caractère

universel du génocide et sur la nécessité de réprimer juridiquement de tels comportements.

Dans le chapitre neuf de « Axis Rules » consacré au génocide, Lemkin définit ce terme comme « la mise en œuvre de différentes actions coordonnées qui visent à la

destruction des fondements essentiels de la vie des groupes nationaux en vue de leur anéantissement »13. Cette politique d’anéantissement passe pour Lemkin par la

désintégration des institutions politiques économiques et sociales, de la culture, de la langue, de la conscience nationale ou de la religion, et par la destruction de la sécurité de la liberté de la santé de la dignité individuelle et de la vie des individus qui constituent le groupe. Il est important de noter que, dès le départ, Lemkin affirme que le génocide ne se limite pas aux temps de guerre mais peut aussi bien se réaliser en temps de paix. Il envisage ici l’hypothèse de minorités au sein d’un Etat qui subiraient de tels comportements.

Ainsi on comprend que lors de sa conceptualisation, le néologisme « génocide » envisage trois formes de destruction : le génocide par destruction des personnes (physique), le génocide par entrave à la reproduction du groupe (biologique) et le génocide par « destruction délibérée de la vie intellectuelle et culturelle du groupe » (génocide culturel)14. Pour Lemkin, la culture est une composante intrinsèque et

11 LEMKIN, R., « Axis Rule in Occupied Europe: Laws of Occupation, Analysis of Government,

Proposals for Redress », Washington D.C, Carnegie Endowment for International Peace Division of

International Law, 1944, p 79.

12 ARENDT, H., « Les origines du totalitarisme : Eichmann à Jérusalem», réédition Gallimard, 2002, p.

1276

13 LEMKIN, R., , op. cit. note 11, p 215 14 BEAUVALLET, O., op. cit. note 7, p.50.

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essentielle de l’individu et du groupe, des atteintes à l’encontre de cette culture peuvent alors entraîner la destruction du groupe. En ce sens, cela constitue un acte de génocide non moins grave que la destruction physique et biologique des membres du groupe.

À la suite de ce « besoin d’un mot nouveau », il s’est avéré nécessaire d’introduire ce terme dans le droit positif international en instaurant un système, à la fois répressif et préventif, pour interdire le génocide. L’urgence à criminaliser ce phénomène par le biais d’une Convention devient évident lors du procès des grands criminels de guerre à Nuremberg par le TMI15, qui se retrouve limité lors de la qualification des crimes

nazis. Le génocide n’étant pas « constitutif d’un crime international, en tant que tel,

mais une simple forme, nouvelle, non conventionnelle »16 ce terme ne peut être utilisé

pour qualifier les crimes commis. Ainsi le Statut du TMI écarte le génocide de la compétence matérielle du Tribunal17, et de fait l’acte d’accusation du procès ne fait

pas de mention expresse au génocide18. Si le terme est utilisé à plusieurs reprises

dans les débats19, il sera absent également du jugement final, signe que le néologisme

n’a pas encore de réalité juridique. Pour Lemkin, la ratification d’une Convention sur le génocide doit donc intervenir le plus rapidement possible.

À la suite d’un intense travail de persuasion auprès des Nations Unies et d’un long processus diplomatique20, Lemkin parvient à faire adopter une définition qui sera

inscrite dans la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du génocide par un vote de l’Assemblée Générale le 9 décembre 1948, entrée en vigueur le 12 janvier 1951. La difficulté pour Lemkin, est d’arriver à un compromis pour obtenir

15 Procès des grands criminels de guerre, Tribunal Militaire International, Nuremberg, 14 novembre

1945-1 octobre 1946

16 BEAUVALLET, Supra, note 7, p 43 17 Art. 6 du Statut du TMI de Nuremberg

18 La seule référence au génocide est faite au troisième chef d’accusation relatif aux crimes de guerre

ou il est reproché aux accusés « le génocide délibéré et systématique, c'est-à-dire à l'extermination de

groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés, afin de détruire 52 des races ou [47] classes déterminées de population et de groupes nationaux, raciaux ou religieux, particulièrement les Juifs, les Polonais, les Tziganes », supra note 15, p. 51-52

19 Ainsi le procureur français Champetier de Ribes s’y réfère pour désigner « le plan gigantesque d’une

domination universelle » mis en place par les nazis, un plan d’extermination planifié qui constitue « un

crime si monstrueux, si inconnu dans l’histoire depuis l’ère chrétienne qu’il a fallu créer le néologisme de “génocide“ pour le caractériser », Procès des grands criminels de guerre, Séance du 29 juillet 1946,

tome XIX, p. 556-557

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une majorité à l’Assemblée générale des Nations-Unies. Les oppositions et les divergences sur les contours et le contenu de l’infraction sont nombreuses au sein des Nations les plus influentes21. Face à ces divisions, Lemkin va multiplier les rencontres

avec les délégués des différentes nations, et c’est notamment grâce à l’appui des « petites » nations22 qu’il va obtenir la ratification du texte final de la Convention.

Le génocide est alors défini comme suit:

« Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »23

3. Présentation de l’infraction de génocide

Il semble nécessaire, au stade de notre introduction, de présenter brièvement l’infraction de génocide telle qu’elle a été inscrite dans la Convention de 1948 et telle qu’elle a été construite par la jurisprudence internationale.

3.1 Actus Reus, Elément matériel de l’infraction :

Un groupe protégé. La première spécificité du crime de génocide réside dans le fait

que les victimes ne sont pas touchées en tant qu’individu mais en tant que membre d’un « groupe » protégé. Il est donc nécessaire à la réalisation de l’infraction qu’un

21 Documents officiels de la Troisième session de l'Assemblée Générale, Première Partie, Questions

Juridiques, Sixième Commission, Comptes rendus analytiques des séance du 21 septembre au 10

décembre 1948, Nations Unies, A/C.6/ SR.61-140, 1948, p. 25

22 Ainsi des Nations comme le Liban, l’Egypte le Venezuela ou encore le Pakistan ont dès le début des

négociations étaient très favorable au projet porté par Lemkin, et ont soutenu par leurs déclarations devant la 6ème commission des Nations-Unis puis par leur vote une version la plus large possible du

génocide.

