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La question nationale

Dans le document Marcel Pepin, l’homme du contre-pouvoir (Page 76-81)

1. LA DÉFINITION DE SOI

1.2 LA VISION IDENTITAIRE QUÉBÉCOISE

1.2.3 La question nationale

Pepin se retrouve aussi dans les années 1970 au cœur du débat portant sur la question nationale et l’avenir constitutionnel du Québec. Un élément qui pour Marcel Pepin, s’ajoute au combat contre la dominance de l’économie (P-271-1). Selon lui, cette préoccupation face au devenir de la société québécoise ainsi que le combat pour le français peuvent constituer des points d’appui importants à la lutte contre le pouvoir. Il pose donc la problématique de la question du Québec en lien avec cette domination que l’appareil économique fait peser sur le Québec (P-272-2).

Cependant, les véritables intentions de Marcel Pepin en ce qui concerne la question nationale du Québec pendant cette période semblent plutôt ambiguës. L’analyse des textes écrits par Pepin nous enseigne que c’est en janvier 1970 qu’il prend conscience de l’importance de cette question alors qu’on l’aborde ouvertement dans la Lettre aux militants qu’il transmet aux membres de la centrale. Il y fait alors le parallèle entre la question nationale et le dossier linguistique. Ainsi, pour lui, la question de la séparation du Québec est importante et fait partie de la mutation de la société québécoise. Il affirme par ailleurs que cette question se posera avec de plus en plus de sérieux d’ici quelques années. Pour lui, « le seul obstacle actuel, et il n’y en a pas d’autres, c’est la question économique. Que personne ne s’imagine que nous demeurons dans le Canada pour protéger les minorités canadiennes-françaises ou pour promouvoir le bilinguisme “from coast to coast” » (P-123-2).

Fidèle à son habitude et aux positions traditionnelles de la CSN, Pepin souhaite que la CSN ne manœuvre pas « entre deux eaux » sur la question nationale et qu’elle sache éviter les écueils de la politique partisane. Il est important de souligner qu’à cette époque, la montée du Parti Québécois et les idées qui y étaient véhiculées attiraient de nombreux militants syndicaux membres de la CSN.

Il pose ainsi quelques conditions à un éventuel appui de la centrale à cette cause. Pour Pepin, les choix de la CSN « devront être clairs et correspondre au peuple. Plonger les travailleurs dans une grande aventure, cela peut être exaltant » (P-123-5) poursuit-il, mais il est aussi nécessaire que cela ait des incidences heureuses sur l’emploi, la réforme sociale, l’amélioration du logement, de la santé et l’élimination de la pauvreté. Pour lui, « si ces domaines restent obscurs quant aux résultats, il faudra dire les choses clairement » (P-124-1).

Mais le nationalisme n’a jamais vraiment fait peur à Pepin. Comme on vient de le voir, au-delà de la question économique, Marcel Pepin avait aussi une préoccupation importante, celle qui l’empêchait parfois de crier haut et fort son appui à la souveraineté du Québec, à savoir la question sociale. Il ne faut pas oublier qu’au moment où le projet souverainiste prend son erre d’aller, on sort à peine du duplessisme et d’un conservatisme social. Or, comme il le souligne à Keable, on commençait à peine à cette époque à faire des gains syndicaux et à négocier des droits nouveaux. Il n’y avait donc aucune garantie pour la classe ouvrière qu’elle allait maintenir ces gains avec ce nouveau projet (K-222-5). Puis il rappelle, entre autres, que les promoteurs de ce projet à l’époque étaient plutôt des nationalistes de droite, qu’on appelait des « nationaleux » (K-223-1).

Pepin maintiendra d’ailleurs tout au long de sa vie cette préoccupation toute sociale à propos du projet de souveraineté du Québec. Il le fera aussi à l’occasion du discours d’ouverture du congrès de fondation du Mouvement socialiste (MS), en novembre 1982, alors qu’il donne un appui sans équivoque à la souveraineté du Québec. Il insiste toutefois sur certains principes fondamentaux qui doivent guider cette nouvelle organisation politique et ce projet d’indépendance du Québec (67-1-6). À cette même occasion, il dénonce avec vigueur le rapatriement unilatéral de la constitution réalisé par le premier ministre fédéral, Pierre Elliott Trudeau. Il s’agit pour Pepin d’un « coup de force du pouvoir central qui équivaut à une déclaration de guerre, purement et simplement » (67-8-3). Il critique notamment l’enchâssement d’une Charte des droits et libertés qui a pour le Québec « des conséquences tellement lourdes que l’événement est considéré comme une des pires défaites de son histoire » (67-8- 3).

