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La référence implicite aux règles codifiées.

Une communauté de moyens techniques dans l’opération interprétative.

Section 2 La référence implicite aux règles codifiées.

Certaines juridictions semblent appliquer, dans leur raisonnement interprétatif, certaines des règles précédemment analysées, mais sans faire allusion directement à leur support conventionnel. A partir du moment où le contenu normatif de ces prescriptions demeure inchangé, leur portée unificatrice ne devrait pas se trouver affectée par cette indépendance à l’égard de la Convention de Vienne. C’est donc l’origine et la valeur coutumière de ces règles d’interprétation des traités qui préserve leur utilité matérielle quant à l’objectif d’une harmonie jurisprudentielle (§ 1). Il n’en demeure pas moins que cette persistance dans l’ignorance d’une codification des règles interprétatives tend à remettre celle- ci en question (§ 2).

§ 1 : L’utilité sauvegardée des règles coutumières d’interprétation.

La nature « coutumière » des règles d’interprétation ci-dessus analysées peut-être dépistée à travers l’usage qui en était fait par les juridictions internationales avant que la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités ne les codifie (A), participant par là même à leur cristallisation. Malgré leur actuelle codification, ces règles demeurent encore souvent utilisées sous leur forme coutumière, parfois même sans aucune référence à la Convention de Vienne, ce qui suggère qu’elles continuent à avoir sous cette étiquette une certaine utilité (B).

A) L’usage des règles coutumières d’interprétation avant la conclusion de la Convention de Vienne.

Les différents moyens d’interprétation codifiés aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités étaient déjà, en pratique, employés dans la jurisprudence internationale, soit qu’elle les reconnaisse clairement comme faisant partie de la coutume, soit qu’elle participe à la formation de cette dernière. Les juridictions ici concernées sont bien entendu celles existant avant 1969, c’est-à-dire, pour ce qui concerne notre champ

d’étude : la Cour internationale de Justice et son ancêtre la Cour permanente de Justice internationale, la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que la Cour de justice des Communautés européennes. Pour chacune de ces juridictions, l’examen de la pratique interprétative des traités permet de détecter une utilisation fréquente des outils interprétatifs qui seront par la suite codifiés.

Ainsi, en ce qui concerne la règle du sens ordinaire des termes, la Cour permanente de Justice internationale soulignait déjà en 1922 que « dans chaque cas spécial, la question se réduit forcément à celle de savoir quel est le sens exact des termes mêmes du Traité »308, étudiant alors par le biais de cette interprétation textuelle les acceptions de certains mots (comme « industrie » ou « industriel ») à l’aide des définitions données par les dictionnaires309. C’est également cette règle qui transparaît à travers la célèbre formule utilisée dans son avis consultatif du 15 septembre 1923 et dans laquelle on voit déjà poindre la théorie de « l’acte clair »310, lorsque la Cour estime que son devoir est que, « [p]lacée en présence d’un texte dont la clarté ne laisse rien à désirer, elle est tenue de l’appliquer tel qu’il est, sans qu’elle ait à se demander si d’autres dispositions auraient pu lui être ajoutées ou substituées avec avantage ». Le juge s’en tient donc ici au « sens ordinaire » des mots, à la solution la plus « évidente ». La priorité accordée au texte se retrouve dans de nombreux avis consultatifs311 dans lesquels est évoqué le « sens naturel des termes ».

La Cour internationale de Justice assurera la continuité de cette méthode en s’appuyant par exemple sur le « sens naturel des termes » de l’article 4 § 1 de la Charte312, ceci en refusant d’admettre toute autre interprétation que ne justifierait aucune « raison décisive »313. Elle s’appuie à de nombreuses reprises sur la « signification naturelle et ordinaire » des mots314, ainsi que sur la « manière naturelle et raisonnable de lire le texte »315.

308

C.P.J.I., avis consultatif du 12 août 1922, Compétence de l’O.I.T. pour la réglementation internationale des

conditions du travail des personnes employées dans l’agriculture, série B, n° 2, p. 22.

309

Ibid., pp. 32-34.

310

Voir infra, pp. 176 et s. 311

Voir : C.P.J.I., avis consultatif du 16 mai 1925, Service postal polonais à Dantzig, série B, n° 11 ; avis consultatif du 21 novembre 1925, Interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du traité de Lausanne, série B, n° 12, pp. 18-19 ; avis consultatif du 15 novembre 1932, Interprétation de la convention de 1919 concernant le

travail de nuit des femmes, série A/B, n° 50, p. 373.