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groupe soit visé : « Le crime doit être inspiré par l'intention de détruire un ensemble de

personnes possédant une identité collective particulière » 24 . Ainsi « la victime est choisie non pas en fonction de son identité individuelle, mais bien en raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse » 25. La Convention énumère

quatre groupes protégés sans pour autant les définir : le groupe national, le groupe racial, le groupe ethnique et le groupe religieux. Le TPI pour le Rwanda, dans le jugement Akayesu, a apporté des précisions quant à la définition de ses groupes26.

La Chambre détermine ainsi que seuls les groupes « stables », « permanents », c’est-à-dire dont l’individu fait partie à la naissance de manière continue et irrémédiable, sont protégés par la Convention, en opposition aux groupes « mouvants » que l’individu rejoindrait par sa propre volonté (par exemple des groupes économiques, politiques, sociaux…)27. Ainsi la Chambre du tribunal définit le groupe national comme

« un ensemble de personnes considérées comme partageant un lien juridique basé

sur une citoyenneté commune, jointe à une réciprocité de droits et de devoirs »28. Le

groupe ethnique est qualifié comme « un groupe dont les membres partagent une

langue ou une culture commune »29. La définition du groupe racial est fondée pour la

Chambre « sur les traits physiques héréditaires, souvent identifiés à une région

géographique, indépendamment des facteurs linguistiques, culturels, nationaux ou religieux 30». Enfin, le groupe religieux est « un groupe dont les membres partagent la même religion, confession ou pratique de culte31 ».

Au-delà de ces définitions jurisprudentielles, les tribunaux ad hoc ont utilisé plusieurs critères pour apprécier l’appartenance d’un individu à un groupe donné. Ainsi l’appartenance à un groupe peut s’évaluer par le biais d’un critère subjectif correspondant à un sentiment d’appartenance que ce soit de la part de l’auteur ou de

24 Affaire relative à l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de

génocide, Bosnie-Herzégovine c/ Serbie et Monténégro, CIJ, 2007, para 193

25 Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, Jugement, TPIR, Chambre de première instance, ICTR-96-4,

1998, para 521 26 Ibid. 27 Ibid. para 511 28 Ibid. para 512 29 Ibid. para 513 30 Ibid. para 514 31 Ibid. para 515

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la victime32. Cette appartenance peut également s’apprécier par un critère objectif

correspondant à des critères scientifiques incontestables indépendamment de ce que pense l’auteur ou les victimes33. La chambre de première instance du TPIY dans

l'affaire Jelisic a adopté un critère négatif pour déterminer l'appartenance des individus à un groupe. Les individus ainsi rejetés constitueraient, par exclusion, un groupe distinct -dans l’affaire Jelisic, le groupe des non-serbes-34. Ce critère négatif n’a

cependant pas été réutilisé par la jurisprudence internationale qui privilégie une approche positive (qui consiste à distinguer le groupe en raison de ce qu'ils estiment être les caractéristiques nationales, ethniques, raciales ou religieuses propres à ce groupe). La Cour internationale de Justice dans l’affaire du crime de génocide en 2007 a ainsi rejeté la définition négative du groupe (ici le groupe avancé était celui des non serbes) : « L'intention est essentiellement de détruire le groupe protégé, en tout ou en

partie, comme tel. Ce groupe doit présenter des caractéristiques positives particulières nationales, ethniques, raciales ou religieuses, et non pas une absence de telles caractéristiques »35.

Les actes incriminés. L’article 2(2) de la Convention énumère cinq types d’actes ou

d’omissions prohibées constitutives de comportements génocidaires. Pour ces actes, les Éléments des crimes exigent systématiquement, pour chaque comportement matériel, soit qu'il puisse « en lui-même produire une destruction » du groupe ; soit qu'il s'inscrive dans le cadre d'une « série manifeste de comportements analogues »36 Droit applicable au génocide par meurtre. Le TPIR dans le jugement Akayesu a précisé

la notion de meurtre des membres du groupe qui pouvait faire l’objet de plusieurs interprétations. Le terme « killing » en anglais englobe à la fois les homicides intentionnels et les homicides non-intentionnels, le terme français « meurtre » renvoie spécifiquement et strictement au meurtre intentionnel. C’est cette approche que la

32 Le Procureur c/ Georges Rutaganda, TPIR, Jugement de première instance, ICTR-96-3, 1999, para

56 ; Le Procureur c/ Siméon Nchamihigo, TPIR, Jugement de première instance, ICTR-01-63, 2008, para 329 et s.

33 Le Procureur c/ Goran Jelisic, TPIY, Jugement en première instance, IT-95-10-T, 1999, para 70 34 Ibid. para 71

35 Supra, note 24, para 193.

36Éléments des crimes, Documents officiels de l’Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la

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Chambre du TPIR a consacré en confirmant « que le meurtre est réalisé dès lors qu’on

a donné la mort avec l’intention de la donner »37

Droit applicable au génocide par atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale. C’est

l’un des actes de génocide les plus larges. Ces atteintes peuvent revêtir des formes diverses comme la torture, le viol38, les persécutions ou encore les actes dégradants. Droit applicable au génocide par soumission à des conditions d’existence devant entraîner une destruction physique. Ce sont des actes de destruction qui ne tuent pas

directement les membres du groupe mais qui vont avoir pour conséquence, à terme de les détruire physiquement. Les Eléments des crimes de la CPI définissent ce type d’acte comme « la privation délibérée des moyens indispensables à la survie, tels que

nourriture ou services médicaux, ou expulsion systématique des logements (la liste

n’étant pas exhaustive)39 ». La Chambre du TPIY dans le jugement Krajisnik a précisé

en ce sens que ces conditions « ne constituent l’élément matériel d’un génocide que

si les privations endurées sont suffisamment graves pour contribuer à la destruction du groupe, ou tendre à cette destruction40»

Droit applicable au génocide par imposition de mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe. Les mesures prohibées par cet article ont été

interprétées par le TPIR comme étant à la fois physiques et mentales. Les mesures physiques peuvent ainsi comprendre « la mutilation sexuelle, la pratique de la

stérilisation, l’utilisation forcée de moyens contraceptifs, la séparation des sexes et l’interdiction des mariages », alors que les mesures psychologiques peuvent

comprendre, par exemple, les actes traumatisants à la suite desquels les victimes refusent de procréer, notamment le viol41.