Son engagement pour la souveraineté du Québec a par la suite été constant. Mais il continuera, tout au long de son parcours, de lier la question nationale et la question sociale : « Le Mouvement socialiste réitère sa conviction que les causes de l’indépendance et du socialisme au Québec sont indissociablement liées. Les classes ouvrières et populaires constituent les forces vives de la nation. Elles seules peuvent transformer radicalement une société » (67-9-3).

Il a d’ailleurs beaucoup écrit sur le sujet en tant que président du MS. Mais pour Marcel Pepin, sa démarche et son appui public à cette idée ne sont pas liés à un événement particulier, mais plutôt le fruit d’une évolution (K-308-8). Pour certains de ses proches toutefois, la crise des écoles de St- Léonard à la fin des années soixante aura très certainement été le point de départ de cette prise de conscience (K-309-1)

Un autre élément retient à notre avis l’attention, soit l’absence d’atomes crochus entre René Lévesque, que l’on peut appeler le père spirituel du projet souverainiste, et Marcel Pepin. La lecture des documents nous montre que dès les premières négociations dans le secteur public, alors que Lévesque était ministre du gouvernement Lesage, on a senti qu’il y avait quelques ratés dans leurs relations. Puis l’imposition des décrets de conventions collectives dans ce même secteur en 1982 n’a sûrement pas amélioré les choses.

D’ailleurs, en mai 1987, quelques mois avant la mort de Lévesque, Marcel Pepin est extrêmement critique envers celui-ci dans une entrevue qu’il accorde au journal du SPGQ. Il mentionne alors que cette situation post-référendaire au Québec qui est difficile vient de « l’écœurement de celles et ceux qui ont participé au PQ en croyant qu’il réaliserait la souveraineté… mais aussi qu’il changerait les rapports sociaux. René Lévesque pourrait être marqué au fer rouge puisque c’est celui qui a tué les aspirations d’un peuple. C’est lui qui représentait l’espoir. Il le représentait tellement qu’il a tout assumé et puis finalement, il a cassé » (41-14-8). Il mentionne d’ailleurs au congrès de fondation du MS que le PQ a enterré l’indépendance, la souveraineté-association et l’espoir. La seule chose que ce gouvernement a déterrée, mentionne Pepin, est la statue de Duplessis. « Au chapitre de la politique culturelle, c’est sans doute la réalisation la plus spectaculaire. Seul monument érigé en six années de pouvoir » (67-6-6).

Pepin croit donc impossible une remontée de l’appui à l’indépendance du Québec avant quelques années : « C’est difficile de remonter la cote de l’indépendance comme telle, ça va prendre une autre génération peut-être » (41-14-6). Au plus creux de l’appui populaire à ce projet d’indépendance, Marcel Pepin est appelé à prononcer une conférence devant les membres de la Société nationale des Québécois de l’Outaouais. Pepin ose aussi une critique audacieuse envers le gouvernement du PQ alors au pouvoir à Québec. Il se questionne notamment sur le fait que, selon lui, certains partis politiques ne souhaitent pas véritablement régler la question nationale, ce qui leur permet de continuer à se servir de cette question comme d’un « ballon électoral en vue d’attirer les électeurs » (15-2-1). D’ailleurs, « S’ils se chamaillent depuis leur naissance, c’est qu’ils sont, par définition, des frères ennemis : les gouvernements fédéral et provincial représentent des clans différents de la bourgeoisie […] qui s’entendent comme larrons en foire lorsqu’il s’agit de sauvegarder les intérêts du capitalisme » (67-7-2 et 3).

Un comportement, mentionne Marcel Pepin, qui fut aussi utilisé par l’Union nationale dans le passé ce qui lui a permis de se maintenir au pouvoir. Pendant longtemps, note-t-il, les Québécois « l’ont vécu, enduré, supporté, parce qu’on leur disait que d’avoir un gouvernement autonomiste était plus important que tout le reste » (15-3-1).

Pour Pepin, nous sommes dans une situation similaire après le premier référendum sur la souveraineté du Québec : « Les électeurs feront face encore à un puissant dilemme – celui d’être contre les politiques sociales, fiscales et autres de ce gouvernement, et d’être aussi, contre l’autoritarisme du chef omnipuissant qu’est le premier ministre, et de croire en même temps à l’indépendance du Québec? » (15-4-1). Il accuse ainsi le PQ de ne pas souhaiter régler la question nationale, mais de continuer à s’en servir pour se maintenir au pouvoir.

Dans cette même entrevue au journal du SPGQ, il répète que s’il croit au projet de souveraineté du Québec, ce n’est pas uniquement pour être indépendant : « J’y crois pour changer les rapports sociaux, bâtir une nouvelle société. Autrement, je n’ai pas de temps à perdre à me chicaner. Je crois vraiment qu’il faut faire cet effort-là » (41-14-9). Pour le président du Mouvement socialiste, « l’indépendance du Québec doit être liée à un modèle de société qui permet à ceux qui y vivent de se prendre totalement en charge » (15-5-2).