312

C.I.J., avis consultatif du 28 mai 1948, Conditions d’admission d’un Etat comme membre des Nations Unies

(article 4 de la Charte), Rec. 1947-1948, p. 62.

313

Ibid., p. 63.

314

C.I.J., avis consultatif du 3 mars 1950, Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux

Nations Unies, Rec. 1950, p. 8 ; avis consultatif du 8 juin 1960, Composition du Comité de la sécurité maritime de l’Organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime, Rec. 1960, pp. 159-160 ; arrêt

Dans son arrêt Lawless, la Cour européenne des droits de l’homme s’est elle aussi appuyée essentiellement sur une analyse textuelle, et même grammaticale, de l’article 5 § 1 c) de la Convention316, attitude réitérée par exemple dans l’affaire linguistique belge317 et dans l’arrêt Wemhoff dans lequel elle s’est référée au « sens ordinaire » pour interpréter ce qui est « raisonnable »318.

La Cour de justice des Communautés européennes elle-même se fondait déjà sur l’interprétation textuelle des traités communautaires en rejetant par exemple les prétentions des requérants fondées sur une interprétation large de l’article 230 CE (ex-art. 173) concernant les conditions de recevabilité des recours en annulation introduits par les particuliers. Elle a en effet admis à cette occasion « que le régime ainsi institué par les traités de Rome prévoit, pour la recevabilité des recours en annulation des particuliers, des conditions plus restrictives que le traité CECA », en ajoutant « qu’il n’appartient cependant pas à la Cour de se prononcer sur les mérites de ce régime, celui-ci ressortant clairement du texte sous examen »319.

Elle a même parfois pu arborer une approche grammaticale en tenant compte du caractère défini d’un article320, ou encore de la formulation passive et non pas optative d’un qualificatif321.

Bref, contrairement aux premières impressions que l’on pourrait avoir, la Cour de justice des Communautés européennes n’hésite pas à recourir aux éléments de texte comme instrument principal de son interprétation322, même si de son approche sémantique se dégage souvent une autonomie conceptuelle323.

Le « contexte » comme moyen d’interprétation des traités était lui aussi utilisé bien avant sa consécration par la Convention de Vienne de 1969.

315

C.I.J., arrêt du 22 juillet 1952, Anglo-Iranian Oil Company, exception préliminaire, Rec. 1952, p. 104. 316

C.E.D.H., arrêt du 1er juillet 1961, Lawless (fond), série A, n° 3, pp. 51-53, §§ 13 et s. 317

C.E.D.H., arrêt du 23 juillet 1968, Affaire linguistique belge (fond), série A, n° 8, pp. 34 et s. 318

C.E.D.H., arrêt du 27 juin 1968, Wemhoff, série A, n° 7, p. 24. 319

C.J.C.E., 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes, 16 et 17/62, Rec. 1962, p. 917.

320

C.J.C.E., 21 décembre 1954, Gouvernement de la République française c/ Haute Autorité de la CECA, 1/54,

Rec. 1954-1955, vol. I, p. 30.

321

C.J.C.E., 27 février 1962, Commission c/ Italie, 10/61, Rec. 1962, p. 20. 322

Pour d’autres exemples d’interprétation textuelle antérieurs à 1969, voir CHARNEY (J. I.), loc. cit.,

R.C.A.D.I., 1998, vol. 271, notes 250-252, pp. 178-179.

323

Ainsi, dès 1922, la Cour permanente de Justice internationale avait estimé que pour examiner la question de la Compétence de l’O.I.T. pour la réglementation internationale des

conditions du travail des personnes employées dans l’agriculture « à la lumière des termes

mêmes du traité, il faut évidemment lire celui-ci dans son ensemble, et l’on ne saurait déterminer sa signification sur la base de quelques phrases détachées de leur milieu et qui, séparées de leur contexte, peuvent être interprétées de plusieurs manières »324. Cette décision, outre la précision qu’elle apporte sur le contenu du « contexte » qui est constitué de l’ensemble du traité, encourage une lecture du texte à interpréter favorisant l’unité du sens à déterminer325.

La Cour internationale de Justice gardera cette orientation en affirmant, dès 1948, que « c’est une règle d’interprétation bien établie et appliquée par la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale, qu’un texte doit être lu dans son entier »326. Elle interprétera ainsi les dispositions de l’article 4 de la Charte « prises dans leur contexte »327, celui-ci pouvant comprendre les « annexes »328 ou encore le « préambule » du traité329.