Droit applicable au génocide par transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Il semble que l’inclusion du transfert forcé en tant qu’acte incriminé par la Convention a été en partie admis pour pallier, ou du moins contrebalancer l’exclusion du génocide culturel. C’est effectivement l’acte qui s’éloigne le plus de la destruction physique et

37 Supra, note 25, para 500. 38 Ibid, para 504.

39 Supra note 31, p. 3, note de bas de page.

40 Le Procureur c/ Momsilo Krajisnik, TPIY, Jugement de première instance, IT-00-39-T, 2006, para 863 41 Supra note 24, para 507.

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biologique du groupe ; par le démantèlement du groupe, le transfert forcé se rapproche finalement à bien des égards de la destruction de l’identité sociale et culturelle du groupe.

3.2 La Mens Rea, l’intention génocidaire :

L’élément moral (ou Mens Rea) est l’élément à la fois le plus complexe et le plus déterminant de l’infraction de génocide. C’est ce qui va permettre de distinguer le génocide d’autres infractions internationales (le crime contre l’Humanité) ou de droit commun (le meurtre). Pour reprendre les termes du Professeur Claude Lombois, l’intention génocidaire est essentielle pour éviter de « laisser se diviser – se dénaturer – l'holocauste en six millions de fois un meurtre42».

Il existe plusieurs manières d’aborder l’intention génocidaire. L’intention peut être caractérisée dès lors que l’auteur a l’intention de commettre contre le groupe visé un des actes énumérés à l’art 2. Autrement dit, un dol général suffit : le seul fait de vouloir commettre l’acte incriminé contre les membres du groupe en ayant conscience de violer la loi suffit à qualifier l’intention génocidaire. Certaines résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies vont ainsi en ce sens43.

Une conception plus étroite exige que l’agent commette l’acte avec l’intention d’obtenir expressément la destruction (totale ou partielle) du groupe44. Dans cette idée, les

victimes sont visées pour atteindre la destruction du groupe.

C’est bien la conception stricte qui a été consacrée par la jurisprudence internationale45. L’élément moral du génocide se caractérise, en plus de l’intention

générale (ou dol général) de réaliser les actes incriminés aux alinéas a) à e), par l'intention spécifique (ou dol spécial) de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. Cette intention spécifique implique

42 LOMBOIS, C., « Un Crime international en droit positif français : L'apport de l'affaire Barbie à la théorie

française du crime contre l'humanité », dans VITU, A., MERLE, P. et JEANDIDIER, W., « Droit pénal

contemporain : mélange en l’honneur d’André Vitu », Cujas, 1989.

43 Résolution 47/121, 9e considérant adoptée 8 décembre 1992, et Résolution 37/123 D, adoptée le 16

décembre 1982., Assemblée Générale des Nations Unies.

44 CORTEN, O., « L’arrêt rendu par la CIJ dans l’affaire du Crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.

Serbie) : vers un assouplissement des conditions permettant d’engager la responsabilité d’un État pour génocide ? », Annuaire français de droit international, 2017, vol. 53, n°1, p.249-279.

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que deux conditions cumulatives soient remplies : tout d’abord déterminer une intention de « détruire », puis que celle-ci vise « tout ou partie » du groupe protégé. L’étude de l’intention génocidaire et son interprétation fera l’objet de commentaires détaillés au cours de notre développement, puisque nous verrons que la manière d’interpréter l’intention de détruire est centrale dans la manière d’envisager l’étendue de l’incrimination de génocide.

4. L’exclusion du génocide culturel

A la suite de cette présentation et à la lecture du texte d’incrimination, une remarque peut dès lors être faite : le texte ne fait pas mention du génocide culturel qui est totalement exclu du champ de l’infraction alors même que, nous l’avons vu, celui-ci avait été envisagé par Lemkin comme l’une des trois dimensions du génocide.

C’est l’une des concessions majeures qui a dû être faite lors de la ratification de la Convention, les travaux préparatoires de la Commission démontrent qu’un certain nombre de pays, occidentaux notamment, ont effectivement poussé à l’exclusion du génocide culturel de la Convention46. Nous reviendrons plus en détail sur les raisons

à la fois juridiques et politiques qui ont mené à l’exclusion du génocide culturel mais il est possible de dire que les termes de ces débats apportent de nombreux éléments de réflexion pour interroger la prise en compte juridique du génocide culturel.

Les termes de ce débat concernant l’inclusion ou non du génocide culturel permettent également d’établir des liens étroits entre génocide culturel et colonialisme.

5. Génocide culturel et colonialisme

Le concept de colonialisme est complexe et a fait l’objet d’une littérature abondante, le colonialisme peut se définir très simplement comme « la domination par un peuple

issu d’une autre culture47 » et de manière plus précise comme «une relation de domination établie entre des collectivités dans laquelle les décisions fondamentales concernant le mode de vie des colonisés sont prises par une minorité de colonisateurs issus d’une culture différente et rétifs à toute adaptation ; ces derniers prennent ces

