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La régulation asymétrique et la littérature économique

3.1 Introduction

Les industries de réseau sont très particulières dès que l’on parle de concurrence. En effet, celle-ci est inefficace si l’on ne l’accompagne pas d’une régulation. Cette inefficacité tient au fait que les fonctions de coût sont sous-additives et à la présence d’économies à la fois d’échelle et d’envergure. Ces caractéristiques, ajoutées à celles vues précédemment1, justifiaient la présence d’une structure de monopole, régulé et intégré verticalement, par-faitement soutenable. Il est donc aujourd’hui difficile d’introduire une concurrence dans ces industries2.

La communauté européenne ouvre les maillons de l’industrie qui ne sont pas en mo-nopole naturel, régule l’activité de transport pour favoriser la concurrence mais se heurte aux barrières précédentes. L’ouverture ne se déroule pas aussi rapidement que voulu et tout écart de temps retarde d’autant plus les effets positifs attendus de la libéralisation. Pour accélérer cette ouverture, la Commission avance seulement le calendrier qui était prévu lors de la directive originelle et accroît la transparence (deuxième directive adoptée en juin 2003) mais ne donne aucune consigne supplémentaire. Chaque Etat est libre quant au choix de recourir à une Régulation Asymétrique (RA) aux dépens des opérateurs

domi-1Ces principales caractéristiques sont les contrats à long terme, les capacités de transport et les missions de service public.

2Ces marchés sont caractérisés par des monopoles publics en situation de position forcément dominante lors de l’ouverture des marchés.

de son marché gazier.

Deux visions théoriques de la concurrence dans les activités de réseau peuvent être relevées :

— La première consiste à observer le nombre d’entrées sur un marché ou l’évolution des parts de marché de chaque entreprise depuis la date de transposition de la directive. Pour cela, l’autorité concernée (le régulateur ou la Commission Européenne) peut utiliser les indices de concentration d’Herfindahl-Hirschman (HHI, utilisés aux Etats-Unis) ou les ratios de concentration (CRn, utilisés par l’Office Fédéral des Cartels allemand), ou encore l’indice de Lerner3. Si la concentration ou le pouvoir de marché sont trop importants (parts de marché élevées), l’idée de favoriser l’entrée de concurrents peut être une solution pour développer la concurrence. En effet, il ne faut pas qu’une entreprise qui dispose d’une trop forte part de marché puisse manipuler les prix (Percebois [2003]). Il faut que les entreprises du secteur restent preneuses de prix, qu’elles ne disposent pas d’un pouvoir de marché. Par cette augmentation du nombre d’acteurs, le régulateur espère une diminution des asymétries d’information et une incitation naturelle à l’effort portée par la concurrence, donc une réduction des inconvénients dus à la bureaucratie ;

— la seconde consiste à appréhender la concurrence à travers la théorie des marchés contestables, traitée notamment par Baumol, Panzaret Willig(1982). Une façon d’introduire une forme de concurrence est de rendre ces marchés gazier et électrique contestables, c’est-à-dire introduire entre autre la libre entrée et sortie du marché et lutter contre les subventions croisées. Si nous nous situons dans le cadre de cette théorie, la structure de l’industrie est la structure naturelle de l’activité. Dans ce cas, un monopole régulé peut être efficace pour réaliser l’activité puisqu’il est soumis à des menaces crédibles d’entrées s’il adopte un comportement anticoncurrentiel. S’il pratique un prix qui est tel que toute la demande ne soit pas satisfaite, alors des opportunités de profit apparaissent pour des entrants. Ceux-ci peuvent, en proposant un prix juste en-dessous de celui du monopole, capter des clients. Cette solution permet de conserver les bienfaits des économies d’échelle et d’envergure, de réaliser des économies de coûts. Mais, elle est soumise aux différents problèmes soulevés à la fois par la théorie de la bureaucratie, ainsi qu’aux asymétries d’information

3Cet indice mesure le pouvoir de marché d’une entreprise grâce à l’écart entre le coût marginal de production et le prix effectivement pratiqué.

