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L'information scientifique en générale et médicale en particulier, est abondante, voir surabondante, de nature et d'origine différentes, et les médecins vont avoir des choix à effectuer pour sélectionner l'information dont ils vont avoir besoin pour actualiser leurs connaissances et améliorer leurs pratiques.

Ce chapitre va esquisser à grands traits les caractéristiques de cette information à destination des médecins, avant de voir sous quelles formes elle se présente et de quelle manière elle est utilisée.

II.1 L'information scientifique :

L'information scientifique en générale et médicale en particulier se répartit en deux catégories : l'information primaire et l'information secondaire (53).

II.1.1 L'information primaire :

C'est une information originale, inédite et nouvelle, rapportant les résultats d'un travail de recherche expérimentale ou conceptuelle. La méthode utilisée pour obtenir ces résultats est décrite et doit respecter certains standards. Dans le domaine du médicament, ces travaux de recherche sont essentiellement représentés par les essais cliniques, mais il peut également s'agir d'études basées sur des entretiens, sur des analyses de données autres que cliniques, etc...

Ces informations sont transmises les plus souvent sous forme d'articles scientifiques (littérature primaire), publiés dans des revues plus ou moins spécialisées, mais elles peuvent également être présentées sous forme de communications lors d'un congrès, ou être intégrée à des travaux de mémoires, de thèses, ou publiées sous forme de livre. Certains de ces travaux ne seront cependant jamais publiés.

Ces articles sont généralement stockés dans des bases de données dont la plus complète est la bibliothèque numérique du congrès américain, consultable via l'interface informatique Pubmed, où elles sont accessibles de manière plus ou moins complète (du simple titre à l'article complet, en passant par un résumé). La consultation de ces bases de données nécessite un certain apprentissage. Elle s'adresse généralement aux praticiens ayant une activité de recherche.

Les informations primaires sont donc difficilement utilisables par les médecins en pratique courante, car elles sont pléthoriques, de lecture souvent complexe et chronophage, et, difficulté supplémentaire pour le lecteur français, rédigées en grande majorité en anglais.

II.1.2 L'information secondaire :

L'information secondaire a pour but de rendre accessible l'information primaire en la recensant, l'analysant, la synthétisant, et la commentant. Elle est obtenue par différentes méthodes, comme par exemple les revues systématiques de la littérature, les méta-analyses, ou les méthodes

consensuelles.

Pour donner un exemple, une revue systématique de la littérature va employer des stratégies

scientifiques dans le but de limiter les biais, afin de rassembler et d'évaluer toutes les études traitant d'une question clinique spécifique, pour au final en synthétiser les résultats (54).

L'information secondaire est publiée dans des journaux plus ou moins spécialisés sous forme d'articles de synthèse, de résumés d'articles éventuellement commentés,... Elle peut également être retrouvée dans des guides de bonne pratique, des manuels de médecine, des données réglementaires au sujet du médicament (monographies, fiches de transparence), des communications orales, des

programmes de formation scientifiques, des sites Internet,... Elle s'adresse à tous les praticiens, qu'ils aient ou non une activité de recherche.

La littérature secondaire peut être produite sous l'égide de différents promoteurs : institutions, sociétés savantes, industriels,...

Une fois cette information produite, elle va être diffusée auprès des médecins par différents

vecteurs. A noter qu'au sein d'un même vecteur, comme une revue médicale, peuvent coexister des informations primaires et secondaires, issues de promoteurs différents (institutions et industries par exemple). Le médecin va donc avoir à sa disposition un certain nombre de source d'information dont il va se servir pour parfaire ses connaissances.

De par le temps nécessaire à leur lecture et à leur compréhension, les informations de la littérature secondaire ne sont généralement pas utilisables par les médecins pendant leur activité de soin. Elles deviennent toutefois utiles dans le cadre de la recherche d'information en-dehors du temps de consultation, d'autant plus que leur format est adapté au public visé (nationalité, spécialité, centre d'intérêt).

II.2 Le devoir de formation continue en France :

Le médecin, dans sa pratique, se doit d'actualiser ses connaissances. C'est une obligation morale vis à vis du patient qui vient le consulter en confiance, déontologique (article 11 du Code de

Déontologie médicale : « tout médecin doit entretenir et perfectionner ses connaissances »), mais aussi légale.