46 Supra note 21

47 CURTIN, P., « The Black Experience of Colonialism and Imperialism », Slavery, Colonialism, and

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11

décisions et les appliquent effectivement en accordant la priorité à des intérêts extérieurs à ceux des colonisés. Au cours des temps modernes, le colonialisme est lié à des doctrines de justification relevant d’une idéologie missionnaire, et qui reposent sur la conviction, de la part des colonisateurs, d’être culturellement supérieurs48». Le

droit a d’ailleurs été l’un des instruments de conceptualisation et de légitimation du colonialisme. Ainsi ce sont des doctrines juridiques comme celles de la doctrine chrétienne de la découverte et la doctrine de la terra nullius49 qui ont en partie permis

de justifier les politique d’expansion territoriale et de colonisation. Le colonialisme se fonde également sur l’idée d’une « mission universelle civilisatrice » basée sur la « conviction que la culture des colonisateurs jouissait d’une suprématie culturelle »50

et ethnique51. Ainsi le « fardeau de l’Homme blanc »52 serait de permettre aux peuples

colonisés d’accéder aux bienfaits de la modernité et de la civilisation occidentale. A la lueur de ces éléments , cette politique de domination, qui n’induit pas nécessairement la destruction physique et biologique du groupe colonisé, peut donc parfaitement se réaliser par des pratiques de destruction de l’identité culturelle et sociale du groupe colonisé à des fins d’assimilation et d’intégration forcée53. Pour

Mako Shamiran, le génocide culturel constitue même l’une des armes les plus efficaces d’une politique coloniale : « For colonial administrations, cultural genocide

became the most expedient way for tackling indigenous integration without the physical annihilation of aboriginal peoples 54».

48 OSTERHAMMEL, J., « « Colonialisme » et « Empires coloniaux » », Labyrinthe, 2010, n°35, p.

57-68, p 60

49 Ces théories sont développées à partir de la seconde moitié du XVe siècle par le biais de bulles

papales. La théorie de la découverte donne aux nations chrétiennes le droit de coloniser les terres qu’elles « découvrent ». La doctrine de la terra nullius consiste à considérer que toute terre découverte n’appartient à personne ce qui permet à celui qui la découvre d’en revendiquer la propriété. Cette doctrine permet notamment de soutenir que les peuples autochtones n’ont aucun droit sur les territoires sur lesquels ils se trouvent. Voir supra, note 1, p. 47-53

50 OSTERHAMMEL, J., Op. cit. note 48, p 59 51 Supra note 1, p 50

52 Pour reprendre le nom d’un poème de Rudyard Kipling, écrit en 1899.

53 DAVIS, R. et ZANNIS, M., « The Genocide Machine in Canada », Black Rose Books, 1973, p 30 :"The

intention to replace independence with dependence, an integral factor for all colonial systems, is proof of intent to destroy. Colonialism controls through the deliberate and systematic destruction of racial, political and cultural groups. Genocide is the means by which colonialism creates, sustains and extends its control to enrich itself".

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À l’instar des autres peuples colonisés, les peuples autochtones ont, à travers le monde, fait l’objet de politiques d’assimilation agressives qui pourraient équivaloir ou correspondre à des actes de génocide culturel, voire de génocide, ce qui permet d’établir un second lien entre génocide culturel et peuples autochtones.

6. Génocide culturel, colonialisme et peuples autochtones

L’expression « peuples autochtones » ne connait pas de définition générale que ce soit en droit international ou au sein de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Néanmoins les Nations Unies ont tout de même déterminé l’existence d’un certain nombre de critères permettant de définir les peuples autochtones :

« Tout d’abord un important sentiment d’appartenance ethnique (critère

fondamental).

La situation de continuité historique avec les sociétés précoloniales ou antérieures aux invasions sur leur territoire;

La différence avec le reste de la population;

L’absence de domination et la détermination à préserver, développer et transmettre aux générations futures leur identité et leurs territoires ancestraux, dans le respect de leurs propres cultures, institutions sociales et système de justice.

Un fort lien avec les territoires et les ressources naturelles qui les entourent; Des systèmes sociaux, économiques et politiques propres;

Une langue, une culture et des croyances propres.55 »

Le Canada recense plus d’1,4 millions de personnes s’identifiant comme autochtones56. Il existe au sein de ces peuples autochtones une grande diversité,

puisqu’il existe entre soixante et quatre-vingts « nations » (les Cris, les Innus, les Inuits, les Atikamekw, les Hurons-Wendats, les Mohawks, les Mi’kmaq, les Abénaquis, les Malécites ou encore les Naskapis pour ne citer que certaines d’entre elles) et des centaines de communautés locales, qui communiquent entre elles par le biais de

55 Les peuples autochtones et le système de protection des Droits de l’Homme des Nations Unies,

9/Rev.2, Haut-Commissariat des Droits de l’Homme, 2013, p.3.

56 Un aperçu des statistiques sur les Autochtones, 2° édition, Statistique Canada, 2015, en ligne :

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13

dizaines de langues différentes57. Ces peuples autochtones ont fait l’objet de politiques

coloniales particulièrement intenses à la suite de l’expansion européenne en Amérique après le XVIe siècle, dont le récit a été retracé notamment par le rapport final de la Commission Vérité58.

Cette politique coloniale avait pour objectif l’assimilation totale des peuples autochtones et l’appropriation de leurs territoires et de leurs ressources. Le sous-ministre des Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott, expose ainsi les grandes lignes de cette politique en 1920, alors qu’il déclare à un comité parlementaire que «

notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été intégré à la société, qu'il n'y ait plus de question indienne, ni de ministère des Indiens59». Le principal instrument juridique de cette domination fut la Loi sur les

Indiens (dont le titre abrégé à l’époque était « L’Acte des Sauvages ») adoptée en 1876 sur la base de lois pré-confédératives, et qui a mis en œuvre à la fois le processus d’assimilation (en créant un statut discriminatoire Indien voué à disparaitre, en interdisant certaines pratiques culturelles…), l’appropriation territoriale mais également les conditions juridiques favorable au développement du système de pensionnats autochtones, mis en place par l’Eglise et le gouvernement canadien. Ainsi, les pensionnats ont été le fer de lance de cette politique d’assimilation. Entre 1880 et 1960, plus de 150 000 enfants, soit plus de 4 générations d’autochtones, ont intégré par la contrainte ces pensionnats dont l’objectif était de « tuer l’Indien chez

l’enfant60». La Commission Vérité retrace le fonctionnement de ces pensionnats et les

violences subies par les enfants autochtones enlevés à leur famille : l’interdiction de la langue, des coutumes et des pratiques culturelles, la malnutrition, le travail forcé, la maltraitance et les violences physiques et culturelles. Dès son introduction, elle qualifiera le système de pensionnats « d’élément central » dans le génocide culturel perpétré à l’égard des peuples autochtones au Canada61.

