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CHAPITRE 2 : LE CHANGEMENT DANS LES PRATIQUES

3.4. L E PROJET ROUTIER À L ’ ÈRE DE LA PARTICIPATION PUBLIQUE 141 

3.4.2. La procédure québécoise d’évaluation environnementale 150

Au Québec, la procédure courante de participation du public (le BAPE) est institutionnalisée et est située au sein de tout un ensemble juridique en matière d’environnement. Afin de saisir les particularités de la conduite des projets et du rapport au public, il est essentiel de comprendre ce cadre environnemental qui régit notamment certains projets d’infrastructures assujettis. L’élément central demeure la Loi sur la qualité de l’environnement17 adoptée d’abord en 1972 puis élargie en 1978. Ensuite, le Règlement sur l'évaluation et l'examen des impacts sur l'environnement18 en 1980, qui a institué la pratique de l’évaluation environnementale et qui a mené à la création du BAPE. Finalement, ce dernier organisme est également régit par un ensemble de règles dictant sa procédure. Nous aborderons ici brièvement l’historique de la mise en place de cet appareil législatif qui a mené à l’institutionnalisation du débat public.

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Cela est très fréquent lors des audiences du BAPE, certains acteurs se servant de ces engagements du MTQ pour réclamer certaines modifications aux projets, ou tout simplement pour s’y opposer. On réclamera par exemple plus de transport collectif dans le projet en affirmant que le MTQ s’y est engagé dans sa Politique.

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LRQ, c. Q-2

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L’historique et les fondements de la Loi sur la qualité de l’environnement

La législation environnementale québécoise suit d’assez près l’émergence de telles pratiques aux États-Unis au début des années 1970. Avec l’adoption du National Policy Act (NEPA), ce pays innove en obligeant les agences fédérales américaines à réaliser des études d’impacts sur leurs projets. Cette loi, au départ orientée vers la réduction de la pollution atmosphérique, a jeté également les bases d’un élargissement de la notion d’environnement dans le droit. Parallèlement, au Québec, des événements marquants venaient sensibiliser les citoyens et décideurs à la question environnementale. D’abord, l’harnachement des rivières de la Baie James au début des années 1970 soulevait de fortes contestations de la part des amérindiens, mais également de groupes de pression et de spécialistes de l’environnement (Lamontagne, 2005). Un autre projet d’Hydro-Québec en 1973, soit la construction d’une centrale de pompage sur la rivière Jacques-Cartier, soulevait des oppositions similaires. Suite à la création de groupes de pression et à l’opposition populaire, le promoteur abandonna le projet. Par la suite, Hydro-Québec créera même un tout nouveau service de l’environnement (Gariépy, 1989).

L’adoption par le gouvernement québécois en 1972 de la Loi sur la qualité de l’environnement s’inscrit dans l’émergence de la notion d’environnement qui traverse à l’époque les différentes couches de la société. Selon Lamontagne (2005), trois éléments importants la caractérisent. Premièrement, elle mobilise une vision élargie de l’environnement, qui sort du carcan de la réduction des émissions polluantes ou du principe de conservation. Ensuite, elle affirme le rôle du MENVIQ, qui intervient sur les politiques gouvernementales. Finalement, la loi introduit le principe de nécessité de l’évaluation environnementale pour certains projets à travers l’article 22 : « Nul ne peut ériger ou modifier une construction, entreprendre l'exploitation d'une industrie quelconque, l'exercice d'une activité ou l'utilisation d'un procédé industriel ni augmenter la production d'un bien ou d'un service s'il est susceptible d'en résulter une émission, un dépôt, un dégagement ou un rejet de contaminants dans

l'environnement ou une modification de la qualité de l'environnement, à moins d'obtenir préalablement du Ministre un certificat d'autorisation ».

À l’époque, le BAPE n’était pas encore créé et la participation publique en était à ses premiers balbutiements. La nouvelle Loi plaçait le directeur des Services de protection de l’environnement (division du MENVIQ) dans une position de pouvoir décisionnel importante (Ibid). Il possédait en effet le droit de refuser un projet jugé non conforme à la loi, ce qui créait évidemment des problèmes à la fois politiques et institutionnels. C’est pourquoi ce service a formé très tôt le Comité des études d’impacts sur l’environnement, qui devait produire une politique québécoise en matière d’étude des impacts. Des réflexions au sein de l’appareil gouvernemental ont mené à l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement en 1978, qui introduisait un nouveau chapitre sur l’évaluation environnementale. En 1980, cette tendance a été confirmée avec l’adoption du Règlement sur l'évaluation et l'examen des impacts sur l'environnement, qui formalisait les règles d’évaluation environnementale mais également menait à la création du BAPE. Dès lors, une véritable procédure d’évaluation environnementale et de participation publique s’est constituée.

