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CHAPITRE 2 : LE CHANGEMENT DANS LES PRATIQUES

3.5. Conclusion

L’analyse de l’évolution du MTQ, des premiers chemins, en passant par le ministère de la Voirie puis celui des Transports, démontre des changements importants allant souvent de pair avec des mutations profondes de la société québécoise. Nous avons axé notre regard sur trois types de changements. D’abord, les changements organisationnels globaux, liés à la planification québécoise en matière de transport et aux grandes réorganisations, de la création du ministère de la Voirie au MTQ actuel. De pair avec ces changements nous avons exposé sommairement les modifications à l’organigramme du MTQ, qui s’est radicalement complexifié au cours des décennies. Finalement, nous avons défini la codification du processus de projet routier au sein de l’organisation, en tentant de comprendre comment celui-ci s’est modifié au gré des changements abordés. Il ressort de cette analyse que l’organisation du MTQ a procédé de plusieurs adaptations, que seront résumées ici.

En un peu plus d’une centaine d’années, les changements dans la planification publique des transports au Québec ont été importants. Avant la création du ministère de la Voirie en 1914, l’implantation du réseau des chemins demeurait généralement improvisée, réalisée à l’aide d’une expertise limitée et de manière décentralisée, le tout étant en partie sous un contrôle local municipal. Cette situation a changé assez radicalement en 1914, avec la création d’un véritable ministère de la Voirie centralisé, qui coïncide également avec l’introduction des premières études et d’une complexification technique de la planification des transports.

La centralisation des pouvoirs s’est poursuivit par la suite, surtout avec l’apparition de la voirie moderne qui marquera la première moitié du 20e siècle. Cette période était d’abord marquée par une volonté de relier les régions du Québec par des « routes provinciales », mais également par une pratique généralisée du patronage qui

associera dès lors le domaine routier à un opportunisme des élites politiques. Les années 1950 et 1960 témoigneront d’une hausse importante de l’utilisation de l’automobile et conséquemment par l’apparition du concept d’autoroute. Le gouvernement, par l’intermédiaire de l’Office des autoroutes du Québec, a procédé à l’implantation d’un vaste réseau autoroutier en une période très restreinte, dans une volonté de rattrapage économique et social. La création du MTQ en 1973 a coïncidé avec la fin des grands travaux, dans une volonté d’intégration des modes de transport, mais également dans le but de redorer l’image du gouvernement en matière de routes, souvent associée à du « bétonnage » sans souci environnemental. Le MTQ, depuis la fin des années 1970, fait face à des contraintes majeures : crise des finances publiques, nouveau cadre réglementaire, mais surtout montée des valeurs environnementales. Il en résulte que le débat public gagne en importance dans l’ensemble de la conduite des projets.

La conception et la formulation des projets routiers se sont transformées au gré des grands changements organisationnels. Les premières heures de la planification routière témoignent d’une construction de chemins avec des moyens et connaissances sommaires. Ce mode de fonctionnement sera rapidement remplacé dès la fin du XIXe siècle avec l’essor de la voirie moderne et du génie routier québécois, qui prendra de l’ampleur au cours des décennies suivantes. L’implantation des projets demeure toutefois avant tout une conception technique, axée sur l’infrastructure et son design, les contraintes ne se limitant qu’à une adaptation aux caractéristiques physiques du lieu d’implantation. Mais les contraintes qu’ont posées l’urbanisation et l’utilisation croissante de l’automobile ont entraîné l’intégration d’une vision de type « planning », s’intéressant plus largement à la planification des réseaux, aux études de circulation et à l’optimisation des décisions.

Cette institutionnalisation d’une planification de type instrumentale s’inscrit en fait en continuité de l’approche de design précédente, procédant d’une complexification du projet par la multiplication d’études techniques. Le territoire demeure toutefois réduit

à un statut de milieu récepteur. Suite à des initiatives controversées, à une baisse des fonds alloués aux projets et à la montée des valeurs environnementales au sein de la société, le MTQ fait face à des contraintes croissantes remettant en question ses manières de faire. Il en résultera une volonté d’améliorer l’acceptabilité sociale des projets, par l’institutionnalisation de la participation et de la consultation, dans la foulée de la Loi sur la protection de l’environnement, mais également plus récemment avec tout un travail en amont des projets avec les acteurs des territoires concernés.

À la lecture de ces grands changements, il est nécessaire de se demander si nous faisons face, à travers les époques, à la même organisation. Vu la progression logique des changements et l’absence de crise majeure, il semble évident que la généalogie du MTQ actuel puise sa source dans l’étatisation de la planification du réseau routier au début du siècle, au sein du ministère de la Voirie. Quant à savoir si une certaine culture organisationnelle persiste, il est plus difficile d’y répondre suite à cet exercice limité. Seule l’analyse des conduites de projets au chapitre suivant permettront d’analyser comment se transcrivent les considérations organisationnelles et la formalisation du processus de projet routier dans des pratiques concrètes. Certaines constatations émergent de l’analyse organisationnelle du MTQ et de l’évolution du processus de projet.

Sur le plan de la structure organisationnelle, le MTQ actuel représente une complexification de la structure de l’ancien ministère de la voirie, tout en englobant l’organigramme de ce dernier. Ce sont avant tout les rôles et corps de métiers qui se sont spécialisés pour intégrer des pratiques en adéquation avec les évolutions sociétales, par exemple avec l’intégration du concept d’environnement. Alors que le ministère de la Voirie procédait d’une hiérarchie relativement simple, dans un organigramme pyramidal où l’idée de projet émergeait du haut pour descendre les paliers vers son éventuelle réalisation, l’actuel MTQ procède d’une imbrication complexe de directions, de services et d’intervenants, souvent simultanément dans la fabrication des projets et exercices de planification. Mais, à l’issue de ces

changements, les représentations guidant les projets demeurent-elles essentiellement techniques et sectorielles? L’intégration de pratiques nouvelles sert-elle à rationaliser davantage le processus, ou redéfinissent-ils les paramètres de l’action face au territoire? Et au final, la configuration et la nature des projets s’en trouve-t-elle modifiée en profondeur?

À la lumière des grands changements organisationnels exposés ici, l’analyse de conduites de grands projets permet d’apporter des éléments de réponse à ces questionnements.