57 GUAY,C. et GRAMMOND, S., « Les enjeux de la recherche concernant l’enfance et la famille

autochtones », Enfances, Familles, Générations, 2016, n°25, p 2.

58 Supra note 1, L’Histoire, p 41-137.

59 "Témoignage de D. C. Scott devant le Comité spécial de la Chambre des communes sur les

modifications à la Loi sur les Indiens de 1920", Propos tiré des Archives Nationales du Canada,

(L-2)(N-3). » (1920) 7:470-2‑3 Bibl Arch Can RG10.

60 Toujours selon les propos attribués à Duncan Campbell Scott. 61 Supra note 1, p. 11.

(20)

14

Des politiques coloniales extrêmes telles que celles des pensionnats, semblent donc

a priori correspondre au concept de génocide culturel. Cette affirmation, sur laquelle

nous reviendrons, touche le cœur et l’enjeu du concept : élever au rang d’incrimination le génocide culturel, c’est en partie incriminer certaines pratiques coloniales.

On perçoit dès lors la force symbolique, les conséquences concrètes mais également la complexité des interrogations entourant la reconnaissance juridique du concept de génocide culturel. Si, pour de nombreux auteurs, l’idée d’une inclusion du génocide culturel dans le champ pénal international par le biais d’une incrimination nouvelle, ne relève que de l’utopie62, les contextes de décolonisation et les processus de

réconciliation tel que celui mis en œuvre au Canada envers les populations autochtones peuvent constituer un nouvel élan, du moins une nouvelle perspective favorable à une telle réflexion. Cela invite également à déterminer de quelle manière le droit international pénal appréhende la destruction culturelle d’un groupe de population en passant par d’autres voies juridiques que la criminalisation du génocide culturel.

Il s’agira de se demander de quelle manière le droit international pénal appréhende le concept de génocide culturel et si les réponses données sont satisfaisantes. La réflexion porte donc sur un concept, le génocide culturel, et sur les différents instruments juridiques permettant -ou non- de l’appréhender.

Pour répondre à cette problématique, trois questions de recherche peuvent être envisagées : Il s’agira de se demander pourquoi et comment le génocide culturel a-t-il été exclu de la Convention de 1948 sur la répression et la prévention du génocide. Cela invite à s’interroger par quels instruments juridiques le droit pénal international appréhende la destruction culturelle d’un groupe à défaut d’une incrimination spécifique de génocide culturel. Cela permettra d’envisager selon quelles modalités pourrait-on inclure de manière pertinente le génocide culturel dans le champ des infractions internationales. La question de l’effectivité du droit international pénal ne sera pas directement envisagée.

62 SCHABAS, W., « State policy as an element of international crimes.(Symposium on Redefining

(21)

15

Ce sujet s’articulera donc entre deux approches méthodologiques : Une première approche descriptive à travers l’analyse des raisons qui ont mené à l’exclusion du génocide culturel dans la Convention, et l’étude des différents instruments juridiques susceptibles d’appréhender certains aspects du génocide culturel en l’absence d’une codification générale. Une seconde approche normative lorsqu’il s’agira de proposer des éléments de réflexion dans la perspective de construire une incrimination de génocide culturel. Le traitement historique des peuples autochtones au Canada servira à illustrer de manière pertinente les propos théoriques développés.

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PREMIERE PARTIE :

L’INFRACTION DE GENOCIDE, UN CADRE JURIDIQUE

TROP ETROIT POUR ENGLOBER LE GENOCIDE

CULTUREL

De nombreuses raisons juridiques et politiques ont mené à l’exclusion du génocide culturel lors de la rédaction de la Convention sur le génocide de 1948, limitant l’incrimination à une dimension physique et biologique (Titre 1). Malgré les tentatives jurisprudentielles d’opérer à un recalibrage de l’incrimination pour qu’elle intègre une dimension culturelle, c’est l’approche restrictive de l’incrimination qui a été maintenue, permettant d’affirmer que le crime de génocide dans sa construction et dans son interprétation actuelle n’est pas à-même d’appréhender le génocide culturel (Titre 2 ).

TITRE 1 : L’EXCLUSION HISTORIQUE DU GÉNOCIDE CULTUREL

AU TRAVERS D’UNE DÉFINITION RESTRICTIVE DU GÉNOCIDE

Mise en contexte. La construction d’une infraction aussi importante que celle de

génocide s’est nécessairement inscrite dans un temps de préparation et de réflexion63.

Durant cette période précédant la ratification de la Convention -ratifiée pour rappel le 9 décembre 1948-, les Nations engagées dans ce processus ont ainsi débattu, discuté et soulevé les nombreuses questions juridiques inhérentes à la réalisation de ce projet. Le 11 décembre 1946, l’AGNU dans la résolution 96(I), en plus d’affirmer que le crime de génocide est un crime de droit des gens (jus cogens), invite ainsi les Etats membres « à prendre les mesures législatives nécessaires pour prévenir et réprimer ce crime »64

dans le cadre d’une « collaboration internationale »65. Cette résolution qui constitue

63 Plus de deux ans auront été nécessaire à la ratification de la Convention

64 Résolution sur le crime de génocide, A/RES/96(1), Assemblée Générale des Nations Unies, 1946, p.

188-189

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17

finalement l’acte de naissance de la Convention sur le génocide, charge le Conseil économique et social des Nations unies de réaliser les recherches qui mèneront à l’élaboration d’un projet de Convention sur le génocide.