L’importance du contexte dans le raisonnement interprétatif de la Cour est bien mis en valeur dans son avis consultatif du 8 juin 1960 lorsque, interprétant le mot « élus » tel qu’il figure à l’article 28 a) de la Convention portant création de l’Organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime, la Cour a déclaré qu’« [o]n ne saurait déterminer le sens du mot “élus” isolément et par référence à son sens usuel et ordinaire, puis lui attribuer ce sens toutes les fois qu’il est employé dans l’article. Le mot tire son sens du contexte dans lequel il est employé. Si le contexte appelle un sens qui indique un large pouvoir de choix, il doit s’interpréter en conséquence, tout comme il doit se voir attribuer un sens restreint si le contexte l’exige »330. C’est donc toujours « dans leur contexte »

324

C.P.J.I., avis consultatif du 12 août 1922, Compétence de l’O.I.T. pour la réglementation internationale des

conditions du travail des personnes employées dans l’agriculture, série B, n° 2, p. 22.

325

Voir également l’avis consultatif de la C.P.J.I. du 23 juillet 1926, Compétence de l’O.I.T. pour réglementer

accessoirement le travail personnel du patron, série B, n° 13 et l’arrêt du 28 juin 1937, Prises d’eaux à la Meuse, série A/B, n° 70, p. 21.

326

C.I.J, avis consultatif du 28 mai 1948, Conditions d’admission d’un Etat comme membre des Nations Unies

(article 4 de la Charte), Rec. 1947-1948, p. 84.

327

C.I.J, avis consultatif du 3 mars 1950, Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux

Nations Unies, Rec. 1950, p. 8.

328

C.I.J., arrêt du 1er juillet 1952, Ambatielos, exception préliminaire, Rec. 1952, p. 44 (Déclaration du 16 juillet 1926 jointe au traité de la même date, la Cour ayant estimé que les dispositions de cette déclaration ont le caractère de « clauses interprétatives et, comme telles, devaient être considérées comme parties intégrantes du traité »).

329

C.I.J., arrêt du 27 août 1952, Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc, Rec. 1952, pp. 183-184 et 197-198.

330

C.I.J., avis consultatif du 8 juin 1960, Composition du Comité de la sécurité maritime de l’Organisation

que le sens naturel et ordinaire des mots doit être recherché331 et c’est cette même logique qu’adoptera la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités dans son article 31.

La Cour européenne des droits de l’homme a également situé dès le début de son activité le texte dans son contexte afin de procéder à son interprétation, en estimant par exemple que les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention forment un tout332 ou que « les dispositions de la Convention et du Protocole doivent être envisagées comme un tout »333.

La Cour de justice des Communautés européennes a suivi la même optique en replaçant la disposition à interpréter dans le corps des dispositions dans lequel elle est formellement et matériellement incluse (contexte « proche »), afin d’y trouver une confirmation de ses conclusions334 ou encore en recourant au contexte résultant des trois traités, dont la communauté d’inspiration peut faciliter l’interprétation335.

Au regard de ces quelques illustrations relatives au « contexte » en tant qu’instrument d’interprétation des traités, il est possible d’affirmer avec Charles Rousseau que la Convention de Vienne « n’a fait guère ici que légaliser les orientations jurisprudentielles »336.

Le recours à l’objet et au but du traité est lui aussi depuis longtemps présent dans le raisonnement interprétatif de nos juges internationaux.

Ainsi, dans son avis consultatif du 12 août 1922, la Cour permanente de Justice internationale a évoqué « le but des parties contractantes » expressément inscrit dans la Partie XIII et qui est d’établir une « organisation permanente du travail », pour justifier une extension matérielle de la compétence de cette organisation aux activités agricoles et de navigation, alors que tout au long de la Partie XIII, c’est le terme « industrie » qui est utilisé

331

Voir aussi l’arrêt du 26 mai 1961, Temple de Préah Vihéar (Cambodge c/ Thaïlande), exceptions

préliminaires, Rec. 1961, p. 32 ; l’avis consultatif du 20 juillet 1962, Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), Rec. 1962, p. 151 ; ainsi que l’arrêt du 21 décembre 1962, Sud-Ouest africain, exceptions préliminaires, Rec. 1962, p. 336.

332

C.E.D.H., arrêt du 1er juillet 1961, Lawless (fond), série A, n° 3, §§ 13 et 14. 333

C.E.D.H., arrêt du 23 juillet 1968, Affaire linguistique belge (fond), série A, n° 6, p. 30, I, B, § 1. 334

C.J.C.E., 21 juin 1958, Hauts fourneaux et aciéries belges c/ Haute Autorité de la CECA, 8/57, Rec., p. 223. 335

C.J.C.E., 18 mai 1962, Comptoirs de vente du charbon de la Ruhr c/ Haute Autorité de la CECA, 13/60, Rec. 1962, p. 165.