En effet, depuis l'ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins, tout médecin a une obligation légale de se soumettre à une Formation Médicale Continue (FMC). Cette obligation de FMC a été complétée par la loi du 13 août 2004 (article R.4127-11 du Code de Santé Publique) avec une obligation d'Evaluation des Pratiques

Professionnelles (EPP). En raison d'une certaine complexité d'application et de sanctions plutôt théoriques en cas de non-respect, ces dispositifs n'ont pas, loin s'en faut, remporté l'adhésion des médecins.

Ces obligations doivent être remplacées en 2012 par le Développement Professionnel Continu (DPC), prévu par l'article L6155-1 de la loi sur la réforme de l'Hôpital et relative aux Patients, à la Santé et aux Territoires (loi HPST) du 21 juillet 2009. Là encore, son adhésion par les médecins reste incertaine.

Les informations secondaires vont constituer le cœur de ces formations obligatoires. Les formations validantes pour la FMC vont donc être représentatives de la plupart des vecteurs de l'information secondaires à la disposition des médecins français.

On distinguait ainsi pour la FMC (55) :

les formations présentielles : séminaires, congrès, enseignement post-universitaire, diplôme universitaire, diplôme inter-universitaire

les formations individuelles à distance : abonnements à des périodiques médicaux, acquisition d'ouvrages médicaux, multimédias et sites web agréés

les situations professionnelles formatrices : formation professionnelle des salariés, missions d'intérêt général (qualité, organisation des soins et prévention) dans des structures

organisées, activité de formateur et de jury, recherche et publications personnelles

A ces vecteurs, on pourrait ajouter, entre autres, les publications institutionnelles (guides de bonne pratique de la HAS, fiches de bon usage des médicaments,...), ou les messages promotionnels diffusés par les industries du médicament (ces derniers feront l'objet d'un chapitre à part entière).

II.3 L'utilisation des vecteurs de l'information médicale en France :

Les médecins français disposent d'une grande diversité de sources d'informations médicales. Face à cette abondance, quelles sont leurs préférences et leurs opinions vis-à-vis de ces sources ?

II.3.1 Préférences des médecins :

Un rapport du Sénat pointait en 2006 les lacunes à propos des connaissances sur les pratiques des médecins en matière de formation (56), malgré l'importance de cette question. Le constat était

identique quelques années après, lorsqu'un rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) pointe à nouveau en 2008 le manque de données « permettant d’apprécier les pratiques des

médecins, leurs attentes, leurs besoins, et leurs difficultés » (57).

Deux travaux permettent toutefois de se faire une idée sur ce sujet.

Le premier est un travail de thèse soutenue en 2005 (58), où 800 médecins généralistes ont été

interrogés en France métropolitaine sur leurs sources et moyens d'information habituels. La première place de ce classement était occupée par le Vidal®, suivi de près par les visiteurs

médicaux, puis par la presse médicale quotidienne ou hebdomadaire. En milieu de classement, loin derrière la visite médicale, se trouvaient l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES), intégrée depuis à la HAS, et l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS). Et en fin de classement se trouvaient les congrès et les informations diffusées par la CNAMTS.

Le second travail est une enquête de l'institut de sondage IPSOS réalisée pour le compte de la HAS en 2009 (59) auprès d'un échantillon représentatif de 800 médecins libéraux, dont environ la moitié

de généralistes. Les médecins généralistes accordent leur préférence au même trio de tête que dans la thèse de 2005, mais dans un ordre différent, avec en premier la presse médicale, suivie du Vidal® et des visiteurs médicaux. A nouveau en fin de classement pour les généralistes, les congrès et l'information issue des institutions publiques.

II.3.2 Crédibilité des sources :

Les connaissances à propos de la crédibilité qu'accordent les médecins français aux différentes sources d'informations à leur disposition sont encore plus lacunaires.

Selon la thèse de 2005 citée au paragraphe précédent (58), si le Vidal® et la presse médicale restent

en tête du classement (quasiment au même niveau que la FMC et les avis des confrères spécialistes), talonnés par l'ANAES et L'AFSSAPS, la visite médicale se trouve cette fois loin derrière. Les informations issues de la CNAMTS arrivent encore en fin de classement.

Une seconde enquête datant de 2010, également intégrée à un travail de thèse (60), a interrogé une

centaine de médecins du département du Doubs. Les résultats sont assez proches de ceux trouvés dans le travail précédent :

« Vidal®, les guides élaborés par la HAS, les FMC organisées par les associations de formation, et

l’avis des confrères spécialistes arrivent en tête des sources d’information les plus crédibles : elles sont jugées « très crédibles » ou « crédibles » par au moins 88 % des répondants.