Un premier projet préparé par le Secrétariat général des Nations unies, et réalisé avec la collaboration des juristes Raphaël Lemkin, Henri Donnedieu de Vabres et Vespasien Pella, est rendu le 26 juin 194766. Il est intéressant de noter que dès la rédaction de

ce projet émergent des désaccords quant à l’inclusion du génocide. Lemkin soutenait la dimension culturelle du génocide, crime qui pourrait parfaitement se mettre en place par des politiques « qui par des moyens draconiens, viseraient à la destruction rapide

et complète de la vie culturelle, morale, religieuse d’un groupe humain »67. Au contraire

les professeurs Donnedieu de Vabres et Pella y voyaient une « extension excessive de

la notion de génocide » 68. Le rapport a tout de même présenté une liste d’actes qui

pourraient constituer un génocide culturel :

a) « Le transfert forcé d’enfants dans un autre groupe humain »

b) « L’éloignement forcé et systématique des éléments représentatifs de la culture

du groupe »

c) « L’interdiction d’employer la langue même dans les rapports privés »

d) « La destruction systématique des livres imprimés dans la langue nationale ou des ouvrages religieux ou l’interdiction d’en faire paraître de nouveaux »

e) « La destruction systématique ou désaffectation des monuments historiques et

des édifices du culte, la destruction ou dispersion des documents et souvenirs historiques, artistiques, ou religieux et des objets destinés au culte »69

Seule la question du transfert forcé d’enfants faisait consensus auprès des membres de la commission chargée d’élaborer ce projet, pour que de tels actes soient couverts par l’incrimination de génocide. Si ce rapport pose les premières bases sur lesquelles

66 Projet de Convention sur le crime de génocide, Conseil Economique et Social des Nations Unies,

E/447, 1947

67 Ibid, p. 31 68 Ibid p. 31 69 Ibid p.33

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18

construire le projet de Convention, il apparait comme incomplet et insuffisant moins d’un an après la résolution 96(I)70.

Il sera suivi par un second projet de Convention porté par un comité spécial constitué de plusieurs délégations représentées aux Nations Unies (la Chine les Etats-Unis d’Amérique, la France , le Liban, L’Union Soviétique, la Pologne et le Venezuela)71.

Ce rapport qui prend véritablement la forme d’une Convention inclut en son article III une définition spécifique ( et séparée du génocide physique et biologique) du génocide culturel :

« Dans la présente Convention, le génocide s’entend également de tous actes

prémédités commis dans l’intention de détruire la langue, la religion ou la culture d’un groupe national, racial ou religieux en raison de l’origine nationale ou raciale ou des croyances religieuses, de ses membres, actes tels que :

1) L’interdiction d’employer la langue du groupe dans les rapports quotidiens ou dans les écoles, ou l’interdiction d’imprimer et de répandre des publications rédigées dans la langue du groupe ;

2) La destruction des bibliothèques, musées, écoles, monuments historiques,

lieux de culte ou autres institutions et objets culturels du groupe ou l’interdiction d’en faire usage »72.

On peut noter que les contours de la définition de génocide culturel ont été drastiquement réduits par rapport au premier projet, le nouvel article III limitant le génocide culturel à la destruction d’éléments tangibles de la culture d’un groupe73.

C’est cet article III qui concentrera les réflexions et les discussion durant les séances de la troisième commission de l’AGNU durant l’année 1948. De nombreux obstacles

70 Dans sa résolution 180 (II), le CEE invite à approfondir les recherches et les propositions sur la

question avant une ratification définitive

71 Rapport du Comité et nouveau projet de Convention, Conseil Economique et Social des

Nations-Unies, E/794, 1948

72 Ibid, p. 16

73 HON, K., « Bringing Cultural Genocide in by the Backdoor: Victim Participation at the ICC Comment »,

Seton Hall Law Review, 2013, vol43, n°1, p. 359-408, p 366 : "The resulting draft eliminated the previous

draft's trichotomy by combining physical and biological genocide into a single article; it also drastically curtailed the definition of cultural genocide, excising all references to acts committed against people, focusing strictly on the destruction of tangible items"

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19

juridiques (Chapitre I) et politiques (Chapitre II) ont entrainé l’exclusion de l’article III, et donc l’exclusion du génocide culturel, de l’infraction de génocide.

Chapitre I : Le débat juridique entourant l’exclusion du génocide

culturel

Section 1 : L’admission du génocide culturel, principal désaccord entre les délégations lors du processus de ratification de la Convention

La lecture des comptes rendus des séances de la troisième commission de l’Assemblée générale, chargée des questions juridiques, permet de souligner l’existence de différentes positions au sein des délégations. Au-delà du seul clivage pour/contre l’inclusion du génocide culturel, les discussion ayant entouré la ratification de l’article III sont très révélatrices de la manière donc chaque Etat appréhende à ce moment, la question de la préservation de la culture et de l’identité culturelle74 .

Délégation favorable à l’inclusion du génocide culturel. Au sein des délégations

favorables à l’inclusion du génocide culturel dans la Convention, il est possible de cerner deux grands « blocs », pour reprendre le terme utilisé par Johannes Morsink75,

que sont les délégations communistes portées par l’Union Soviétique et les délégations du Moyen-Orient au sens très large.

Les délégations communistes dont l’URSS, la République de Biélorussie, la République d’Ukraine, la Tchécoslovaquie, et la République de Pologne ont dès le début du processus apporté leur appui à l’inclusion du génocide culturel. Pour ces délégations, un lien indissociable doit être tracé au sein de la Convention entre le génocide et les crimes commis par les puissances nazies et fascistes durant la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi la délégation ukrainienne « souligne le lien

incontestable qui existe entre le crime de génocide et les théories raciales nazies et

74 MORSINSK, J., « Cultural Genocide, the Universal Declaration, and Minority Rights », Human Rights

Quarterly, 1999, vol. 21, n°4, p. 1009-1060, p. 1029.

(26)

20

fascistes et s'étonne du fait que le projet de convention actuellement soumis à la Commission ne souligne pas ce lien »76 Pour ces délégations, incriminer le génocide

culturel constitue un « instrument véritable de lutte contre le génocide »77.