Le passage du projet à travers la procédure

La procédure québécoise d’évaluation environnementale ne s’applique qu’à une série de projets assujettis, c’est-à-dire dont la nature ou l’importance est susceptible d’avoir un impact important sur l’environnement selon la loi. Cette liste comprend notamment les travaux hydrauliques, les installations industrielles, les lieux de traitements et d’élimination des déchets, les installations de production et de transport d’énergie, les routes et autoroutes, etc. Seuls les projets qui répondent aux paramètres de l’assujettissement doivent passer à travers la procédure. Dans le cas des routes,

c’est la longueur de l’infrastructure ainsi que la largeur de l’emprise qui déterminent l’obligatoire recours à l’évaluation environnementale et la nécessité pour le promoteur d’obtenir un certificat d’autorisation19.

Le projet passe ainsi à travers 6 phases (figure 3.4 et 3.5) :

1. Directive : D’abord, le promoteur doit aviser le MENVIQ de son intention de

réaliser le projet. Ensuite, le MENVIQ fait parvenir à ce dernier une directive, dans laquelle est explicité ce que le promoteur doit inclure dans l’étude d’impact, avec comme éléments principaux : raison d’être du projet, variantes, description du milieu, impacts appréhendés, mesures d’atténuations et programme de suivi environnemental.

2. Réalisation et dépôt officiel de l’étude d’impact : sur réception de l’étude

d’impact réalisée par le maître d'ouvrage, la Direction des évaluations environnementales (DEE) produit avec l’apport d’autres ministères concernés l’avis de recevabilité concernant l’étude d’impact du promoteur. Cet avis résulte uniquement de la vérification que l’étude respecte les critères de présentation et de contenu prévus. Des questions et commentaires peuvent être adressés au promoteur, qui devra répondre par la suite au sein d’un document rendu public.

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Le Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement (RRQ, 1981, c. Q-2, r. 9) précise ainsi l’assujettissement d’une route : « la construction, la reconstruction ou l’élargissement, sur une longueur de plus de 1 kilomètre, d’une route ou autre infrastructure routière publique prévue pour 4 voies de circulation ou plus ou dont l’emprise possède une largeur moyenne de 35 mètres ou plus, à l’exception de la reconstruction ou de l’élargissement d’une telle route ou infrastructure routière dans une emprise qui, le 30 décembre 1980, appartient déjà à l’initiateur du projet. » Le règlement prévoit également que les routes construites ou élargies près de lacs ou cours d’eau sont assujetties.

Figure 3.4 : Procédure québécoise d'évaluation environnementale : les grandes étapes (Source:

MENVIQ)

3. Période d’information et BAPE : Le BAPE entre en scène, d’abord en

organisant une période d’information où l’étude d’impact du promoteur est rendue publique pour une période de 45 jours. Toute personne peut adresser une demande d’audiences publiques au MENVIQ qui, si elle est jugée « non frivole » par le ministre, conduira à l’organisation d’audiences publiques par le BAPE. Un rapport sera produit par cet organisme et fera le bilan des audiences tout en émettant certaines recommandations concernant le projet.

4. Analyse environnementale du projet : la DEE, avec la contribution des

autres ministères concernés, entreprend à cette étape l’analyse environnementale du projet. Celle-ci doit en principe être effectuée

simultanément à l’étape 3 du BAPE, mais elle n’est rendue publique que suite au dépôt du rapport du BAPE20.

5. Décision : En consultant l’étude d’impact du promoteur, le rapport du BAPE

et l’analyse environnementale, le ministre de l’Environnement doit formuler une recommandation au gouvernement à propos du projet. Le Conseil des ministres rendra plus tard sa décision en autorisant ou non ce dernier à l’aide d’un décret. Des modifications ou conditions au projet peuvent être inscrites au décret.

6. Contrôle : cette étape sert à assurer, par un suivi, un contrôle et une

surveillance environnementale que les engagements environnementaux du promoteur sont effectivement mis en œuvre dans le projet21.