(Laffont [1992]) et nécessite un recours à la théorie des incitations4.

Cette façon de voir la concurrence à travers l’augmentation des intervenants sur un marché plutôt qu’à travers la contestabilité des marchés semble être celle retenue par la Commission Européenne. Même si les directives cherchent à abaisser certaines barrières pour augmenter la contestabilité du marché, ce sont les nouvelles entreprises qui ont pu pénétrer le marché et les parts de marché des différents acteurs qui sont le plus souvent regardées pour jauger la concurrence qui s’exerce sur ce marché. En effet, il semblerait que le nombre d’acteurs soit privilégié, espérant de ce fait gommer en partie les inefficacités et asymétries qui pourraient apparaître lors de la libéralisation (bureaucratie, inefficacité, incitation à l’effort. . . ). Cette vision est partagée par un certain nombre de régulateurs (Grande-Bretagne, Espagne, Italie, France) qui souhaitent accroître le nombre d’acteurs sur leurs marchés respectifs rapidement. D’autres (Allemagne et Autriche) cherchent à contrebalancer le poids d’un opérateur dominant pour éviter les éventuels pouvoirs de marché, notamment de la part des détenteurs à la fois d’activités commerciales et d’in-frastructures essentielles (essential facility). Pour cela, ces autorités de régulation ou de concurrence prennent des dispositions supplémentaires pour baisser certaines barrières5.

Pour certains régulateurs, les marchés ne sont donc pas contestables puisque l’entrée n’est pas libre, notamment en raison d’un accès aux inputs essentiels (ici le gaz naturel) difficile. Le marché est concentré, notamment le marché de gros (SEC [2003]), ce qui rend possible d’éventuelles manipulations de prix. La Commission Européenne, après avoir édicté des règles visant à diminuer les barrières à l’entrée du marché6, voit plutôt un marché concurrentiel sous la forme de plusieurs entreprises que sous celle d’une seule

4L’entreprise révèle ses vrais coûts, ce qui permet au régulateur de lui abandonner une rente informa-tionnelle plus faible, coûteuse pour la collectivité (pour la détermination d’un contrat optimal en présence d’asymétries d’information, voir Laffontet Martimort[2002], p43). Dans la suite du document, nous considérerons qu’il n’y a pas d’asymétrie informationnelle entre le régulateur et l’opérateur historique. Nous les évoquerons seulement de façon brève dans certains cas. Les expériences empiriques justifient notre choix puisque les régulateurs ont une bonne information sur les coûts d’approvisionnement des opérateurs historiques. Cette information leur permet de déterminer le prix moyen de rétrocession ou le prix plancher en cas d’enchères. Pour une étude de la régulation des prix d’accès à un bien essentiel, en information complète et avec des asymétries d’information entre le régulateur et l’opérateur, le lecteur pourra se référer par exemple à Foroset al. (2002).

5Ces dispositions sont de diminuer le poids de l’opérateur dominant et lui imposer un prix minimum, de donner l’accès aux ressources aux entrants.

6Ces règles sont entre autre la séparation juridique pour réduire les subventions croisées, un bon accès à l’information sur les tarifs ATR et les capacités de transport disponibles, sur les éligibles.