En revanche, les FMC organisées par l’industrie pharmaceutique, la presse gratuite, les visiteurs médicaux et les sites Internet créés par l’industrie pharmaceutique sont jugés comme « très crédibles » ou « crédibles » par respectivement 49 %, 42 %, 23 % et 15 % des répondants. On remarque également que :

la presse sur abonnement est jugée plus crédible que la presse gratuite (81 % vs 42 %) les FMC organisées par des associations de formation sont jugées plus crédibles que les FMC organisées par l’industrie (88 % vs 49 %)

les sites Internet issus de structures indépendantes sont jugés plus crédibles que les sites émanant de groupes pharmaceutiques (63 % vs 15 %) ».

II.4 Efficacité des différents vecteurs d'information :

Une revue de la littérature de l'ANAES publiée en 2000 a cherché à faire le point sur les travaux évaluant l'efficacité des méthodes de diffusion des recommandations médicales (61).

Ses conclusions étaient, par ordre décroissant d'efficacité :

Interventions d’efficacité démontrée ayant un effet intervention important : visites à domicile (impact retrouvé dans 13 études sur 18)

rappels (reminders)

Interventions d’efficacité démontrée, mais avec un effet intervention limité : audit-retour d’information (impact retrouvé dans 27 essais sur 34) FMC interactive (impact retrouvé dans 9 études sur 17)

Interventions d’efficacité discutable ou non clairement démontrée : leaders d’opinion (impact retrouvé dans 2 études sur 8)

démarche qualité (absence d’impact dans 3 essais contrôlés de qualité discutée) Interventions inefficaces :

diffusion simple (9 essais concordants)

Formation Médicale Continue dans ses formes traditionnelles (4 essais concordants) Les auteurs de cette revue regrettaient toutefois la rareté des travaux français de bonne qualité sur ce sujet, tout en notant que les rares résultats disponibles allaient dans le même sens que ceux issus de la littérature internationale.

Des essais publiés ultérieurement semblent aller dans le même sens. C'est le cas d'une étude britannique publiée en 2003 (45) qui retrouve l'inutilité de la diffusion simple et passive de

documentation et l'importance des visites à domicile (ici par les représentants de l'industrie pharmaceutique). Seule différence : une plus grande importance accordée aux leaders d'opinions. En ce qui concerne justement ces leaders d'opinion, une revue de la littérature de la bibliothèque Cochrane de 2011 (62) estime qu'ils pourraient aider à promouvoir l'Evidence-Based Medicine (ou

médecine factuelle), mais en raison de l'hétérogénéité des études, cette efficacité reste incertaine. Nouveaux venus dans le paysage de la diffusion d'information, les systèmes informatiques de support à la décision (ou Logiciels d'Aide à la Prescription ou LAP) semblent avoir une grande efficacité en ce qui concerne la transmission d'information (notamment pour le suivi de

recommandations (63), mais leur diffusion est pour l'instant restreinte, même aux Etats-Unis (64).

II.5 Conclusion :

Les médecins ont donc à leur disposition toute une somme d'informations scientifiques, plus ou moins adaptée à leur pratique, dont ils vont se servir pour actualiser leurs connaissances et remplir ainsi leurs obligations de formation tant déontologiques que légales.

« popularité » auprès des médecins, par la crédibilité dont ils jouissent d'un point de vue scientifique, et par leur efficacité quant à la diffusion des messages.

Il est intéressant de noter ici que les vecteurs les plus sollicités ne sont pas forcément ceux qui sont perçus comme crédibles. Ainsi, si les médecins français font fortement confiance à la

documentation de la HAS, ils ne l'utilisent pas de manière préférentielle. A l'inverse, la visite médicale dispose de beaucoup moins de crédibilité, alors que les médecins ont fortement recours à elle. Il existe donc un paradoxe au niveau de l'utilisation de l'information scientifique par les médecins.

L'efficacité des différents vecteurs d'information évaluée par des essais cliniques est également à mettre en rapport avec leur crédibilité scientifique. A nouveau, les vecteurs qui semblent être les plus efficaces, comme par exemple la visite à domicile (c'est-à-dire la visite médicale), ne sont pas forcément ceux qui bénéficient de la meilleure crédibilité.

III.

Place de l'industrie pharmaceutique dans la diffusion de