Le BAPE et la participation du public

Le BAPE, créé en 1978 par la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement, ne possédait pas de structure et de procédure bien définies. Sa création coïncide avec la mise sur pied d’une consultation publique sur un projet du MTQ qui avait causé beaucoup de remous au plan environnemental : le projet autoroutier Dufferin- Montmorency dans la région de Québec. Le MTQ prévoyait construire cette autoroute à travers les battures de Beauport, site naturel qui était notamment le refuge de plusieurs espèces aviaires. Le tollé provoqué par ce projet chez certains groupes écologistes a forcé le gouvernement à mettre en place des audiences publiques, considérées comme la première expérience de consultation publique du BAPE22. Le MTQ y avait été vivement critiqué, d’autant plus qu’il ne restait qu’un petit tronçon à construire, mettant la population et le BAPE devant un fait accompli. Ce projet

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C’est d’ailleurs un élément souvent critiqué de la procédure, car certains considèrent que cette analyse externe du projet pourrait contribuer grandement aux audiences du BAPE. Le MENVIQ est donc en quelque sorte tenu hors d’influence durant une phase charnière du débat sur le projet.

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Cette phase pose également certains problèmes, plusieurs répondants de nos entrevues ainsi que Beauchamp (2005) affirmant qu’en pratique il y a peu de contrôle sur le suivi environnemental. La période post-audiences offre également peu de transparence pour le public.

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constitue le moment marquant de la naissance du BAPE et a contribué à la formulation d’une procédure efficace de consultation (Lamontagne, 2005).

Pour Beauchamp (2005), l’histoire du BAPE peut se diviser en trois phases distinctes. D’abord une période de fondation (1979-1986), où le BAPE se forme en véritable lieu d’analyse et de débat sur l’environnement. L’instance est toutefois impopulaire dans certains cercles politiques, qui souhaitaient que l’organisme joue plutôt un rôle « d’écoute », sans analyse détaillée des projets. La seconde période en est une de transition (1987-1996), où la procédure bien rodée fait son devoir, mais où se succèdent à la barre du BAPE des présidents qui ont des visions différentes sur le rôle que doit jouer l’instance. C’est aussi la période des premières expériences de médiation environnementales, dont plusieurs concerneront des projets routiers. La dernière période, soit depuis 1997, est qualifiée de phase d’expansion, le nombre de mandats ayant explosé au cours des dernières années.

Le BAPE intervient suite à la phase 2 de la procédure de projet du MTQ exposée au chapitre 3.3.3., soit après le dépôt de l’étude d’impact par le promoteur. Il a pour mission « d’informer et de consulter la population sur des questions relatives à la qualité de l’environnement que lui soumet le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs afin d’éclairer la décision gouvernementale dans une perspective de développement durable » (BAPE, 2006). Le BAPE est un organisme gouvernemental relevant du MENVIQ, mais est indépendant, et les commissions qu’il crée concernant les projets ont des pouvoirs quasi-judiciaires. Ses conclusions à travers les rapports déposés n’ont toutefois pas de pouvoir décisionnel, c’est donc au Conseil des ministres qu’appartient la décision finale d’autoriser ou non le projet.

Le fonctionnement du BAPE

Lorsqu’un mandat d’audience est soumis par le ministre de l’Environnement suite à la période d’information du public, le président du BAPE forme une commission ad hoc dirigée par un président auquel se joignent des commissaires sélectionnés. Le schéma suivant décrit les étapes :

Figure 3.5 : Cheminement des projets à travers la procédure du BAPE (Source : Bape, 2006)

L’audience publique dure environ quatre mois et se divise en deux parties. La première est consacrée à l’information, où les requérants d’audiences expriment leurs points de vue, puis le promoteur présente son projet au public. Les participants

peuvent ensuite poser une série de questions au promoteur, qui peut répondre sur le champ ou demander au président un délai afin de formuler sa réponse. Des représentants d’autres organisations sont aussi présents et peuvent alimenter les audiences : ministères, municipalités, organismes, etc. Toute la documentation relative au projet est rendue publique et les participants qui désirent présenter un mémoire à la commission ont au minimum 21 jours pour le faire. C’est dans la deuxième partie des audiences que les participants (citoyens, groupes ou organismes) expriment leur opinion sur le projet par la présentation de leurs mémoires. C’est ici que se manifestent plus explicitement les appuis ou oppositions au projet et parfois également les tensions entre acteurs. Si le promoteur est dès lors plus en retrait du processus, il conserve toujours le droit de rectifier certaines affirmations présentées dans les mémoires. À partir de l’ensemble de l’expérience des audiences et de la lecture de la documentation relative au projet et aux mémoires, la commission pourra produire son rapport final.