336

pour désigner les secteurs où les conditions de travail doivent être internationalement réglementées en vertu de la constitution de l’Organisation internationale du travail337. Dans l’affaire de l’Usine de Chorzow, la Cour a considéré qu’« il convient de s’attacher non seulement à l’évolution historique des conventions d’arbitrage et à leur terminologie, ainsi qu’au sens grammatical et logique des mots employés, mais aussi et surtout à la fonction qui doit, selon la volonté des parties contractantes, être attribuée à cette disposition »338. La « fonction » rejoint ici l’idée de l’« objet » et du « but » du traité et témoigne en tout cas d’une approche téléologique qui vient compléter l’approche textuelle339.

Dans son prolongement, la Cour internationale de Justice a également pu se référer à « l’esprit » du texte340 ou encore à « l’économie de la Charte »341. C’est aussi à partir d’une interprétation téléologique fondée sur les « caractères généraux » de l’O.N.U. et les « buts et principes » de la Charte des Nations Unies que la Cour dégagera sa théorie des compétences implicites dans son avis consultatif du 11 avril 1949342. Elle reconnaîtra par la suite le pouvoir de l’Organisation de créer un tribunal (ici le T.A.N.U.) en précisant qu’il s’agit là d’une nécessité dégagée des « fins explicites de la Charte, qui sont de favoriser la liberté et la justice pour les êtres humains » et « du souci constant de l’O.N.U. qui est de promouvoir ces fins »343. Pour ne citer qu’un autre exemple témoignant de l’importance récurrente de l’interprétation téléologique dans le raisonnement de la Cour, on pourra se reporter à l’affaire du Sud-Ouest africain. S’agissant de la thèse qui se fonde sur la recherche du « sens naturel et ordinaire des termes », la Cour a en effet estimé qu’il ne « s’agit pas là d’une règle d’interprétation absolue. Lorsque cette méthode d’interprétation aboutit à un résultat incompatible avec l’esprit, l’objet et le contexte de la clause ou de l’acte dans lesquels les termes figurent, on ne saurait valablement lui accorder crédit »344.

337

C.P.J.I., avis consultatif du 12 août 1922, Compétence de l’O.I.T. pour la réglementation internationale des

conditions du travail des personnes employées dans l’agriculture, série B, n° 2, p. 22.

338

C.P.J.I., arrêt n° 8 du 26 juillet 1927, Usine de Chorzow, compétence, série A, n° 9, p. 24. 339

Employant ces différentes expressions « téléologiques », voir également les avis consultatifs du 3 mars 1928,

Compétence des tribunaux de Dantzig, série B, n° 15, p. 17 ; du 31 juillet 1930, « Communautés » gréco- bulgares, série B, n° 17, pp. 19 et s. ; et du 6 avril 1935, Ecoles minoritaires en Albanie, série A/B, n° 64, p. 17.

340

Voir l’avis consultatif de la C.I.J. du 28 mai 1948, Conditions d’admission d’un Etat comme membre des

Nations Unies (article 4 de la Charte), Rec. 1947-1948, p. 63 ; ainsi que l’arrêt du 13 juin 1951, Haya de la Torre, Rec. 1951, pp. 80-81.

341

C.I.J., avis consultatif du 3 mars 1950, Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux

Nations Unies, Rec. 1950, p. 8.

342

C.I.J., avis consultatif du 11 avril 1949, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Rec. 1949, p. 178.

343

C.I.J., avis consultatif du 13 juillet 1954, Effets des jugements du Tribunal administratif des Nations Unies

accordant indemnité, Rec. 1954, p. 57.

344

L’esprit et l’objet du traité, son économie, ses buts et ses fins, sont autant de vocables qui ont précédé et inspiré la référence à « l’objet et au but du traité » consacrée dans la Convention de Vienne de 1969.

La Cour européenne des droits de l’homme recourait, elle aussi, bien avant son arrêt

Golder, à l’interprétation téléologique. Elle s’en est par exemple servi pour confirmer

l’interprétation textuelle de l’article 5 de la Convention dans l’affaire Lawless en constatant que « le sens de ce texte est en harmonie avec le but de la Convention »345. Quelques années plus tard, dans son arrêt Wemhoff, la Cour a considéré que « s’agissant d’un traité normatif, il y a lieu [...] de rechercher quelle est l’interprétation la plus propre à atteindre le but et à réaliser l’objet de ce traité et non celle qui donnerait l’étendue la plus limitée aux engagements des parties »346.

