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La professionnalité enseignante comme recherche d’efficacité

Bourdoncle et Mathey-Pierre (1995) attirent l’attention sur l’instabilité, le flou et l’ambiguïté de la notion de « professionnalité » ainsi que sur les enjeux sociaux de ses usages. Pour Lebeaume (2007) aujourd’hui, « ce terme tend surtout à identifier une rubrique de travaux et recherches qui s’intéressent au travail enseignant et à son intelligibilité comme l’indiquent les colloques ou les congrès (Altet, 2005). Avec ces imprécisions, « professionnalité », dans son acception étymologique, tend à caractériser le « professionnel » des actions des enseignants. Les actions professionnelles seraient alors des manifestations repérables de la professionnalité et dont l’interprétation pourrait prendre appui sur des composantes identitaires, à la fois subjectives et sociales. Cette délimitation tend à valoriser les relations entre « professionnalité » et « identité ». En même temps, elle tend à minorer « l’efficacité » de ces actions et le professionnalisme qu’elles requièrent ». Mais, comment évaluer l’efficacité d’un enseignement, si ce n’est en discutant de ce que les pratiques peuvent éventuellement produire en termes d’apprentissage ? De plus, qu’est-ce que le professionnalisme ? L’auteur apporte des éléments de réponse sur ce dernier point à travers la notion de technicité. Pour lui, « dans l’enseignement, et selon les spécialités, l’objectif de transformation des élèves peut être pensé selon des principes d’efficacité pour optimiser les moyens et les fins. Il exige à cet égard une distanciation critique, des connaissances multiples, des expériences et des décisions ou délibérations ». Ce sont cette distanciation critique, ces délibérations et ces décisions qui constituent le versant stratégique des pratiques. Elles sont ici mises en relation avec l’expérience, ce qui renvoie à la notion de « praticien réflexif » (Schön, 1983).

Paquay, Altet, Charlier et Perrenoud (1998, p. 14) émettent l’idée qu’» être professionnel ne signifie pas que les enseignants pourraient se borner à acquérir des tours de main, des « gestes du métier » ». Le professionnel est davantage défini par les auteurs comme un praticien qui a acquis par de longues études le statut et la capacité à réaliser en autonomie et en responsabilité des actes intellectuels non routiniers, dans la poursuite d’objectifs en situation complexe. Cette définition met davantage l’accent sur les pratiques stratégiques, organisationnelles du métier que sur l’efficacité des actions. Pour Altet (1998, p. 29), l’enseignement est en phase transitoire dans un processus qui mène du « métier artisanal » où l’on applique des règles et des techniques vers la « profession » où l’on construit ses stratégies en s’appuyant sur des savoirs rationnels et en développant son expertise de l’action en situation professionnelle ainsi que son autonomie. Ici, la dimension de l’action est davantage

prise en compte. Stratégies et action sont néanmoins mises étroitement en relation. Pour l’auteur, l’enseignant est notamment un professionnel de la « régulation interactive » (Altet, 1994), en ce sens que son métier l’engage de fait dans des activités interactives et de régulation, lesquelles revêtent des aspects de technicité.

Les pratiques en tant que « recherche d’efficacité » restent donc peu envisagées dans la recherche. Certains chercheurs se sont par exemple davantage intéressés à l’enseignant « empiriste », à travers des notions de « bricolage » (Amade Escot, 1998), de « petits ajustements » (Jorro, 2002) ou de « créativité » (Bourgeois, 2007). Comme le souligne Lang (2001), lorsque l’on parle de professionnalité enseignante, des réactions se font entendre. Par exemple, une certaine rationalisation des savoirs de la profession, une « technisation » est mise en relation avec une perte d’autonomie des acteurs. La professionnalité est perçue comme une remise en cause des pratiques et des identités personnelles. Lebeaume (2007) remarque ainsi que » technicité » est un terme souvent contesté car assimilé au technicisme. Malgré le souhait d’établir des référentiels de l’action professionnelle, d’inventorier des répertoires d’actions, de modéliser le travail de l’enseignant (…), cette technicité est récusée afin de ne pas confondre les maîtres avec des opérateurs ou des techniciens de l’enseignement-apprentissage, sans l’intelligence et la raison, voire la générosité et la dignité, fondatrices de toute action éducative ! ».