Toutefois, vouloir aller trop vite et trop accélérer l’ouverture du marché en favorisant les entrées, en abaissant voire en éliminant certaines barrières, peut avoir cet effet per-vers : des entrées inefficaces peuvent se produire, mettant en danger la qualité du service (l’industrie du rail en Grande-Bretagne nous l’a montré) et la santé financière des opéra-teurs déjà en place, créant des coûts échoués (l’impossibilité de British Gas d’honorer ses contrats de long terme après la régulation asymétrique appliquée par OFGAS7 en est un bon exemple). Une autre préoccupation est la possible apparition de stratégies d’écré-mage8,en ouvrant les parties rentables de l’activité au concurrent et en laissant l’opérateur historique assurer les missions sociales (Beesley[1997] ; Armstrong[1999] ; Carsberg [1993]). Les industries de réseau ont cette caractéristique, à savoir que la concurrence peut être déloyale et destructrice. L’opérateur historique, qui est concurrencé par un entrant qui a bénéficié d’une régulation asymétrique, va devoir s’il veut rester compétitif, bais-ser ses tarifs. Il va devoir pratiquer un prix proche de son coût marginal. Ce tarif ne lui permettra plus de recouvrer les coûts fixes qu’il a engagés dans l’activité9.

Dans une première section, nous étudierons les enseignements de la littérature sur les régulations asymétriques. De nombreux auteurs ont étudié les avantages et les problèmes que ce type de régulation engendre dans les industries de réseau. Nous verrons que le caractère "favoriser les entrées" est toujours présent dans ces analyses mais qu’il ne suffit pas pour s’assurer d’une concurrence sur ces marchés qui restent la plupart du temps oligopolistiques. Le rôle du régulateur est primordial pour s’assurer du bon fonctionnement du marché, de la viabilité de l’activité et de la conservation de l’efficacité, notamment productive. La deuxième section s’attachera à montrer que le problème des régulations asymétriques, et plus particulièrement lors de l’adoption d’un programme de GR, peut être représenté par une concurrence oligopolistique de type Bertrand avec des contraintes sur les capacités de production (représentées ici par l’accès à la molécule de gaz). Dès lors, les équilibres ne sont plus facilement calculables (la majorité sont en stratégies mixtes) et des stratégies de rétension peuvent apparaître afin de manipuler les prix ou de servir

7L’OFGAS, le régulateur anglais gazier, et l’OFFER, son homologue pour le secteur électrique, ont été rassemblés dans une seule entité de régulation en décembre 2000, l’OFGEM.

8L’écrémage (ou cream-skimming) est une stratégie que peut adopter un entrant et qui consiste à cibler les parties (clients) les plus rentables de l’activité.

9BritishEnergy, avec la diminution des prix de l’électricité en Grande-Bretagne, n’a pas pu honorer ses obligations et, sans l’aide de l’Etat britannique, aurait été mise en faillite.

seulement une partie du marché (demande résiduelle) pour maximiser son profit. Nous verrons également que l’existence de contraintes de capacités favorise la collusion et que la rétrocession de capacités (GR) peut conduire à des limitations de parts de marché pour les entreprises efficaces. Dès lors, les consommateurs peuvent être pénalisés car ces effets pervers augmentent les prix pratiqués sur le marché final et réduisent leur surplus.