L’objet et le but du traité étaient donc omniprésents dans la jurisprudence interprétative de la Cour européenne des droits de l’homme, bien avant leur consécration par la Convention de Vienne.

La même remarque peut s’appliquer au cas de la Cour de justice des Communautés européennes qui, pour reconnaître l’effet direct du droit communautaire347 ou encore affirmer la primauté de celui-ci348, s’est fortement appuyée sur une interprétation téléologique des traités constitutifs.

En résumé, l’interprétation des termes du traité « à la lumière de son objet et de son but » était une méthode utilisée bien avant 1969 par les juridictions internationales existantes et que la Convention de Vienne n’a fait qu’entériner.

Il en est encore de même pour la « pratique ultérieure » des parties au traité.

En effet, dès le départ, la Cour permanente de Justice internationale avait annoncé son intention de recourir à ce moyen en cas de besoin en ajoutant à son interprétation que « si une équivoque avait existé, la Cour, en vue d’arriver à établir le sens véritable du texte, aurait pu

345

C.E.D.H., arrêt du 1er juillet 1961, Lawless (fond), série A, n° 3, § 15. 346

C.E.D.H., arrêt du 27 juin 1968, Wemhoff, série A, n° 7, § 8. 347

C.J.C.E., 5 février 1963, Van Gend en Loos c/ Administration fiscale néerlandaise, 26/62, Rec., p. 3. 348

examiner la manière dont le traité a été appliqué »349. Elle précisait néanmoins en 1925 que « [l]es faits postérieurs à la conclusion du traité de Lausanne ne peuvent occuper la Cour que pour autant qu’ils sont de nature à jeter de la lumière sur la volonté des parties telle qu’elle existait au moment de cette conclusion »350. De fait, elle appliqua ce principe dans l’affaire de la Compétence des tribunaux de Dantzig après avoir considéré que « l’intention des parties - que l’on doit rechercher dans le contenu de l’accord, en prenant en considération la manière dont l’accord a été appliqué - est décisive »351.

La Cour internationale de Justice lui emboîte le pas lorsque, dans l’affaire du Détroit

de Corfou, elle interprète la portée du compromis sur la base duquel elle avait été saisie par

l’Albanie et la Grande-Bretagne en déclarant qu’il « ressort de l’attitude ultérieure des parties que leur intention, lorsqu’elles ont conclu le compromis n’était pas d’empêcher la Cour de fixer le montant de l’indemnité »352. S’il s’agissait ici d’une conduite commune à l’ensemble des parties pour la mise en œuvre de l’accord qui les unit, on peut néanmoins y ajouter une attitude de la Cour consistant à prendre en considération également les prises de positions unilatérales de l’un des cocontractants. Ainsi, dans son avis consultatif du 11 juillet 1950, elle a considéré que « l’interprétation d’instruments juridiques donnée par les parties elles-mêmes, si elle n’est pas concluante pour en déterminer le sens, jouit néanmoins d’une grande valeur probante quand cette interprétation contient la reconnaissance par l’une des parties de ses obligations en vertu » de cet instrument353. C’est alors l’interprétation unilatérale d’un Etat qui sert en l’espèce de preuve subsidiaire du sens du traité. La conduite subséquente des parties au traité servira de nouveau comme critère d’interprétation dans l’affaire des Droits des

ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc354 et dans celle du Temple de Préah

Vihéar355.

349

C.P.J.I., avis consultatif du 12 août 1922, Compétence de l’O.I.T. pour la réglementation internationale des

conditions du travail des personnes employées dans l’agriculture, série B, n° 2, p. 38.

350

C.P.J.I., avis consultatif du 21 novembre 1925, Interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du traité de

Lausanne, série B, n° 12, p. 24.

351

C.P.J.I., avis consultatif du 3 mars 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig, série B, n° 15, p. 18. Voir aussi l’arrêt n° 15 du 22 juillet 1929, Emprunts brésiliens, série A, n° 21, p. 119.

352

C.I.J, arrêt du 9 avril 1949, Détroit de Corfou, fond, Rec. 1949, p. 25. 353

C.I.J., avis consultatif du 11 juillet 1950, Statut international du Sud-Ouest africain, Rec. 1950, pp. 135-136. 354

C.I.J., arrêt du 27 août 1952, Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc, Rec. 1952, p. 210.

355

C.I.J., arrêt du 15 juin 1962, Temple de Préah Vihéar (Cambodge c/ Thaïlande), fond, Rec. 1962, pp. 22 et s,

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