Les délégations du Moyen-Orient ont également (à l’exception de l’Iran) apporté leur accord pour inclure le génocide culturel dans la Convention. On peut noter l’importance de la délégation libanaise, seule nation du Moyen-Orient membre du Comité spécial ayant réalisé le second projet de Convention, qui nous le verrons dans la section suivante a apporté une argumentation remarquablement développée pour construire la légitimité du concept de génocide culturel. Le Pakistan, en raison du conflit religieux qui l’opposait déjà à l’Inde à cette époque78, a également fait montre d’un intérêt très

particulier pour la question du génocide culturel.

Délégations opposées à l’inclusion du génocide culturel. Les deux « blocs » qui

se sont largement opposés à l’inclusion de la dimension culturelle du génocide sont le bloc des pays d’Amérique (du Nord avec les Etats-Unis et le Canada, mais aussi du Sud avec la plupart des pays d’Amérique Latine dont le Brésil, la Bolivie, le Chili ou encore le Pérou à l’exception notable du Venezuela qui a été l’un des plus fervents défenseurs de l’inclusion du génocide culturel) ainsi que le bloc des pays d’Europe occidentale (dont la France, le Royaume-Uni, la Belgique, le Danemark et la Suède notamment). Pour ces deux blocs, les argument invoqués ont été sensiblement les mêmes. C’est d’ailleurs l’ensemble ce ces arguments juridiques qu’il s’agit désormais d’analyser.

76 note 21, p. 26. 77 Ibid, p. 27.

78 Plus précisément en raison de la présence de plusieurs millions de Musulmans au Nord de l’Inde, et

qui ont fait l’objet pour le Pakistan d’un génocide : « Cet intérêt n'est pas purement académique; il est suscité par les actes de génocide dont fut victime un groupe déterminé de la population de l'Inde, les Musulmans » Ibid, p 10.

(27)

21

Section 2 : La justification juridique de l’exclusion du génocide culturel de la Convention

Au cours des discussions, plusieurs arguments ont été soulevés pour justifier l’exclusion de l’article II de la Convention79 et tous ont fait l’objet d’opposition

argumentées par les délégations favorables à l’inclusion du génocide culturel.

Le génocide culturel ne constitue pas un véritable génocide. Le premier argument

a été de considérer qu’il existait une distinction nette entre le génocide physique et biologique d’une part, et le génocide culturel d’autre part et que seul le génocide physique et biologique pouvait constituer une infraction au titre de la Convention. La délégation canadienne le dit clairement : « elle estime que la notion de génocide doit

être limitée aux destructions physiques massives des groupes humains »80.

Sans nier totalement le concept de génocide culturel, cette approche consiste à considérer que la destruction du groupe ne peut véritablement intervenir que par sa destruction physique ou biologique, par conséquent les génocides culturel et physique ne seraient pas des comportements de même nature . Ainsi comme l’indique la délégation états-unienne : « la notion nouvelle et vaste de génocide culturel,

c'est-à-dire la destruction d'une culture, n'a aucun lien avec la notion, plus connue, de génocide par la destruction physique des membres d'un groupe humain »81. Cet

argument est étroitement lié à celui d’une hiérarchisation entre les génocides. Dans cette perspective il n’est pas possible de mettre sur le même plan au travers d’une seule infraction, et donc de considérer avec une même gravité, l’extermination de masse d’un groupe visé, et des actes visant à la destruction de l’identité culturelle de ce groupe. En ce sens la délégation danoise y voit « une erreur de perspective logique

dans le fait de faire figurer dans la même convention le meurtre en masse dans les chambres à gaz et la fermeture des bibliothèques»82. Les actes de génocide culturel

ne choqueraient ainsi pas d’une même manière « la conscience mondiale»83 des

Nations, qui pousse à la ratification de cette Convention.

79 Pour une brève présentation de ces justifications voir HON op. cit. supra note 73, p. 368-369 80 Supra, note 21 , p. 200

81 Ibid p. 203 82 Ibid, p. 199

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22

Les nations favorables à l’inclusion du génocide culturel ont au contraire particulièrement insisté sur l’importance du génocide culturel et sur le lien étroit qu’il entretient avec le génocide physique.

Pour ces nations, la destruction du groupe peut parfaitement intervenir par autre chose que la seule destruction physique et biologique du groupe84. Elles notent d’ailleurs que

même les nations défavorables à l’inclusion du génocide culturel l’ont implicitement admis. Le Venezuela le rappelle au travers de l’exemple du transfert forcé d’enfants qui a fait l’objet d’un consensus au sein de l’Assemblée Générale, ce qui est parfaitement paradoxal puisque cet acte en lui-même n’entraine pas la disparition physique ou biologique du groupe, mais uniquement le déplacement de certains de ces membres. En admettant cet acte parmi la liste des actes incriminés par le génocide, les nations concèdent qu’un groupe visé puisse subir un génocide alors même qu’il ne fait pas l’objet de destruction physique ou biologique85. La

hiérarchisation au sein des génocides ne serait en ce sens fondée que sur des postulats subjectifs qui peuvent être renversés. Comme l’affirme la délégation pakistanaise, les traits d’identification de la vie spirituelle, religieuse et culturelle peuvent être au contraire considérés par le groupe lui-même comme aussi importants que la vie des individus le composant86.

C’est finalement l’idée d’un processus dans le phénomène génocidaire et d’une complémentarité entre le génocide culturel et le génocide physique qui domine chez les délégations favorables à l’inclusion du génocide culturel. Pour reprendre les termes invoqués par la délégation libanaise : « Ainsi est mis en lumière le lien qui rattache le

génocide culturel au génocide physique; ce ne sont que les deux faces d'un même acte, qui ont la même origine et le même but: la destruction du groupe, soit par l'extermination de ses membres, soit par la suppression de ses traits distinctifs »87.