3.2 Le traitement de la Régulation Asymétrique dans

la littérature économique

Le terme de RA est apparu dans la seconde moitié des années 90, notamment avec le cas d’AT&T. Employé tout d’abord dans le secteur des télécoms, il se généralise aujour-d’hui à d’autres secteurs (gazier et électrique). Cette notion est liée aux mesures décidées par certains régulateurs et qui ont pour objectifs d’augmenter artificiellement le degré de concurrence dans leur marché respectif (notion de « concurrence forcée »). L’idée est de diminuer certaines barrières à l’entrée, en favorisant certains opérateurs (la plupart du temps des entrants) au détriment d’autres (les OH). Le régulateur cherche à gommer au-tant que possible les asymétries liées à l’ancienne structure monopolistique des industries aujourd’hui libéralisées. Toutefois, ne voir d’une RA que son côté « défavoriser l’OH » occulte une partie de la portée de ces mesures. En effet, cette régulation pourrait s’appli-quer à certains entrants qui bénéficient également d’avantage par rapport au monopole en place. Bien que l’OH possède une position forcément dominante et une part de marché en général importante, la connaissance des différents métiers de l’industrie, des clients, les avantages liés aux économies d’envergure, l’entrant n’est pas désarmé devant lui. Ce der-nier dispose lui aussi d’atouts qui peuvent favoriser son implantation, à savoir la possibilité d’utiliser et de suivre en vue de les adopter dès que possible les dernières technologies plus efficaces sans le souci de rentabiliser les anciennes plus coûteuses, ou encore pratiquer un écrémage (Perrucci et Cimatoribus [1997]). Cette notion d’écrémage est importante. Une fois que le marché sera pleinement ouvert, les entrants s’étant positionnés sur le segment des consommateurs rentables dans les premiers temps de l’ouverture, en général les gros industriels, risquent de laisser la charge du marché des particuliers10 aux anciens opérateurs. Les deux types d’acteurs bénéficient donc d’asymétries. Les classer au vu de pratiquer une RA au profit du plus défavorisé paraît à première vue difficile et dépend du marché étudié11 et de la vision du régulateur. Ce dernier, lorsqu’il décide de son mode de régulation, doit faire en sorte que son intervention ne dégrade ni l’efficacité du secteur, ni les atouts concurrentiels que ce dernier possède.

10Ce marché est en général moins rentable et plus contraignant, notamment vis-à-vis des missions de service public.

11Certaines asymétries peuvent être plus importantes que d’autres car certaines stratégies ne peuvent pas par exemple être adoptées.

3.2.1 Définition d’une Régulation Asymétrique

Schankerman (1996) nous donne une définition de la Régulation Symétrique (RS). Cette dernière nous permettra ensuite de donner celle d’une RA par déduction. Selon cet auteur, une RS est une forme de régulation qui donne à tous les acteurs du marché les mêmes règles à respecter pour se concurrencer. Chacun d’entre eux doit recevoir les mêmes signaux de prix et subir les mêmes restrictions et obligations.

Une RA peut donc être définie comme une régulation qui impose à un ou plusieurs acteurs des règles à respecter que les autres ne subissent pas. Les mesures de gas release

(GR) ou de pertes de parts de marché peuvent donc bien se définir comme des RA. En effet, elles ne s’appliquent qu’à quelques opérateurs, et même le plus souvent uniquement à l’opérateur historique. Ces deux mesures peuvent être utilisées seules ou en complément, la clientèle perdue par l’Opérateur Historique (OH) étant alors approvisionnée par un entrant grâce au gaz rétrocédé. Toutefois, sous certaines conditions, la question de la redondance de ces deux mesures peut être posée12.

Lorsqu’une RA est adoptée, cela signifie donc, en adéquation avec la définition donnée précédemment, qu’un entrant est dégagé de certaines obligations qui pèsent sur l’OH. Dans le cas qui nous intéresse (marché gazier), l’entrant serait par exemple exempté de l’obligation de sécurité d’approvisionnement13 ou de l’obligation de continuité de fourni-ture, l’OH restant le fournisseur en dernier ressort. Nous voyons ici apparaître le caractère nécessairement temporaire d’une RA et le problème de financement de missions de ser-vices publics. Si l’OH reste garant de la sécurité d’approvisionnement et de la continuité de fourniture, ces missions ont un coût qu’il faut financer, d’autant plus si l’OH subit une stratégie d’écrémage de la part des entrants.

3.2.2 Les courants de pensée de la Régulation Asymétrique

Deux courants de pensée s’opposent sur ce sujet : les défenseurs de la régulation asy-métrique et les tenants de la régulation syasy-métrique (Perrucci et Cimatoribus [1997]).

12C’est le cas par exemple lorsque le marché est couvert et les rendements d’échelle constants, ce qui est généralement admis sur le secteur de la distribution.

13Le régulateur permet un accès au gaz facilité mais n’impose pas la recherche d’une autre source donc d’œuvrer pour la sécurité d’approvisionnement dans l’immédiat.