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Des divergences méthodologiques dans l’utilisation des règles d’interprétation.

L’opération interprétative effectuée par les juridictions internationales est loin d’être une action purement mécanique qui consisterait à employer, dans un ordre et d’une manière prédéterminés, des techniques rigoureusement centralisées, afin de découvrir le sens inné d’une norme.

En effet, malgré l’existence d’une certaine communauté de moyens techniques, le particularisme reste de mise dans le raisonnement juridictionnel interprétatif, qu’il soit lié à la juridiction elle-même ou bien au cas particulier dont il est question dans l’espèce à traiter. Qu’il soit particulièrement tangible ou plus discret, on ne peut s’empêcher de le pressentir comme un facteur de divergence quant au résultat de l’interprétation lui-même, c’est-à-dire quant au sens final attribué à une disposition conventionnelle.

Ces variations dans la technique d’interprétation des traités employée par les juridictions internationales peuvent se manifester de plusieurs façons, chacune trahissant les insuffisances de la codification réalisée, soit que les règles communément utilisées comportent des nuances internes (Section 1), soit qu’elles se révèlent insuffisantes à leurs yeux pour mener à bien leur mission et qu’elles recourent alors à des méthodes supplétives (Section 2).

Section 1 : Les distinctions sous-jacentes aux règles communes

d’interprétation.

Le fait d’utiliser les mêmes « outils » pour accomplir une tâche ne garantit pas toujours l’unité du résultat obtenu. La souplesse et le caractère très ouvert des règles codifiées dans la Convention de Vienne sur le droit des traités offrent en effet une grande marge de liberté à l’interprète et sont elles aussi des objets d’interprétation pouvant revêtir des sens différents suivant les juridictions (§ 1), et susceptibles d’être combinés entre eux de diverses façons (§ 2).

§ 1 : La diversité sémantique des règles d’interprétation.

Avant que la Convention de Vienne de 1969 ne soit définitivement adoptée, Ioan Voïcu avançait, dans sa thèse sur l’interprétation authentique des traités internationaux, que « les avantages relatifs, le gage de sécurité, qu’entraînerait un hypothétique code d’interprétation seraient dépassés proportionnellement par les difficultés qu’il susciterait, du fait que ce code n’échapperait pas non plus à l’interprétation et pourrait engendrer le risque d’un subjecivisme accentué en la matière »1. En effet, comme les traités qu’elles ont pour objectif d’aider à interpréter, les dispositions de la Convention de Vienne en question doivent elles-mêmes être interprétées avant d’être utilisées dans le raisonnement judiciaire, ce qui donne à l’analyste l’impression de s’attaquer à la quadrature du cercle, vicieux par nature.

Pour se rendre compte des complications inhérentes à ce mode d’argumentation, il suffit de se pencher à nouveau sur les différentes règles d’interprétation codifiées, mais en soulignant cette fois les nuances ou les véritables différences dans le sens qui leur est attribué par la jurisprudence.

1

A) Les nuances interprétatives sous-jacentes à la règle générale de l’article 31.

Si l’on examine les différents moyens en suivant leur ordre de codification, le principe de bonne foi apparaît comme le symbole même de la flexibilité des règles d’interprétation. Conduisant l’interprète à trancher le litige de manière raisonnable plutôt que selon le droit strict, il est opposé à tout formalisme et garantit ainsi la souplesse du processus interprétatif. Plus encore, la notion même de bonne foi repose sur une conception dualiste ancestrale. En effet, la clause ex fide bona revêt un double aspect, la fides étant une qualité subjective propre à chacun des contractants, alors que la bonum s’appuie davantage sur une valeur objective. Mais si le droit romain mettait l’accent sur ce dernier aspect, c’est par la suite le sens subjectif qui a prévalu lorsque, sous l’influence de Grotius, le consensualisme est venu soutenir la confiance que les parties ont placée dans le traité2.

Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, le juge international se trouve partagé dans sa démarche entre son devoir de respecter la souveraineté des Etats et celui de donner une solution raisonnable et juste aux différends, ces deux volets étant impliqués dans l’interprétation de bonne foi. L’analyse de la jurisprudence internationale met ainsi en valeur cette conception dialectique de l’interprétation de bonne foi. La démarche du juge sera alors parfois guidée par la recherche de l’intention des parties à travers une méthode subjective, basée notamment sur les travaux préparatoires, le sens naturellement attribué aux termes du traité par ses rédacteurs ou encore les « accords ultérieurs » des parties, témoignant ainsi d’un net volontarisme juridique. Mais le juge pourra également suivre une méthode plus objective, se détachant de la volonté individuelle des parties afin d’atteindre, notamment par la recherche du but et de l’objet du traité, une solution « raisonnable » ayant tendance à se rapprocher de l’équité et empreinte d’une vision « solidariste » pouvant s’abstraire de la volonté de ses auteurs.

Ainsi, selon Robert Kolb, le sens principal de ce principe d’interprétation consiste à faire prévaloir l’esprit du traité sur sa lettre, la bonne foi étant considérée comme « une force de gravitation permanente cherchant à infléchir le texte sans bruit vers les impératifs plus profonds qui découlent des finalités et de l’esprit qui le sous-tendent »3. En pratique, la jurisprudence le rapprocherait du concept du « raisonnable » et l’on peut s’appuyer à cet égard sur l’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’affaire relative aux Droits des

2

Sur l’origine et l’évolution de l’interprétation de bonne foi, voir ZOLLER (E.), op. cit., pp. 203 et s. 3

KOLB (R.), La bonne foi en droit international public (contribution à l’étude des principes généraux de droit), Paris, P.U.F., 2000, p. 267.

ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc4. Dans cette affaire, après avoir rejeté les interprétations strictes des articles 95 et 96 de l’Acte d’Algésiras de 1906 relatifs à certaines évaluations douanières et proposées, d’une part par la France, d’autre part par les Etats-Unis, la Cour a estimé que « le pouvoir d’évaluer appartient aux autorités douanières, mais elles doivent en user raisonnablement et de bonne foi »5. Les juges Lauterpacht, Wellington Koo et Spender participent de la même démarche lorsque, dans l’affaire de l’Incident aérien du 27

juillet 1955, ils affirment dans une opinion dissidente conjointe qu’« il est conforme au

principe et à la pratique éclairée d’appliquer le critère du caractère raisonnable à l’interprétation des actes internationaux, [celui-ci étant] un critère qui procède du devoir qu’ont toujours les Etats d’agir de bonne foi »6.

Mais il n’en reste pas moins que le « raisonnable » comme la « bonne foi » sont deux concepts éminemment manipulables7 et, puisqu’ils renvoient à autant de moyens d’interprétation, objectifs ou subjectifs8, eux-mêmes fort malléables, il en découle alors une arborescence d’issues interprétatives à disposition du juge-interprète selon le sens que ce dernier donnera à chacun de ces outils.

A titre d’illustration, l’interprétation de bonne foi ne revêt pas forcément la même signification pour l’Organe de règlement des différends de l’O.M.C. que pour le juge communautaire. En effet, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a pu considérer que « le principe de bonne foi est le corollaire, dans le droit international public, du principe de “protection de la confiance légitime” qui, selon la jurisprudence, fait partie de l’ordre juridique communautaire »9. Et c’est à partir de ce principe essentiellement subjectif qu’a été invoqué devant l’Organe de règlement des différends le concept de « protection des attentes légitimes ». Cependant, malgré l’ouverture dont semblait témoigner de prime abord le

4

C.I.J., arrêt du 27 août 1952, Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc, Rec. 1952, p. 176. 5

Ibid., p. 212.

6

C.I.J., arrêt du 26 mai 1959, Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c/ Bulgarie), Rec. 1959, p. 189. 7

Concernant le « raisonnable », on pourra se reporter utilement à la thèse d’Olivier CORTEN sur le sujet (L’utilisation du « raisonnable » par le juge international. Discours juridique, raison et contradiction, Bruxelles, Bruylant, coll. Droit international, 1997, 196 p.). Sur la « bonne foi », il peut être renvoyé aux thèses, déjà citées, d’Elizabeth ZOLLER et de Robert KOLB.

8

Robert KOLB établit ainsi, dans sa thèse, le lien entre la bonne foi et les moyens d’interprétation suivants : texte ou contexte, volonté, contexte lato sensu, objet et but, ainsi que certaines maximes d’interprétation. Voir, KOLB (R.), op. cit., pp. 272-277.