Marcel Pepin considère toujours que le projet du PQ semble être conçu qu’une certaine élite en bénéficie puisque l’économie serait encore entre les mains des mêmes personnes, des mêmes intérêts. En conséquence, « Les principales décisions qui affectent la vie des travailleurs et travailleuses, des classes populaires seront encore prises en dehors de tout débat démocratique, sans la participation active des premiers intéressés dans des instances démocratiques » (15-6-2). Pour Pepin, les problèmes sociaux que constituent le chômage, l’inflation, la pollution demeureront ainsi les mêmes.

Il met donc à l’avant-scène ce dilemme tout en demeurant persuadé qu’on ne peut d’abord régler la question nationale avant de régler les questions sociale et économique. Pepin maintient ainsi son orientation et souhaite que l’on précise mieux notre pensée pour déboucher sur des propositions concrètes et réalistes afin de mieux contrôler nos moyens de production et d’échange pour un meilleur équilibre économique; pour un mode de gestion des entreprises plus participatif, pour une meilleure utilisation des outils d’épargne institutionnels des Québécois et aussi pour avoir l’assurance que les grands débats économiques se feront démocratiquement (15-4-2 à 15-8-1). Bref, la question que l’on doit se poser est : « l’indépendance, pour quel projet de société? » (15-10-2).

Marcel Pepin est toutefois conscient des difficultés sur son chemin. Sans toutefois nommer d’exemples, il constate que « l’histoire de la plupart des pays qui ont conquis l’indépendance politique depuis une vingtaine d’années, enseigne que l’on en est resté à l’indépendance politique et que la dépendance économique a été maintenue » (15-8-1).

Il fait donc plusieurs de ces constats alors que l’appui à la souveraineté du Québec est au plus bas dans les sondages. Le rejet de l’accord constitutionnel du lac Meech en 1990 lui donne donc l’occasion de se réapproprier ce dossier et à replonger dans ce débat. En effet, tergiversant sur les suites à donner à cet échec, le gouvernement libéral de Robert Bourassa crée alors une commission d’étude sur le sujet afin d’étudier toutes les options qui peuvent s’offrir aux Québécois. Comme plusieurs leaders de la société civile, Pepin se sent interpellé par cette crise et publie un texte d’opinion le 1er décembre 1990 dans le quotidien Le Devoir. Pepin y va d’un puissant réquisitoire pour l’indépendance du Québec, la seule réponse qu’il faut apporter à cette crise constitutionnelle.

Il craint en effet que la Commission Bélanger-Campeau créée à cette occasion constitue un piège et il craint que les travaux de cette commission n’aient pour seul effet d’endormir les forces vives du Québec et que le tout n’aboutisse qu’à une sorte de consensus sur un « fédéralisme renouvelé de la

dernière chance » (56-8). Pour Marcel Pepin, les Québécois doivent prendre conscience de ce rendez- vous avec le destin. Il en appelle aux Québécois puisqu’il s’agit « d’une responsabilité personnelle de faire tout en notre possible, dans nos milieux respectifs et en utilisant tous les moyens à notre portée, pour que ce rendez-vous ne soit pas raté » (56-1).

D’ailleurs, pour Pepin, un peuple ne peut risquer de reprendre constamment cette réflexion « sans en même temps courir le risque que, par lassitude, ou encore par dépit, il finisse par en perdre le goût » (56-2). Sans aucunement faire référence à un quelconque projet de société, ce qui démontre probablement l’ampleur de la crise constitutionnelle de l’époque, Pepin juge impératif que la question qui est posée aux Québécois « soit claire et porte sur l’essentiel » (56-14).

Il juge d’ailleurs assez sévèrement l’attitude du président du Conseil du patronat du Québec, Ghislain Dufour, qui souhaite maintenir à tout prix le lien avec le fédéral et dont les diverses propositions alambiquées pourraient conduire à la tenue d’un référendum sur le rapatriement de certains pouvoirs. Pour Marcel Pepin, ce serait là un échec « dont les conséquences seraient plus désastreuses » (56-9) que le résultat d’un référendum sur la souveraineté.

Tout en invitant les groupes de la société civile à maintenir la pression sur les dirigeants, afin que ces derniers ne soient pas les seuls à s’occuper de la question nationale, il se permet aussi de donner une certaine leçon de leadership. Pour Pepin, « L’indépendance ne peut se faire « par la seule force du destin, comme par enchantement » (56-6). S’adressant alors fort probablement au premier ministre de l’époque, Robert Bourassa, il ajoute : « J’ai été trop mêlé à l’action, dans le cours de ma vie syndicale, pour n’avoir pas compris la nécessité de le forcer, ce destin, en agissant et en intervenant au moment opportun » (56-6).

Dans le document Marcel Pepin, l’homme du contre-pouvoir (Page 76-81)