La notion de geste professionnel, récemment apparue ne semble pas en mesure de prendre en compte ces aspects de technicité. Selon les perspectives, qui constituent davantage une « mosaïque », comme le soulignent Larcher et Schneeberger (2007), les travaux s’intéressent aux « gestes » qui sont des manières de faire, ordinaires ou routinières, incorporées ou explicitées, exceptionnelles ou novatrices. Les définitions de la notion de geste professionnel sont donc multiples, souvent ambiguës. Bucheton (2004) distingue les « gestes du métier » des « gestes professionnels ». Le geste de métier renverrait à un savoir-faire partagé et reconnu par la profession, rattaché à un genre scolaire (ex. le geste de correction de copier, de lecture magistrale d’un texte). Les gestes professionnels sont définis comme des « arts de faire et de dire qui permettent la conduite spécifique de la classe ». Ils ne se confondraient pas avec le genre mais le mettraient en œuvre, l’actualiseraient, l’ajusteraient. Le geste professionnel serait un geste d’ajustement, une « réfléxivité en acte » qui s’ajuste sur l’activité de l’élève. « Est geste professionnel un geste qui sait s’adapter au contexte et est susceptible de produire les effets escomptés sur l’activité des élèves ». Ici, le versant stratégique est évacué. Pour Bourgeois (2007, op.cit), les gestes professionnels sont des « trucs, astuces et

techniques du métier ». Les gestes professionnels semblent définir les actions des professionnels, qui pourraient être en lien ou non avec des « techniques » professionnelles. Pour Schneeberger, Robinson, Liger-Martin et Darley (2007), les gestes professionnels sont « une action réalisée dans une situation professionnelle donnée, action qui résulte d’une décision ». Souvent, l’étude des gestes professionnels consiste à décrire les actions des enseignants (Bucheton, 2004 ; Delennoy-courdent et Delcambre, 2007 ; Sensevy, 2001). Finalement, les recherches envisagent souvent les actions des enseignants (en classe) davantage comme un ensemble de prises de décisions circonstanciées ou encore révèlent une variété d’actions dont on ne sait en quoi elles peuvent être qualifiées de « professionnelles » (si ce n’est qu’elles sont réalisées par « des professionnels » entendus comme ceux qui exercent la profession d’enseignant). Dans notre recherche, « professionnalité » renvoie à la notion de recherche d’efficacité. Nous cherchons à savoir dans quelle mesure et comment les enseignants prennent en charge la régulation du point de vue professionnel, c’est-à-dire de quelle façon et comment ils recherchent une efficacité ou encore dans quelle mesure la régulation didactique est intégrée à leurs préoccupations quotidiennes.

Il existe finalement au moins trois façons de définir le « professionnel » ou « professionnalité » en matière d’enseignement. La façon de les définir détermine en partie les choix en matière de recherche.

— La première définit le professionnel comme celui qui « réussit », et ce de manière répétée. Dans ce cadre, les recherches peuvent avoir comme ambition de découvrir comment l’enseignant fait pour obtenir cette efficacité. Des approches anciennes de type « processus –produit » se sont donné cet objectif. Les résultats ont notamment abouti à des prescriptions qui ont été l’objet de nombreuses critiques (Durand, 1996 ; Crahay, 2007). Plus récemment (ex. Venturi, Calmettes, Amade-Escot & Terrisse, 2007), certaines approches tentent de mieux comprendre pourquoi certains enseignants réussissent mieux que d’autres. Les critères utilisés pour évaluer cette « réussite » restent néanmoins largement débattus (Carette, 2008). Le problème est bien de définir ce qu’est « réussir », de vérifier l’effectivité de cette réussite ainsi que l’importance du facteur « enseignant » dans cette réussite. Ce n’est qu’alors que l’on peut prétendre réellement chercher où se joue cette efficacité, quelles sont les « compétences » ou « façons de faire » de ces enseignants.

— La deuxième consiste à considérer que les enseignants sont des professionnels. Décrire leurs actions reviendrait donc à définir la professionnalité. Chaque action des professionnels est pensée comme un geste professionnel (Sensevy, 2001 ; Schneeberger, Robinson, Liger – Martin et Darly, 2007). La description des actions des enseignants devient la description d’une professionnalité. Ces recherches sont centrées sur le versant descriptif, laissant de côté le versant compréhensif, et notamment le point de vue des acteurs. Il est davantage rechercher la modélisation des pratiques (Sensevy, 2002) ou la démonstration d’une complexité.

— La troisième, que nous retiendrons, est de considérer qu’il existe des problématiques professionnelles que l’enseignant doit résoudre. Résoudre avant l’action puis en action. Dès lors, les recherches consisteraient davantage à décrire les pratiques effectives et stratégiques et à chercher à en comprendre les ressorts et les obstacles.