9

T.P.I.C.E., 22 janvier 1997, Opel Austria, T-115/94, Rec., p. II-39, point 93. Le Tribunal se réfère à ce titre à l’arrêt de la C.J.C.E. du 3 mai 1978, Töpfer c/ Commission, 112/77, Rec. 1978, p. 1019, point 19. Reconnaissant que le principe de confiance légitime fait partie des principes fondamentaux de la Communauté dont la C.J.C.E. assure le respect, voir également C.J.C.E., arrêt du 14 février 1990, Delacre SA c/ Commission, 350/88, Rec. 1990, p. I-395.

Groupe spécial, l’Organe d’appel sera quant à lui beaucoup plus réticent à l’accueillir10. De fait, dans son rapport LAN de 1998, ce dernier écartera définitivement toute référence aux « attentes légitimes » d’un Membre comme éclairage pour interpréter les concessions tarifaires, estimant que, selon l’article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, le but de l’interprétation est d’établir « les intentions communes des parties » et non celles déterminées subjectivement et unilatéralement par l’une d’entre elles11. L’interprétation à la lumière des « attentes légitimes » des parties n’est donc pas, pour l’Organe d’appel, une interprétation de bonne foi12. Cette directive d’interprétation n’est d’ailleurs pas la seule à faire l’objet de discussions quant à sa véritable signification.

Bien que la recherche du « sens ordinaire » des termes demeure la règle la moins controversée, celle-ci n’en reste pas moins sujette à interprétation variable. Le fait est que la jurisprudence internationale s’y réfère fréquemment mais sans réellement l’expliciter. Les professeurs Dehaussy et Salem ont néanmoins cru pouvoir y distinguer trois cas, témoignant de la difficulté d’avoir une vision univoque de la notion de « sens ordinaire »13. Le premier serait un sens technique, juridique, tel que perçu de façon objective par l’interprète14. Le second serait un sens « vulgaire », résultant de l’usage courant de la langue, et le troisième une modération de l’approche objective du juge qui, en retenant le sens indiqué par l’usage courant de la langue mais tel que perçu par les auteurs du traité, lui substitue ainsi une approche plus subjective.

Bien qu’assez délicates à illustrer en pratique, ces distinctions n’en reflètent pas moins la difficulté d’avoir une vision univoque de la notion de « sens ordinaire » et peuvent en partie expliquer pourquoi la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités l’accompagne d’une série de correctifs comme le contexte, le but et l’objet ainsi que les moyens complémentaires afin d’en délimiter la portée.

En outre, on ne peut ignorer le fait que le sens naturel d’un terme peut varier suivant l’époque à laquelle il est employé. Surgit alors une autre variation possible dans l’usage de cette règle, en fonction de la période qui servira de référence à l’interprète.

10

Voir le rapport Brevets pharmaceutiques du 19 décembre 1997 (WT/DS50/AB/R), not. §§ 45-46. 11

Rapport de l’Organe d’appel du 5 juin 1998 (WT/DS62/AB/R ; WT/DS67/AB/R ; WT/DS68/AB/R), § 84. 12

Concernant cette jurisprudence, voir CANAL-FORGUES (E.), loc. cit., R.G.D.I.P., 2001-1, pp. 9-10. 13

Prenons l’exemple du raisonnement suivi par la Cour internationale de Justice dans l’affaire de l’Ile de Kasikili-Sedudu opposant le Botswana à la Namibie. Pour effectuer son analyse sémantique des mots retenus en 1890 dans le traité anglo-allemand portant sur les sphères d’influence des deux pays en Afrique, la Cour tient compte de l’état actuel des connaissances scientifiques15. Ainsi, concernant l’identification du « chenal principal » (au cœur du différend), la Cour propose de rechercher le sens ordinaire de cette expression en se référant aux critères les plus couramment utilisés en droit international et dans la pratique des Etats et invoqués par les parties. Après examen des différents critères avancés, elle en conclut que le chenal nord doit être considéré comme le chenal principal de l’île car il offre les conditions les plus favorables à la navigation16.