84 Ainsi l'URSS: "Dans le génocide, l'élément important est l'intention de détruire, totalement ou

partiellement, un groupe déterminé. La destruction physique des membres du groupe est un moyen de réaliser cette intention; la destruction de la culture de ce groupe en est un autre" Ibid p. 205

85 Ibid p. 195: "La Commission a inclus un cinquième point, prévoyant le "transfert force d'enfants dans

un autre groupe humain"; ainsi la Commission a reconnu implicitement qu'un groupe peut être détruit alors que les individus qui le constituaient continuent à vivre d'une façon normale, sans avoir subi d'atteinte physique"

86 Ibid p. 197: "Le représentant du Pakistan tient à rappeler que, dans la plupart des pays d'Orient, la

protection des livres sacrés et des temples religieux est plus importante pour des millions d'hommes que leur vie elle-même »

(29)

23

Des actes de génocide culturel peuvent constituer une première étape menant au génocide physique, ou intervenir en concomitance avec ce dernier88. Il serait donc

incohérent et insatisfaisant, si l’objectif est bien de réprimer le génocide sous toute ses formes, de restreindre l’infraction à sa dimension physique et biologique89. La

Résolution 96 (I) fait d’ailleurs mention lorsqu’elle invite les Etats à ratifier une Convention sur la répression du génocide de la « perte culturelle »90 qu’un tel acte

inflige à l’Humanité.

L’imprécision du concept. Le second argument avancé est relatif à la définition

même du concept. Le génocide culturel serait trop « vague » et « imprécis »91 pour

recevoir une qualification juridique consistante et prévisible, ce qui contreviendrait à certains principes fondamentaux du droit pénal moderne et en premier lieu le principe de légalité des délits et des peines. En effet, le principe de légalité des délits et des peines, en latin Nullum crimen, nulla pœna sine lege, implique dans son approche matérielle l’obligation de poser des textes prévisibles c’est-à-dire clairs et précis. Ce principe a vocation à s’appliquer aux infractions internationales, et des délégations ont ainsi douté de la capacité à qualifier juridiquement, avec précision, des atteintes à la « culture » ou aux « biens culturels »92. Tracer la limite relèverait ainsi d’un problème

insoluble qui nécessite d’écarter l’article III du texte de la Convention93.

Pour les nations favorables à l’article III, le respect de la légalité criminelle, et la nécessité d’une texte précis ne sont pas incompatibles avec l’inclusion du génocide culturel. La délégation biélorusse a en ce sens rappelé que « l'article III vise, non pas

une limitation de la vie culturelle des groupes, mais des actes matériels tendant à détruire la langue, la religion ou la culture d'un groupe pour des motifs de haine

88 La délégation vénézuélienne prend ainsi pour exemple toutes les agressions et les « outrages violents

des nazis à l’égard de la vie culturelle et religieuse des groupes qu’ils entendaient détruire » voir Ibid,

p. 194

89 Ibid p. 194

90 Supra note 71, p. 189

91 La France et les Etats-Unis ont notamment soulevé cet argument, voir supra note 21, p. 8 et 203 . 92 Ibid, p. 201

93 Ainsi la position du Danemark: "D'une part, le texte qui est soumis à la Commission omet beaucoup

d'actes qui pourraient également être qualifiés de génocide culturel ; d'autre part, beaucoup d'actes, qui ne sont pas criminels, pourraient être qualifiés par ces termes. Il faut omettre tout ce qui n'a pas trait au génocide proprement dit. Du point de vue pratique, il est permis de prévoir l'embarras des tribunaux nationaux ou internationaux chargés de la répression du génocide s'ils ont statué dans ce domaine incertain du génocide culture! qui touche directement aux éléments les plus complexes de l'âme humaine" Ibid p. 198

(30)

24

nationale, raciale ou religieuse ». Si en effet le terme « culturel » est relativement large

( la même affirmation pourrait être cependant faite pour le terme « physique » ou « biologique »), il suffit, de la même manière que pour le génocide physique, de prévoir une « catégorie d’actes »94 visés. Or l’article III, tout comme l’article II sur le génocide

physique et biologique comporte dans son libellé des actes incriminés bien délimités, qui ne prennent en compte que des formes matérielles, tangibles de la culture. L’interdiction de la langue, ou la destruction des bibliothèques par exemple ne semble pour ces délégations pas constituer des actes moins précis que le meurtre des membres du groupe ou l’atteinte à leur intégrité physique ou mentale. Il peut d’ailleurs être rappelé que le texte de l’article III a été réduit à des éléments bien plus restreints que ce qui était proposé par le premier projet, justement pour éviter le risque d’un texte d’incrimination trop imprécis.

Un concept relevant de la protection des droits de l’Homme. Un autre argument

systématiquement utilisé par les deux blocs s’opposant à l’article III, est que la « répression du génocide culturel devrait relever des droits de l’Homme »95. Il est

intéressant de noter qu’au-delà des déclarations de principe, peu d’arguments, pour ne pas dire aucun, sont apportés par ces délégations pour expliquer en quoi et pourquoi, au contraire du génocide physique, le génocide culturel aurait sa place au sein des droits humains et non pas au sein des infractions internationales. La raison peut se trouver, selon Johannes Morsink, dans le contexte dans lequel s’inscrit la ratification de la Convention sur le génocide. La ratification de cette Convention est selon lui étroitement liée à la ratification de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme -dont la ratification a eu lieu le 10 décembre 1948, soit le lendemain de celle de la Convention sur le génocide- dont les débats ont été menés en parallèle96. Les

délégations souhaitant l’abandon de l’article III de la Convention ont ainsi assuré, qu’en contrepartie, la protection contre le génocide culturel serait réalisée à travers des dispositions spécifiques au sein de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

94 Terme utilisé dans le nouveau projet de Convention pour désigner les actes constitutifs de génocide,

voir supra note 71, p. 13

95 Ainsi la France voir supra note 21, p. 8, les États-Unis voir Ibid p. 203, les pays-Bas voir Ibid p. 203,

la Nouvelle-Zélande voir Ibid p. 28 ou encore le Brésil voir Ibid p. 6

96 MORSINK, op. cit. note 74, voir notamment à la p. 1022 qui démontre à quel point les débats ont été

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