Or, cette interprétation a fait l’objet de vives critiques, tant par certains juges à la Cour dans leurs opinions jointes, que par une partie de la doctrine. Sans pour autant contester son résultat, le juge Higgins a, dans une déclaration, contesté la qualification de « recherche du sens ordinaire des mots » faite par la Cour. Mme Higgins considère en effet que celle-ci n’a fait qu’appliquer en 1999, à une portion d’un fleuve que l’on connaît bien aujourd’hui, un terme général choisi par les parties en 1890, alors qu’au contraire, la règle obligeant à interpréter le traité d’après le sens ordinaire des mots imposerait de tenir compte de l’état des connaissances à l’époque de sa rédaction. C’est également la position du vice-président Weeramantry qui souligne dans son opinion dissidente que, les expressions en question pouvant s’interpréter de différentes façons, il faut rechercher le sens dans lequel ces expressions étaient entendues à l’époque par les parties. Sans ignorer la possibilité pour les juridictions de procéder, dans certains cas, à une interprétation évolutive17, le professeur Tavernier a également insisté sur la nécessité de rechercher dans un premier temps le sens de la disposition du traité de 1890 tel qu’il était compris à l’époque de sa rédaction, mettant ainsi en relief la maladresse de la Cour dans le maniement du droit intertemporel18.

La jurisprudence de la Cour n’est pourtant pas univoque sur le moment auquel il convient de se placer pour procéder à l’interprétation du traité. Ainsi, bien que dans certains

14

Est cité, à cet égard, l’avis consultatif de la C.P.J.I. du 28 août 1928, Interprétation de l’accord gréco-turc du

1er décembre 1926 (protocole final, article IV), série B, n° 16, p. 22, dans lequel la Cour appréhende le terme

« arbitrage » dans son sens technique. 15

C.I.J., arrêt du 13 décembre 1999, Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana c/ Namibie), Rec. 1999, § 20. 16

Ibid., §§ 29-42.

17

Nous aborderons plus en détail la méthode proprement dite de « l’interprétation évolutive » dans la seconde section de ce chapitre.

18

Voir TAVERNIER (P.), « Observations sur le droit intertemporel dans l’affaire de l’île de Kasikili/Sedudu

(Botswana c/ Namibie). Cour internationale de Justice : arrêt du 13 décembre 1999 », R.G.D.I.P., 2000-2, pp.

arrêts antérieurs elle ait également penché en faveur du sens actuel des mots19, elle a parfois préféré retenir le sens ordinaire existant à l’époque de la conclusion du traité20.

Ces exemples témoignent par conséquent d’une certaine malléabilité de la règle de la recherche du « sens ordinaire des termes du traité » qui, au sein d’une même juridiction, peut revêtir une acception différente suivant les espèces. Le risque de contradiction méthodologique avec les autres juridictions internationales est dès lors fortement accru, surtout si ces dernières autorisent également une variabilité dans l’utilisation de la règle.

De plus, le recours au « contexte » à fin d’interprétation est également une règle susceptible d’appréhension variable. Outre le fait que la Convention de Vienne évoque à l’article 31 alinéa 2 différentes composantes du « contexte » (préambule, annexes, accords en rapport avec le traité…) qui, selon la sélection qu’opérera parmi elles l’interprète, peuvent figurer autant de « modèles » d’interprétation, le premier alinéa peut dès l’origine être envisagé lui-même de diverses manières. En effet, il y est dit que le traité « doit être interprété suivant le sens ordinaire à attribuer [à ses termes] dans leur contexte […] ». Le contexte ici évoqué est donc a priori celui des termes litigieux du traité et non du traité dans son ensemble.

C’est notamment ce qui ressort de la plupart des décisions juridictionnelles. Ainsi, la Cour internationale de Justice a estimé dans son avis consultatif du 8 juin 1960 qu’on ne saurait déterminer « le sens du mot “élus” isolément et par référence à son sens usuel et ordinaire, puis lui attribuer ce sens toutes les fois qu’il est employé dans l’article », en ajoutant que « le mot tire son sens du contexte dans lequel il est employé »21. De même, dans son arrêt

Schiesser par exemple, c’est le sens ordinaire de « l’expression en cause » que la Cour

européenne des droits de l’homme déclare lire « dans son contexte »22. La Cour de justice des Communautés européennes replace elle aussi fréquemment la disposition à interpréter dans le

19

Voir C.I.J., avis consultatif du 21 juin 1971, Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue

de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, Rec. 1971, p. 31 ; arrêt du 19 décembre 1978, Plateau continental de la mer Egée, Rec. 1978, p. 32 ; arrêt du 25

septembre 1997, Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c/ Slovaquie), Rec. 1997, p. 67. 20

Voir C.I.J., arrêt du 27 août 1952, Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc, Rec. 1952, p. 189 ; arrêt du 18 juillet 1966, Sud-Ouest africain, deuxième phase, Rec. 1966, p. 23 ; arrêt du 3 février 1994,

Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne c/ Tchad), Rec. 1994, p. 31.

21

C.I.J., avis consultatif du 8 juin 1960, Composition du Comité de la sécurité maritime de l’Organisation

intergouvernementale consultative de la navigation maritime, Rec. 1960, p. 158.

22

corps des dispositions dans lequel elle est formellement et matériellement incluse23, et l’Organe de règlement des différends de l’O.M.C. procède de façon similaire24. C’est également le contexte dans lequel s’inscrit la disposition à interpréter qui a retenu l’attention du Tribunal international du droit de la mer dans l’affaire du navire Saiga (n° 2)25 et celle du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dans l’affaire Blaskic26, pour ne donner ici

que quelques illustrations.

Cependant, dans certains cas, le juge-interprète semble avoir une vision plus globale et prendre en considération le contexte d’ensemble du traité dans lequel figure la disposition en cause. Ce fut par exemple le cas lorsque la Cour internationale de Justice, dans son arrêt du 14 juin 1993, considéra que l’accord du 8 décembre 1965 conclu entre le Danemark et la Norvège et relatif à la délimitation du plateau continental « doit être lu dans son contexte »27, avant de se référer notamment à la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental. La Cour de justice des Communautés européennes s’est quant à elle appuyée sur le « contexte dans lequel s’inscrit l’objectif de l’accord » dont le projet lui était soumis pour avis28. Et dans l’affaire Nour Eddline El-Yassini, alors que les questions posées étaient relatives à l’interprétation de l’article 40 alinéa 1er de l’accord de coopération entre la C.E.E. et le royaume du Maroc de 1976, la Cour a procédé à l’analyse de cet accord à la lumière de son contexte29, donc dans un cadre beaucoup plus général que le seul contexte de la disposition litigieuse.

Par conséquent, le « contexte » évoqué à l’article 31 § 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités peut-être considéré suivant les cas comme étant le contexte de la disposition précise à interpréter ou bien celui du traité dans lequel elle figure, ce qui n’aura pas forcément les mêmes conséquences au niveau du résultat.

23

Voir par exemple C.J.C.E., 21 juin 1958, Hauts fourneaux et aciéries belges c/ Haute Autorité de la CECA, 8/57, Rec. 1958, p. 223 ; ainsi que 17 novembre 1983, Merck c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas, 327/82, Rec. 1983, p. 3781.

24

Voir les rapports Volailles du 13 juillet 1998 (WT/DS69/AB/R), § 147 ; et Crevettes du 12 octobre 1998 (WT/DS58/AB/R), § 114.

25

T.I.D.M., arrêt du 1er juillet 1999, Affaire du navire «Saiga» (n° 2) (Saint-Vincent-et-les Grenadines c/

Guinée), § 80.

26

Chambre (de première instance II), (Juges Jorda (Président), Rodrigues, Shahabuddeen), jugement du 3 mars 2000, IT-95-14-T (aff. Blaskic), §§ 327 et 329.

27

C.I.J., arrêt du 14 juin 1993, Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen,

Rec. 1993, p. 50, § 27.

28

C.J.C.E., 14 décembre 1991, Avis 1/91 (rendu en vertu de l’article 228, § 1, al. 2, du traité CEE), C-1/91, Rec. 1991, p. I-6079, points 19 et s.

29

C.J.C.E., 2 mars 1999, Nour Eddline El-Yassini c/ Secretary of State for Home Department, C-416/96, Rec. 1999, p. I-1209, points 48 et s.

S’agissant de « l’objet et du but », nous avons là affaire, incontestablement, à un critère largement malléable. D’abord, de la même façon que pour le contexte, l’objet et le but recherché peuvent être ceux de la Convention dans son ensemble, comme il découle à première vue de l’article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. Mais, d’après la jurisprudence, ils peuvent aussi désigner ceux de la disposition particulière à interpréter, ce qui peut ne pas conduire au même résultat sachant que les traités sont bien souvent le résultat de compromis entre les parties et que les différentes dispositions peuvent quelquefois être contradictoires.

Si, la plupart du temps, elle envisage l’objet et le but du traité lui-même30, la position

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